Nigeria : Chut, un groupe de gays commence à s’organiser !

Les homosexuels sont durement réprimés au Nigeria. L’Eglise anglicane locale en fait même son cheval de bataille contre le “laxisme” des clergés occidentaux, accusés de trahir le dogme. A l’une des extrémités de la ville [Abuja, la capitale], par ce samedi d’automne, à l’intérieur d’une haute cathédrale située dans un quartier résidentiel, sont rassemblés plusieurs dizaines de citoyens parmi les plus influents du Nigeria, dont les Mercedes, Porsche et autres Range Rover 4 x 4 rutilants sont garés dans un parking bondé. Cette foule de fidèles aisés est venue célébrer l’eucharistie avec le chef de l’Eglise anglicane nigériane, l’archevêque Peter Akinola.
A l’autre bout de la ville, dans un petit club dissimulé à l’arrière d’un centre culturel, se tient un rassemblement d’anglicans nettement moins fortunés et beaucoup plus discrets. Il s’agit de la première rencontre nationale d’un groupe baptisé Changing Attitudes Nigeria. Cette appellation banale et le secret qui accompagne les réunions de l’association – le lieu de cette rencontre ne nous a été dévoilé qu’après que nous avons juré à plusieurs reprises de ne le révéler à personne – ne reflètent guère la nature radicale de ce groupe, qui s’est donné comme mission de faire accepter les homosexuels au sein de l’Eglise anglicane du Nigeria.
“Nous voulons dire à l’évêque que cette Eglise est aussi la nôtre”, souligne Davis Mac-Iyalla, un ancien professeur de 33 ans, fondateur du groupe, qui revendique plusieurs centaines d’adhérents. “La parole de Jésus n’appartient à personne. Elle appartient à tous.”
Forte de 77 millions de fidèles à travers le monde, l’Eglise anglicane est confrontée à un risque réel de schisme au sujet de l’homosexualité. Les responsables anglicans du monde en développement, emmenés notamment par l’archevêque Akinola, se sont violemment opposés en 2003 à la nomination d’un évêque ouvertement homosexuel par l’Eglise épiscopale des Etats-Unis, ainsi qu’à la bénédiction accordée par l’Eglise anglicane aux mariages homosexuels au Canada. De nombreux responsables religieux d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine estiment que tolérer les gays revient à répudier l’orthodoxie biblique et ajoutent ce différend à la série de désaccords qui les opposent depuis trente-cinq ans aux branches occidentales de leurs Eglises et qui tournent notamment autour de la question de l’ordination des femmes.
Les Eglises nationales africaines, asiatiques et latino-américaines ont nettement réduit leurs contacts et leur coopération avec leurs homologues nord-américaines. L’archevêque Akinola soutient que les églises du “Sud global”, comme on désigne souvent les populations chrétiennes du monde en développement, défendent l’orthodoxie face au libéralisme croissant de l’Occident, où le tabou sur l’homosexualité est affaibli. “On ne peut en aucun cas justifier l’homosexualité par les Ecritures, elle est contraire à la raison, martèle l’archevêque Akinola. L’homosexualité est contraire à la nature, c’est pourquoi nous autres, gens du Sud global, nous y opposons.”
Le débat au sein de l’Eglise anglicane a souvent été présenté comme opposant les valeurs africaines traditionnelles à ce que beaucoup qualifient de décadence occidentale. Comme le dit un fidèle anglican de Port Harcourt : “L’homosexualité est un problème occidental. Au Nigeria, nous ne la pardonnons pas et nous ne la tolérons pas.”
Les activistes affirment que les gays et lesbiennes nigérians sont régulièrement victimes de harcèlements et d’arrestations. Le Code pénal prohibe tout acte “contraire à l’ordre naturel” et prévoit des peines allant jusqu’à quatorze ans d’emprisonnement pour ceux qui s’en rendent coupables. Dans la pratique, les homosexuels sont fréquemment jetés en prison jusqu’à ce qu’ils parviennent à acheter leur liberté à leurs gardiens. Dans les régions du pays soumises à la charia, la sentence pour actes homosexuels est la mort.
Pourtant, l’homosexualité est relativement courante dans le pays, en particulier parmi les militaires, qui ont dominé le pays pendant plusieurs décennies, remarque Dare Odumuye, fondateur de la première organisation pour les droits des homosexuels, Alliance Rights Nigeria. “L’homosexualité a toujours fait partie de notre culture”, dit-il.
Pourtant, dans un pays miné par la corruption et les conflits, les croyances religieuses profondément conservatrices et une lecture littérale non seulement de la Bible mais aussi du Coran offrent des certitudes et une stabilité que les Nigérians ne trouvent nulle part ailleurs.
“La Bible et les croyances ne sauraient varier au gré du temps”, insiste Oluranti Odubogun, secrétaire général de l’Eglise anglicane. “Elles ne sont pas soumises aux changements culturels. Ce sont des guides de l’existence humaine transmis de génération en génération.” Mais ce désir de certitude et d’absolu se heurte à une autre force puissante, le combat pour l’autodétermination, particulièrement vif parmi la jeunesse africaine.

“nous nous dresserons pour nous faire entendre”

“On assiste à l’émergence de mouvements identitaires, et il y a un incontestable impact de l’identité homosexuelle globale par laquelle des gens du monde entier se considèrent comme partie intégrante d’un mouvement global plus large”, estime Cary Alan Johnson, spécialiste de l’Afrique au sein de l’International Gay and Lesbian Human Rights Commission. “Mais ce mouvement se heurte à une forte opposition. Plus les gens clament haut et fort : ‘Voilà ce que nous sommes’, plus les gouvernements ont tendance à vouloir les réprimer.”
De fait, en octobre, M. Mac-Iyalla et plusieurs autres membres de Changing Attitudes Nigeria ont été arrêtés à l’issue de leur première réunion, qui avait attiré quelques dizaines de personnes, lorsque des policiers ont découvert de la littérature homosexuelle dans leur voiture. M. Mac-Iyalla affirme avoir été frappé d’un coup de pied à la tête par l’un des policiers, avant d’être jeté en prison durant plusieurs jours sans se voir notifier d’inculpation ni comparaître devant un juge, ce qui n’a rien d’exceptionnel au Nigeria. “La seule raison de notre arrestation, dit-il, est que nous sommes ouvertement homosexuels.”
M. Mac-Iyalla raconte qu’il a fondé son association après avoir été exclu de son poste d’enseignant dans un établissement anglican. “J’ai toujours aimé l’Eglise anglicane, dit-il. Les chefs de l’Eglise ont beau clamer que nous n’existons pas, nous autres homosexuels nous dresserons pour nous faire entendre.”

Lydia Polgreen
The New York Times



12/02/2008
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