Niger : Clémence pour les journalistes emprisonnés
Liberté pour la presse
Intimidations, menaces, emprisonnements, le Niger est devenu une prison pour les journalistes. Inquiètes pour l'avenir du journalisme, des organisations nationales se mobilisent pour réclamer que leur travail, indispensable à la démocratie, soit respecté.
Niger : Clémence pour les journalistes emprisonnés
Par Ramata Soré
Dans son conflit contre les rebelles touaregs, l'Etat du Niger emprisonne les journalistes. Les organisations professionnelles demandent clémence pour leurs confrères. Mamadou Tandja, président du Niger, dit niet.
"Ils disent qu'ils demandent la clémence du gouvernement nigérien et proposent même que le gouvernement les expulse ou les déclare persona non grata au Niger. Ils disent qu'ils reconnaissent avoir menti en cachant le but réel de leur mission. Ils demandent que les médias africains et RFI arrêtent d'écrire sur eux car cela envenime leur situation ", nous a rapporté le samedi 29 décembre 2007, Boubacar Diallo le président de l'Association Nigérienne des Editeurs de la Presse Indépendante (ANEPI). Il était à la tête d'une délégation de six personnes ayant rendu visite à Thomas Dandois, Pierre Cresson de Arte emprisonnés au Camp pénal de Kollo (
"Je ne veux pas avoir de problèmes. Je ne peux donc vous permettre de discuter avec les Français. Comprenez moi", a imploré Moussa Ibrahim, le régisseur du camp pénal de Kollo lorsque nous avons insisté pour voir et discuter avec les Français. Selon le régisseur, du fait que le permis de visite ait été libellé au nom de Boubacar Diallo, il ne peut permettre qu'à lui seul de s'approcher d'eux. Boubacar Diallo sous le hangar servant de parloir, et sous l'oeil inquisiteur et l'oreille aux aguets d'un garde a pu converser avec les Français. "On peut au moins serrer la main de nos confrères venus nous rendre visite", demande l'un des Français lorsqu'ils voulaient rejoindre leur cellule. "Non, c'est impossible", rétorque aussitôt le régisseur. Bien avant de rencontrer le responsable de l'ANEPI, les deux Français, en prison depuis le 17 décembre 2007, avaient reçu la visite de leur consul. Et selon le régisseur, cela faisait la 4e visite. Un réalisateur indépendant français, François Bergeron, après 47 jours de détention, a été expulsé du Niger.
A la prison civile de Niamey, c'est un Moussa Kaka (correspondant de RFI au Niger) sans souci que l'on a rencontré. Il était à son 100e jour de prison. Il a été arrêté le 20 septembre 2007. Ibrahim Manzo Diallo, directeur de publication de Aïr Info arrêté le 9 octobre 2007 et inculpé vingt jours plus tard pour " association de malfaiteurs " se trouve, lui, à la prison d'Agadez. Au 16e jour de détention, Daouda Yacouba dit David, son correspondant dans la région d'Ingall (
Tandja à défaut des rebelles condamne les journalistes
Depuis juillet 2007, Niamey a renforcé la sécurité au Nord du pays, où s'affrontent rebelles touaregs du MNJ et l'armée nationale nigérienne. C'est ce conflit qui est à la base des difficultés qu'ont les journalistes résidants ou de passage au Niger. Le correspondant de l'agence France presse, le Nigérien Boureima Hama s'étant rendu à Agadez s'est vu intimer l'ordre de quitter la région. "Pourtant aucun texte n'interdit de se rendre dans le Nord Niger", dénonce Boubacar Diallo. Les autorités nigériennes reprochent aux deux Français d'avoir enfreint l'interdiction de s'y rendre. Elles soutiennent avoir saisi sur eux des enregistrements réalisés avec la rébellion et considèrent qu'ils ont outrepassé les autorisations délivrées concernant un reportage sur la grippe aviaire à Maradi dans le Sud.
En ce qui concerne la demande de remise en liberté provisoire introduite par Moussa Kaka, elle a été rejetée le 30 novembre 2007. Rappelons que les enregistrements téléphoniques de ses conversations avec des dirigeants du MNJ ont été jugés illégaux par la justice. Ceux-ci devaient prouver la culpabilité du journaliste. La Chambre d'accusation qui devait statuer sur le dossier Moussa Kaka le 8 janvier
Implorer la grâce de Tandja
"Nous venons de créer un Comité de demande de Clémence pour tous les journalistes emprisonnés. J'ai la lourde responsabilité de présider ce Comité. C'est une initiative essentiellement humanitaire qui pourrait aboutir si nous arrivons à nous faire comprendre par nos confrères aujourd'hui divisés", assure Boubacar Diallo. Cette stratégie de plaidoyer fait suite au refus du président Tandja de libérer les journalistes et ce malgré les interventions de personnalités et d'organisations telles Ely Ould Val, ancien président de la Mauritanie désigné par l'Union Africaine comme médiateur dans le conflit armé dans le Nord du Niger, Mohamed Ibn Chambass, secrétaire exécutif de la CEDEAO, de l'Union internationale de la presse francophone, du Réseau des Journalistes pour la Sécurité et la Paix, etc.
"Nous sommes donc les principales victimes collatérales de la guerre MNJ-Régime Tandja. C'est d'abord l'organe de régulation, le Conseil Supérieur de la Communication (CSC) qui a ouvert le bal", souligne le président de l'ANEPI.
Le 03 mai 2007, le CSC inflige une mise en demeure au bimensuel régional Aïr Info pour un article intitulé "Feu et sang sous le Mont Tamgak". Le même jour, le CSC ordonne à la Radio Alternative "de cesser instamment d'organiser des débats politiques" au motif que la radio est associative et non commerciale. Le 17 mai, la même radio reçoit un avertissement écrit de l'organe de régulation pour "diffusion d'informations à caractère politique".
Le 02 mai 2007, quatre journaux (Libération, L'Evénement, Opinions et Le démocrate) écopent chacun d'une mise en demeure, parce que semble-t-il, ils font l'apologie du crime, et de la violence et portent atteinte au moral des troupes nigériennes. "Le CSC a tout simplement jeté l'anathème et le discrédit sur ces journaux, car certains officiers n'ont pas aimé le traitement fait par ces organes de la sanglante attaque du 22 juin 2007, lorsque le MNJ a tué, à Tizerzet, 15 militaires et fait 70 otages", précise Boubacar Diallo. L'avalanche de sanctions du CSC continue. Le 29 juin 2007, il inflige une interdiction de parution de trois mois, au bimensuel Aïr Info et gèle sa part d'aide aux médias octroyé par l'Etat. Ladite subvention est toujours aux mains du CSC. L'institut reproche au journal l'"inobservation de la mise en demeure à lui adressée". Le 19 juillet 2007, le CSC suspend, pour un mois, Radio France Internationale pour "diffusion d'informations mensongères et occultant la réalité".
Se défendre face à l'arbitraire
Le 28 août 2007, il interdit les débats en direct sur les antennes des radios et TV privés. "Pendant ce temps, les médias d'Etat organisent des débats dangereux pour la paix sociale et balancent des informations non vérifiées au su et au vu du CSC", déplore Aboubacar Diallo. Concernant les décisions du CSC, Abdourahman Ousmane, président du Réseau des journalistes des droits de l'homme soutient qu'il appartient au tribunal de constater et de punir et non pas au CSC. Ce dernier ne peut prendre que des actes administratifs qui sont d'ailleurs susceptibles de recours. Face à ces sanctions arbitraires du CSC, aucun média ne s'est plaint en justice. Aussi c'est pour contrecarrer les assauts du CSC contre les médias privés que le réseau des journalistes des droits de l'homme prévoit en cette année 2008 la création d'un fonds d'appui judiciaire. Ce fond permettra aux médias de s'assurer les services techniques dans la défense de leurs droits.
Nonobstant les sanctions du CSC, certains médias continuent à traiter du conflit. Ainsi, le pouvoir nigérien passe à la vitesse supérieure, selon Aboubacar Diallo : "l'arrestation des journalistes et autres citoyens qui s'expriment sur les antennes ou dans certains milieux avec à la clé le retour en force des écoutes téléphoniques, en violation flagrante de la loi fondamentale et de la déclaration universelle des droits de l'Homme".
Face à ce musellement de la libre expression et de presse, "le premier réflexe des populations et des journalistes, c'est de lire le blog du MNJ. Or c'est un site de propagande où les gens prennent l'info sans recul", déplore Abdourahman Ousmane.
Ramata.sore@gmail.com
Origine d'un conflit
Les premières rebellions ont été déclenchées dans le Nord du Niger dans les années 1990. Les ressortissants de cette région avaient usé des armes pour se faire entendre. Leurs revendications portaient sur l'instauration d'un système fédéral. Après cinq ans de conflit, les mouvements rebelles et l'Etat signent un accord de paix le 24 avril 1995. Mais, dans le fond, le problème est demeuré : les régions du Nord soutiennent ne pas bénéficier de réalisations socio-économiques significatives issues de l'exploitation de l'uranium. Avec le conflit de février 2007, Le MNJ dénonce également le pillage des richesses naturelles de la région sans que les intérêts des populations locales ne soient pris en compte.
Le MNJ regroupe des combattants de diverses origines ethniques et régionales du Niger. Toutefois, les ressortissants du Nord sont les plus nombreux dans les instances dirigeantes du mouvement. Selon Abdourahman Ousmane, président du Réseau des journalistes des droits de l'homme, depuis février 2007, il y a eu plusieurs exécutions extrajudiciaires, des cas de viols, les populations fuient leur village. R. S.
Faire perdurer le conflit pour rester au pouvoir
Le président nigérien, Mamadou Tandja, refuse toute négociation avec le MNJ. D'ailleurs Blaise Compaoré a proposé sa médiation dans la résolution du conflit. Chose qu'aurait refusé le président Tandja tout comme il aurait rejeté d'autres propositions. "On ne sait pas pourquoi le président refuse la négociation avec les rebelles. Je pense qu'il veut rester au pouvoir après 2009. Normalement, il ne peut plus se représenter. Or, en faisant perdurer le conflit, il compte sur le peuple pour l'appeler à rester afin de régler ledit conflit", analyse Albert Chaibou, rédacteur en chef du journal Alternative et président du Réseau des Journalistes pour la Sécurité et la Paix. R. S.