Limogeage de Salif ; Ouahigouya n'a pas aimé
Ouahigouya, 27 mars. La
2ème édition du Forum social du Burkina doit ouvrir ses portes à 9h. Dans la
ville, aucun signe n'indique la tenue d'une telle manifestation. Au Centre des
jeunes, où doit avoir lieu la cérémonie d'ouverture de la rencontre
altermondialiste, les conversations sont accaparées plutôt par un sujet : le
départ de Salif Diallo du gouvernement. Que s'est-il passé pour que ce baron du
régime soit éjecté de l'exécutif burkinabè ? Quel sera son prochain point de
chute ? Quelles conséquences son départ aura-t-il sur la vie politique
nationale ? Les palabres tournent autour de ces questions. Une autre question
hante certains organisateurs du forum : quel impact cette actualité politique
aura-t-elle sur le forum social quand on sait que Salif Diallo est originaire
de Ouahigouya et constitue un poids lourd dans cette ville ? D'ores et déjà,
l'impact est là. Le sujet Salif ravit la vedette aux thèmes à l'ordre du jour
du forum que sont la culture du coton OGM, les difficultés des filières riz et
lait au Burkina, l'intégration sous régionale et la souveraineté alimentaire,
la vie chère de manière générale. A l'heure du début de la cérémonie, on ne
voit pas les officiels invités. C'est le gouverneur de la région du Nord qui
devrait présider la cérémonie. Les éléments de la gendarmerie sont déployés
partout dans la grande cour du Centre, mais les autorités se font, elles,
attendre. Certains participants commencent à douter de leur venue. Ils pensent qu'à
l'instar de nombreux Ouahigoulais, ces autorités n'ont pas le moral au beau
fixe depuis la nuit pascale où leur champion a été débarqué du gouvernement.
Ceux qui tiennent ces propos avancent que la plupart des autorités exerçant à
Ouahigouya ont été placées par l'infortuné du moment. Pour eux, les officiels
ne viendront pas. L'atmosphère est très lourde dans la ville depuis l'éviction
de Salif Diallo du gouvernement et aucune autorité n'aimerait trop se faire
voir en ce moment.
Une marche avortée
En forme ou pas, certains
estiment que le gouverneur doit honorer son engagement par sa présence à
l'ouverture du forum. Par petits groupes, sous les arbres ou assis au
restaurant Kadiami, les gens échangent en attendant l'arrivée des autorités.
Certains participants ne cachent pas leurs appréhensions. Dans la ville, règne
en effet, une atmosphère de deuil. "C'est comme si les gens s'étaient
concertés. Les maquis ne sont plus animés ces deux jours. Les sono ont diminué
de volume", marmonne un gérant de maquis. Les activités tourneraient au
ralenti dans la ville depuis cette date. Des semaines avant le limogeage, le
malaise était déjà perceptible dans la ville. Un animateur de la radio La Voix
du paysan a été suspendu d'antenne pour trois mois par son directeur pour avoir
traduit en moré un article de L'Evénement qui annonçait le prochain départ du
ministre Salif Diallo du gouvernement. A la fin de sa traduction, il aurait
appelé les populations du Yatenga à descendre dans la rue manifester contre
cette éventualité. Quand "l'irréparable" s'est finalement produit,
dans certains milieux, on s'est souvenu de l'invite de l'animateur. Les esprits
étaient préparés pour manifester, mais il aurait manqué une structure ou des
gens pour prendre l'initiative. Il semble que c'est Salif Diallo lui-même qui
aurait demandé à ses fidèles de ne rien entreprendre. Les gens sont restés donc
dans l'expectative. Au lieu du forum, le gouverneur se fait attendre. Les
conversations vont bon train.
Les politiques attendent de voir
En suivant certaines
conversations, on se rend compte d'une chose : la compassion envers le partant
ou le limogé. On le plaint, on souligne ses qualités de bosseur, sinon de
baroudeur. On magnifie son dynamisme et ses talents oratoires. C'est dans cette
ambiance qu'arrive enfin le gouverneur accompagné du président du Conseil
régional et du haut commissaire. La cérémonie ne tire pas en longueur. Le
gouverneur est peu loquace. Aucune allusion à l'actualité brûlante dans les
discours. On note néanmoins une absence de taille, celle du maire de
Ouahigouya, Abdoulaye Sougouri, un des fidèles lieutenants de Salif Diallo dans
la région du Nord. Il s'est fait représenté à la cérémonie. Au même moment, il
se tenait une session du conseil municipal. Réunis pour parler du budget, les
débats dans les coulisses auraient tourné autour du "problème de
Salif", témoigne un conseiller. "Nous sommes venus, espérant avoir
plus d'informations sur ce qui est arrivé à notre leader. Mais on nous a
simplement dit de nous calmer, de ne rien entreprendre, d'attendre les
explications du parti qui viendront bientôt.", confie un conseiller CDP
qui a souhaité garder l'anonymat. Le maire que nous avons rencontré le 29 mars
se dit surpris par la nouvelle du départ de Salif du gouvernement. " C'est
avec regret que nous avons appris son départ. Rien ne présageait ce départ.
Certes, les journaux en parlaient, mais au niveau du parti, on n'en a pas
parlé. ", affirme le maire Sougouri. Ce qui, à ses yeux, signifie que ce
changement n'a pas de conséquence sur son positionnement au sein du parti, le
Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Il considère toujours Salif
comme le n°2 du parti au pouvoir et "le leader de la région du Nord".
Voit-il des conséquences pour sa commune ? Sans ambages, il répond : "Son
départ va jouer négativement sur la dynamique de développement de la province
et singulièrement de la commune. C'est sûr que la place qu'il occupait au
gouvernement profitait bien à la commune. Maintenant qu'il n'est plus à ce
poste, on craint que les choses ne soient plus comme avant. " Sur le plan
politique, il pense qu'il n'y aura pas de bouleversement dans la province, le
CDP va conserver sa place de premier parti. Néanmoins, il estime que "
c'est un grand vide qu'il (Salif) laisse ", s'il advenait qu'il se
retirait de la scène politique. Que pensent ses adversaires de l'ADF/RDA ? Il
nous revient que le lendemain de la sortie de Salif du gouvernement, le
ministre Gilbert Ouédraogo, président de l'ADF/RDA, natif de Ouahigouya
également, aurait tenu à son domicile une réunion avec le bureau local du
parti. Il aurait demandé à ses gens d'éviter le sujet avec la presse. Nous
n'avons pas pu entrer en contact avec les responsables locaux du parti de
l'éléphant malgré nos multiples tentatives. Leurs téléphones ne répondaient
pas. Au siège du parti, seul le gardien assurait la permanence. Chez les
sankaristes de l'UNIR/MS, on est également peu loquace. Le secrétaire général
du parti dans le Yatenga, Zana, "attend de voir la suite" avant de se
prononcer. Son camarade B. Etienne B. Ouédraogo pense lui, qu'il y a lieu de
s'inquiéter " si ce remaniement vient consacrer la gestion familiale du
pouvoir d'Etat". Il voit dans "le débarquement en catimini" de
Salif Diallo, la mise au grand jour "des contradictions entre Salif et
François", le dernier cité étant le frère cadet du président Blaise
Compaoré.
Dans le milieu de la société civile, on pense que ce remaniement n'est ni plus
ni moins qu'"une diversion" de plus du système Compaoré. Pour Tasseré
Savadogo, coordonnateur des organisations de la société civile du Nord, le
pouvoir a l'habitude de créer des événements pour masquer les vrais problèmes
du moment. " Avant le départ de Salif, partout les gens parlaient de la
vie chère, mais maintenant, tout le monde n'a que le sujet Salif dans la
bouche. C'est ainsi que le pouvoir réussit chaque fois à détourner le peuple de
ses vraies préoccupations." La supposée guéguerre entre Salif et les
frères Compaoré n'est pas un problème, à ses yeux. Pour lui, le vrai problème,
c'est le chômage des jeunes. "Salif et Blaise ne s'entendent pas n'est pas
notre problème. Ils n'ont qu'à s'entendre pour nous trouver du riz à manger
", dit-il sèchement. Même son de cloche à l'ODJ (Organisation démocratique
des jeunes). Son responsable de Ouahigouya, Essimayila Bakouan évalue le départ
de Salif à zéro si le système lui-même reste intact. " Ce n'est pas le
changement de personne que nous attendons, mais le changement de tout le
système. Avec ou sans Salif, c'est le même système fait de corruption, des
injustices et d'impunité qui continue à nous gouverner." Un commerçant de
la rue principale de la ville résume l'opinion générale des gens à Ouahigouya :
"Nous sommes déçus de Blaise. Avec tout ce que Salif a fait pour lui,
c'est de cette manière, il le remercie. Il doit comprendre qu'il n'aura plus
quelqu'un comme Salif à ses côtés, même pas son petit frère François ".
Idrissa Barry