Le Faso, à la dérive
Cet écrit est paru dans le quotidien L’Observateur. Le journaliste s’indigne du fait qu’au Burkina, il est plusieurs types de citoyens. Et parmi ceux se sentant au dessus des lois, il y a les corps habillés n'ayant aucun civisme et sèmant terreur. ils transforment le Faso en un Far west, ainsi le Burkina va à la dérive.
Incivisme de certains militaires : La gangrène pourrait gagner les civils
Dans sa rubrique Billets craquants du 26 novembre dernier, L’Observateur paalga se posait la question suivante : "Les bidasses sont-ils au-dessus de la loi ?". Question pertinente s’il en est au regard du spectacle auquel se sont livrés des militaires pour ne pas dire les militaires lors du contrôle par la police et la douane de l’effectivité des plaques d’immatriculation sur les véhicules à deux roues de 80 cm3 et plus.
Ce jour-là, alors que les civils se soumettaient, non sans quelques grincements de dents, au retrait de leurs moyens de déplacement, ce ne fut pas le cas de nombre de militaires.
Refus d’obtempérer, avec à la clé des insanités servies à des forces de sécurité qui ne faisaient que leur travail pour avoir leur pitance quotidienne, permettre à l’Etat de sécuriser ce parc et donner l’occasion au budget national de se faire quelques millions de francs en cette fin d’année difficile.
On le sait, ces agents de police et de douane auraient préféré être ailleurs plutôt que de se farcir une telle corvée physiquement et psychologiquement éprouvante. Ils n’étaient aux carrefours que parce qu’on les y a envoyés. S’en prendre à eux, c’est se tromper d’adversaires.
En dépit des tares de ces forces de sécurité, elles méritent notre respect, à commencer par celui des militaires, car sans elles, nos nuits seraient davantage troublées et nos routes encore plus inaccessibles du fait des bandits de grand chemin.
Et puis, n’oublions pas que ce n’est ni la douane ni la police qui ont créé notre société. C’est plutôt l’inverse. Cela signifie que nos forces de sécurité sont à l’image de la collectivité... Stigmatiser leurs tares pour justifier le refus d’obtempérer comme l’ont fait certains militaires devant nous est impertinent et inapproprié.
Le silence coupable de la hiérarchie
Certes, les lignes que nous sommes en train de tracer seraient sans objet si elles étaient uniquement adressées à ces sans-grade qui grillent les feux rouges, menacent des civils pour un oui ou un non, narguent la police et la douane.
La raison, c’est qu’ils ne comprennent pas grand-chose à nos discours. Cela, ce n’est naturellement pas leur faute et nous serions peut-être logé dans une enseigne pire que la leur si nos parents ne nous avaient pas inscrit à l’école et ne s’étaient pas occupés de nous du mieux qu’ils pouvaient.
Mais, il se trouve que l’éventail du lectorat est si grand qu’il atteint les hiérarchies militaire, policière et douanière ; celles-là même qui sont chargées d’ordonner et auxquelles on doit rendre compte. Si tel est le cas, pourquoi des inconduites pareilles, qui ont lieu au grand jour et en public, ne sont-elles pas sanctionnées ?
Pourquoi le fameux cadre de concertation entre les forces de défense et de sécurité, dont il avait été question lors des événements de décembre 2006, semble être un mort-né ?
De deux choses l’une : ou ces hiérarchies sont complices de cette situation, ou c’est leur autorité qui est allègrement bafouée par le hommes du rang et les sous-officiers subalternes.
Autorité bafouée, menaces contre
La deuxième hypothèse est, à nos yeux, la plus plausible, car c’est elle que les faits corroborent. En effet, depuis la deuxième moitié des années 90 jusqu’à maintenant, les soubresauts au sein de la "Grande Muette" et de la police sont de plus en plus fréquents et de plus en plus étendus, et ce, malgré la compréhension dont le gouvernement fait preuve à leur égard à travers sa disponibilité à négocier.
La question qui découle nécessairement de ce constat est la suivante : pourquoi, par exemple, les militaires sont-ils devenus subitement contestataires, désobéissants ?
En réalité, ce comportement d’une partie des militaires n’est pas nouveau et ne concerne pas seulement le Burkina. Il n’y a qu’à consulter les archives et à s’intéresser au contenu des médias pour s’en apercevoir. La nouveauté, c’est son ampleur et sa gravité.
Il nous semble qu’il a gagné en ampleur et en gravité du fait :
de l’élévation du niveau moyen d’instruction et de culture générale de l’armée et particulièrement de la troupe ;
des conditions de vie, de plus en plus difficiles dans une société où les nouveaux moyens de consommation augmentent en nombre et en qualité et suscitent des envies ;
d’une hiérarchie militaire perçue comme de plus en plus éloignée de la troupe ; de la raréfaction des chefs militaires considérés comme des modèles et à qui on obéissait plus par admiration que par respect de la discipline ;
de l’impression d’embourgeoisement que donnent certains chefs militaires à la troupe : villas cossues, voitures rutilantes et futuristes, rondeurs où il ne faut pas...
Les civils pourraient s’en mêler
Quelles que soient les explications que l’on peut donner à ces actes d’incivisme de certains bidasses, elles ne demeureront que des explications dont nul ne peut se servir comme des justifications. La loi est la même pour tous. Il n’est pas acceptable que certains la respectent et que d’autres y passent outre pour la simple raison qu’ils sont des militaires. Leur hiérarchie doit agir, car il est possible que les civils, qui sont restés jusque-là respectueux des contrôles de la police et de la douane, se décident à passer également outre à cela.
Et croyez-nous, les forces de sécurité n’y pourraient rien, car si les militaires sont craints parce qu’ils sont armés, les civils pourraient être également craints parce qu’ils sont les plus nombreux : rappelons-nous les émeutes du casque en septembre 2006.
Qui d’entre nous ne serait pas tenté d’enfourcher sa motocyclette et de prendre la poudre d’escampette parce qu’il a vu un militaire en infraction refuser d’obtempérer ? Supposons donc que ceux qui sont tentés de le faire soient au nombre de 10, 20 ou 30 alors qu’il n’y a que 3 ou 4 agents de police ou de douane face à eux. Qu’est-ce que ceux-ci y pourraient ? Pire, certains d’entre eux pourraient même être tentés de dire aux civils de prendre leurs moyens de déplacement et de partir parce qu’ils sont écœurés.
Le gouvernement a donc intérêt à mettre de l’ordre dans ce domaine avant que ce cancer qui ne dit pas son nom ne se métastase au grand dam de tous.
Z.K.
L’Observateur