Le coup de gueule de Laurent Bado

Au moment où les Burkinabè désertent les bureaux et les ateliers pour protester contre la vie chère, il nous vient à l'esprit les déclarations de Laurent Bado sur le thème de la vie chère. En effet, l'honorable député a déclaré le 27 mars devant la représentation nationale que 15% d'oligarques nationaux détiennent à titre privé, 50% du revenu national. Là ne s'arrête pas la surprise ! Il nous apprend en outre que parmi les fortunes placées par des personnes privées à l'étranger, le Burkina vient en 16ème position. Nous n'avons pas cherché à vérifier ces chiffres, mais nous faisons confiance au professeur Bado qui a pris sur lui de déclamer toutes ces choses devant le Premier ministre et nombre de ses ministres, assurément très compétents et qui connaissent bien les sources de M. Bado qu'ils ont la possibilité de vérifier. C'est donc au regard de ce constat qu'il a cru pouvoir déclarer que " les Burkinabè ne manifestent pas contre la vie chère, mais contre la vie à deux vitesses. " Autrement dit et pour paraphraser l'autre : " Au Burkina, les uns mangent, les autres regardent ". Comme le dit Passek Taalé de L'Observateur Paalga, " Ainsi va la vie ". Mais cette vie-là ne doit pas exister, les Burkinabè ne la veulent pas, parce qu'elle menace la vie que tout homme est en droit de réclamer, c'est-à-dire une vie décente et digne.

Les économistes nous disent que la cherté de la vie est liée au pétrole, puisqu'il intervient dans différents secteurs de la vie. Or, c'est justement là où les Burkinabè ont plus de griefs à formuler à leurs dirigeants. Quand on demande des sacrifices à son peuple, il faut savoir soi-même donner l'exemple. En cette matière, nos dirigeants pensent-ils avoir donné le bon exemple ? Regardons un peu ce que l'on consomme comme carburant dans nos structures publiques, à commencer par les ministères. Fait-on assez pour réaliser des économies, puisque tout le monde convient que l'essence est chère ? Evidemment non. C'est plutôt le contraire qui semble se passer. On se comporte comme si on était en situation normale. D'autres se permettent même de développer des pratiques de filouterie, en allant voir les stations pour échanger des bons contre de l'argent. Et nous parlons en terme de centaines de millions s'il vous plait ! C'est donc que la dotation que l'on reçoit dépasse les besoins réels. A cela aussi s'ajoute une autre pratique, celle des réparations des véhicules publics. La fréquence de celles-ci donne à penser que les pannes sont plus ou moins voulues et on est en droit de le croire puisque les garages sont devenus des lieux de deals juteux pour quelques responsables margoulins. Et avec tout cela, on veut que ceux qui crèvent la dalle se laissent mourir en silence.

Les travailleurs burkinabè ont lancé une grève de 48 h, les 8 et 9 avril dernier, pour dire non à cette vie à deux vitesses. Celle-ci traduit un manque patent de solidarité structurelle, un partage inéquitable de la manne publique. C'est inacceptable. Dire cela, ce n'est pas vouloir que nos ministres retournent à vélo. Il y a une insouciance qui se développe au Burkina, au point que la misère qui gagne de larges secteurs du peuple n'émeut plus. Nous sommes gagnés par une culture de la banalisation. Et c'est contre cela qu'il faut s'insurger, au nom du droit de chaque Burkinabè à vivre décemment. Mais au Burkina, affirmer ces droits élémentaires est vite présenté comme un crime de lèse-majesté. On veut y voir ceux qui sont pour ou contre Ziniaré, feignant d'ignorer qu'il s'agit d'un combat pour la vie. Mélanger les serviettes et les torchons a de tout temps été la démarche de ceux qui ont la confusion pour arme. Ils redoutent la clarté dont ils connaissent la vertu mobilisatrice dans toute lutte sociale.

La dernière arme en date, c'est l'ombre de Salif Diallo qu'ils font planer sur la mobilisation contre la vie chère. Si le prix du riz ne baisse pas, ce serait le fait des commerçants originaires du Nord, mécontents du sort qui est fait à leur frère. Ces derniers seraient très influents dans les circuits de distribution des céréales. Dangereuses, ces affirmations le sont assurément parce qu'elles sont puisées à la source du communautarisme pervers. C'est le lieu d'inviter les associations civiques et de défense des droits humains à engager des actions de prévention, afin de nous préserver des dérives de type communautariste qui ont tant fait de mal ailleurs. Enfin, il faut savoir gré au professeur Laurent Bado dont les révélations ont permis aux Burkinabè de se faire une idée sur les fortunes de certains de nos compatriotes. Si le gouvernement veut donc lutter contre la vie chère, il peut aller chercher l'argent où il se trouve pour faire droit aux revendications de ceux qui produisent les richesses sans pouvoir en jouir. On ne voit pas pourquoi cette poignée d'oligarques va accaparer 50% du revenu national pour le placer en lieu sûr, en toute impunité. Tertius doit s'expliquer, faute de quoi, les Burkinabè le tiendront pour complice.

GBN


25/04/2008
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