La Turquie autorise le port du voile dans les universités
Die Welt (Allemagne)
Selon Dietrich Alexander, "il ne faut pas céder à la panique. Dans le
cadre d'un processus démocratique, la Turquie a levé l'interdiction du port du
voile dans les universités. Le pays s'est ainsi libéré du carcan législatif mis
en place par Kemal Atatürk il y a plus de 80 ans. Il affiche donc une plus
grande honnêteté dans la quête de sa propre identité. (...) Il serait néanmoins
préjudiciable que le parti conservateur et islamiste du Premier ministre Recep
Tayyip Erdogan exploite sa majorité confortable au Parlement pour adopter
certaines mesures considérées comme de véritables tabous par les partisans
d'une approche laïque, comme l'interdiction de boire de l'alcool en public, le
traitement de faveur accordé aux diplômés des 'lycées imam-hatip' ou l'adoption
d'un code strict pour les vêtements de bain. Mais il est peu probable que le
gouvernement mette en place de telles mesures car il a besoin de continuer à
bien s'entendre avec les élites municipales." Diário de Notícias (Portugal) "Après
le vote des députés, 100 000 personnes se sont réunies à Ankara pour protester
contre cette mesure, considérant qu'il s'agit d'une attaque contre la laïcité
de l'Etat. Des attitudes qui révèlent la division du pays entre deux
mondes", note le quotidien lisboète. "Ce qui est en jeu ici
représente bien plus qu'une histoire de voile dans un pays entre deux
continents, dont l'enthousiasme pour l'Europe a considérablement diminué à
mesure que Bruxelles imposait des obstacles et des reports successifs. C'est
pour cela que l'UE ne peut regarder ce qui se passe en Turquie, avec une
distance plus ou moins neutre. Au contraire, elle doit encourager les efforts
de ceux qui luttent pour la modernité." Die Presse (Autriche)
Selon Helmar Dumbs, "l'Etat a le droit d'interdire à ses employés de
porter des signes religieux. Cependant, il n'a pas le droit d'exiger des
étudiantes, 'clientes' des universités, qu'elles retirent leur voile avant
d'entrer sur un campus. Un bout de tissu ne doit empêcher quiconque d'accéder à
une meilleure éducation. Mais le danger nous guette : on sait désormais que,
depuis le début de l'ère Erdogan, les hommes dont les épouses portent le voile
bénéficient d'un traitement de faveur au sein de l'administration publique, ce
qui sape le principe même de la neutralité officielle de l'Etat en matière de
religion. Car comment peut-on dire qu'un pays est laïc alors que les autorités
religieuses en viennent même à dicter le contenu du sermon du vendredi ? De
facto, en Turquie, l'islam est une religion d'Etat alors que les églises
catholiques subissent un harcèlement officiel. Il ne s'agit pas d'une
séparation de l'Etat et de la religion, mais du contrôle total de la religion
par l'intermédiaire de l'Etat." Neue Zürcher Zeitung (Suisse) Cyrill
Stieger estime que la Turquie doit prendre des décisions plus importantes que
sur le voile. "Le tristement célèbre paragraphe 301 du Code pénal, qui
sanctionne 'le dénigrement de l'identité turque' doit être abrogé si la Turquie
souhaite devenir un Etat moderne et démocratique. La minorité des Alévites n'a
toujours pas le droit d'enseigner sa propre religion. Dans les écoles kurdes,
l'enseignement ne peut pas être dispensé en kurde. (...) Depuis le début, en
octobre 2005, des négociations préalables à une adhésion à l'UE, aucun projet
de réforme d'envergure n'a été mis en place dans les universités avant cette
levée de l'interdiction du port du voile et ce, en dépit du rapport de force
évident au sein du Parlement. (...) Ce n'est pas le voile qui peut expliquer la
nature islamique, démocratique ou nationaliste du parti au pouvoir. Seule une
nouvelle Constitution permettrait de savoir ce que veut réellement Recep Tayyip
Erdogan et de connaître la direction de la Turquie."