La tentative d'évasion d'Ingrid Betancourt

Le livre Mon évasion vers la liberté de John Frank Pinchao, le policier prisonnier des FARC qui s'était évadé en avril dernier, doit sortir la semaine prochaine en Colombie. Dans l'un des chapitres, publié en avant-première par El Tiempo, l'ancien otage raconte l'une des tentatives d'évasion d'Ingrid Betancourt. Extrait.

"La nuit où Ingrid s'est enfuie était sombre et pluvieuse, et les guérilleros montaient la garde à tour de rôle, comme d'habitude. Celui qui venait de prendre la relève bavardait avec les autres guérilleros aux postes de garde ; ils nous avaient enchaînés les uns aux autres par les poignets. J'étais attaché au capitaine Bermeo [l'un des militaires pris en otage]. Il pleuvait à torrents.

Le lendemain, deux paires de bottes avaient disparu, celles d'Amaón [Florez Pantoja] et de [José Miguel] Arteaga [deux des officiers otages], qui ont alors demandé aux guérilleros où elles étaient passées. Ces derniers ont répondu qu'ils n'en savaient rien et, comme certains guérilleros avaient des bottes en mauvais état, on a pensé qu'ils les avaient prises pour aller pêcher.

Le sergent Marulanda devait donner la radio à Ingrid. Il est allé jusqu'à la cabane, l'a appelée en vain et a déposé la radio à côté de son lit. A l'heure du petit déjeuner, nous avons sorti nos casseroles pour qu'on nous serve et, comme d'habitude, ils ont compté les casseroles pour s'assurer que tout le monde ait à manger. Il en manquait deux. Nous nous sommes tous demandé qui n'était pas là, jusqu'à ce que quelqu'un finisse par dire que c'étaient les "docteurs" [Ingrid Betancourt, candidate à l'élection présidentielle enlevée en 2002, et Luis Eladio Pérez, sénateur enlevé par les FARC en 2001]. Ils sont allés les chercher pour savoir s'ils voulaient prendre leur petit déjeuner, mais, surprise, il n'y avait personne dans la cabane. L'alerte a alors été donnée à tous les guérilleros.

Amaón est allé vérifier quelles bottes il y avait dans la cabane d'Ingrid, et c'était bien sûr les siennes. Comme elle savait bien que les guérilleros comptaient les bottes, la super-Ingrid avait pris celles d'Arteaga et d'Amaón et les avait mises chez elle pour qu'ils ne se doutent de rien.
[...] Nous avons demandé aux guérilleros qu'ils nous disent la vérité sur la disparition d'Ingrid (la rumeur disait alors qu'elle allait être libérée) : nous voulions savoir s'ils allaient la libérer sans nous le dire, dans ce cas cela expliquerait qu'ils l'aient fait partir de nuit pour que nous ne nous rendions compte de rien, mais ils disaient que non, qu'elle s'était enfuie. Par la suite, les gardes, qui jusque-là assuraient chacun un tour de deux heures, ont été doublés et leur tour est passé à six heures.

Des équipes de dix hommes battaient les alentours, chacun devant ratisser cinq à six mètres et cinquante à soixante mètres aux abords des cours d'eau. Nous les entendions aussi appeler Ingrid, sans succès. Nous les voyions rentrer épuisés, après de longues battues à la recherche de ces deux otages en quête de liberté.

Au bout de cinq jours, Castellanos a dit : "Bonjour, docteur ! Alors, la balade a été bonne ?" Comme c'était un farceur, nous n'y avons tout d'abord pas cru, puis nous nous sommes retournés et avons vu Luis et Ingrid qui venaient d'arriver, exténués et amaigris. On leur a donné à manger, mais ils n'en avaient pas envie : après cet échec, c'est tout juste s'ils ont touché à la nourriture.

Deux guérilleros sont venus les attacher : c'était la première fois qu'on les attachait. D'abord Luis, puis Ingrid, mais elle se débattait. Là-dessus est arrivée "Gira", une guérillera qui était commandant en second de la compagnie qui s'occupait de nous et qui faisait aussi office d'infirmière. Ingrid lui a dit qu'elle ne les laisserait pas l'attacher, que c'était un outrage, et a demandé à Gira, parce qu'elle était une femme, de l'aider. Deux guérilleros s'y sont mis, "Efrén", le Noir, et un autre, très petit. Ingrid se débattait toujours, mais ils ont fini par réussir à l'enchaîner. Ingrid a dit à "Gira" que c'était une image gravée à jamais dans sa mémoire, qu'elle ne l'oublierait jamais, ce à quoi la guérillera a rétorqué : "Taisez-vous, vous n'avez aucune morale."

(...) Plus tard, ils nous ont raconté succinctement ce qui s'était passé. La santé de Luis Eladio s'était dégradée pendant leur fuite, puis ils avaient terminé le peu de nourriture qu'ils avaient pu emporter. Ils se sont dit que, s'ils voyaient un pêcheur, ils lui demanderaient de l'aide. C'est alors qu'ils avaient vu une barque. Mais, en s'approchant, ils s'étaient rendu compte que c'étaient des guérilleros. Ceux-ci leur avaient dit : "Montez, fils de pute" et les avaient ramenés au camp. Ces quelques jours avaient causé chez Lucho et Ingrid un épuisement physique impressionnant ; ils sont revenus totalement usés, maigres, émaciés."

John Frank Pinchao
El Tiempo



23/01/2008
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