La récession américaine, ça ne vous rappelle rien ?

Pour le dessinateur et chroniqueur Jeff Danziger, le déclin amorcé par les Etats-Unis n'est pas sans rappeler celui des Britanniques dans les années 1950.


Le journal The Economist jouit d'un grand crédit aux Etats-Unis et nombre de jeunes Américains de sexe masculin pensent qu'en se promenant ostensiblement avec cet hebdomadaire, ils peuvent attirer des femmes plus intelligentes. Exception faite de l'un des derniers numéros du magazine, dont la une, illustrée d'un escargot décoré de drapeaux américains, il se demandait si notre époque serait un jour connue comme celle de la "récession américaine". La question est de savoir s'il est opportun pour ce respectable magazine britannique de se soucier de l'avenir de l'Amérique. Paul Krugman - qui écrit pour The New York Times et est économiste - a rappelé qu'à l'époque où le prix du baril de pétrole était de 10 dollars, The Economist prédisait qu'il allait tomber à 5 dollars. Malgré des erreurs aussi grossières, je pense que The Economist a raison de s'intéresser à notre sort. Après tout, c'est un magazine écrit essentiellement par des Britanniques, un peuple qui s'y connaît en déclin économique.

Il y a deux siècles, ce sont les Britanniques qui ont été les pionniers de la révolution industrielle. Après avoir subi les ravages de la Seconde Guerre mondiale, ils ont tenté de réaliser de nouvelles prouesses en matière de production et de redevenir les maîtres du commerce. Pendant les années 1950, ils y sont plus ou moins parvenus, aidés par les marchés américains et la misère des anciennes puissances de l'Axe. Mais peu à peu, les fabricants et les concepteurs britanniques ont perdu leurs parts de marché au profit des Japonais et des Allemands, dont les produits étaient moins chers et de meilleure qualité. Les Etats-Unis se trouvent aujourd'hui dans une situation similaire.

Mon oncle Jack, qui a travaillé pour plusieurs compagnies britanniques, avait une théorie sur les causes de ce déclin. Après avoir quitté la marine en 1947, il a vendu des motos de la marque BSA (Birmingham Small Arms), un grand fabricant d'armes reconverti dans la production de motos de luxe. Jack a mis en place un réseau de concessionnaires et de distributeurs de pièces détachées dans l'Est des Etats-Unis. Cependant, à partir des années 1950, la qualité des motos a commencé à décliner et la livraison des pièces à devenir de moins en moins fiable. Jack a quitté BSA pour Triumph, un grand fabricant britannique qui misait sur les courses et qui produisait à cette époque les motos les plus rapides du monde. Mais une fois de plus, la qualité de la production n'a pas tardé à baisser et Jack a fini par rejoindre BMW, où il a travaillé jusqu'à sa retraite.

Mon oncle était fait pour la vente. Il adorait sillonner les routes, s'entretenir avec les concessionnaires, discuter avec les clients, inviter les gens à dîner et leur passer des diapositives des dernières courses. Mais au fil des années, le travail est devenu décourageant. Les motos britanniques ont été reléguées au fond des showrooms, détrônées par l'afflux des motos japonaises. Au début, les Honda et les Yamaha étaient lourdes et peu nerveuses, mais elles se sont améliorées. Les concessionnaires ont été également submergés de pièces détachées, alors que les pièces britanniques étaient livrées en retard – enfin, quand elles étaient livrées ! Jack disait que les Britanniques cessaient de travailler sur un produit dès que celui-ci fonctionnait. Ils ne trouvaient aucun intérêt à le perfectionner. Ainsi, les dirigeants de Triumph n'ont jamais eu l'idée – jusqu'à ce qu'il soit trop tard – de doter leurs motos d'un starter électrique.

Aujourd'hui, il pourrait être également trop tard pour les Américains. L'entreprise Ford, dont la situation est de plus en plus désespérée, proclame dans ses publicités que ses camions sont aussi fiables que ceux de Toyota et a débauché, à grands frais, un directeur général du fabricant japonais. Mais les acheteurs américains restent dubitatifs. La situation est d'autant plus préoccupante que les camions Ford se vendent généralement moins cher que ceux de Toyota. Nous sommes vraiment sur la pente descendante, et ce déclin n'est pas sans rappeler celui des Britanniques.

Notre gouvernement a assisté sans réagir à la perte des avantages compétitifs de l'industrie américaine en termes de qualité et de prix. Durant les années 1960 et 1970, sa politique était basée sur ce mot d'ordre : "Si vous voulez vendre ici, fabriquez ici." Mais au cours de la décennie suivante, ce principe n'a pas résisté à l'essor du géant chinois. On dit aujourd'hui que les Américains veulent les prix chinois, à quelque niveau qu'ils se situent. The Economist parle de villes américaines dévastées par les pertes d'emplois dans l'industrie manufacturière et par la dépréciation de logements et de magasins, mais aussi de comtés, voire d'Etats entiers.

Dans les classes aisées qui vivent sur le littoral, on observe froidement que le centre du pays, qui produit de l'acier, des automobiles et des locomotives, ne mérite plus le voyage. Les seuls secteurs de croissance sont les casinos, les loisirs, le sport et la religion. Un climat de désespoir, de cynisme et de profonde ignorance – comme on n'en voit qu'à… Liverpool – règne parmi les habitants restés sur place.

Il existe une autre similitude avec la Grande-Bretagne : le fait d'ignorer fièrement les problèmes jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Les politiciens américains continuent de prétendre que le malaise actuel est passager et que tout ira bien pour peu que nous nous montrions plus patriotes. Quand Barack Obama a utilisé le mot "amer" à propos des Américains désespérés de voir les possibilités offertes à leurs enfants plus limitées que celles dont ils ont eux-mêmes bénéficié, il a été durement critiqué. Sa description des chômeurs américains comme des gens cherchant du réconfort dans la religion et la violence a été jugée "élitiste". Même si peu de gens ordinaires connaissent vraiment la signification du terme "amer", sa consonance ne leur plaît pas.

Les emplois des Américains ont été vendus à l'étranger par leurs dirigeants d'entreprise, qui empochent des salaires et des bonus prodigieux, ainsi que par leurs élus, soucieux de financer leur campagne électorale. Des électeurs pennsylvaniens ont fait savoir qu'ils n'étaient pas "amers" et qu'ils ne se raccrochaient pas à la religion. Une femme s'est même déclarée offensée par les propos d'Obama. Elle ne semblait pas très au courant de la situation économique, ni être abonnée à The Economist. Ignorant l'ampleur des problèmes, elle n'avait pas à être "amère".

Voilà donc la réponse à nos problèmes. Soit on est ignorant, soit on est amer. Mais dans les deux cas, le spectre du chômage et les affres de la récession font que les gens qui n'appartiennent pas à l'élite vont devoir prier pendant encore quelque temps.

Jeff Danziger



25/04/2008
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