La presse américaine libre ? Mon œil !
Le
Washington Post publie la tribune d'une journaliste russe qui effectuait
un stage au sein du journal au moment de l'intervention russe en Géorgie. La
jeune femme y déplore – en toute liberté – le parti pris pro-géorgien
des médias américains.
J'aimerais pouvoir rentrer en Russie. Je séjourne aux Etats-Unis
depuis un an. Je suis venue y étudier et acquérir une expérience
professionnelle dans la presse américaine. Une presse réputée
internationalement pour son indépendance et son professionnalisme. Mais ces
derniers jours, j'ai eu le sentiment que j'étais arrivée trop tard, que le
journalisme du Watergate était bien loin et, qu'aux Etats-Unis, le travail des
journalistes n'était plus ni équilibré ni impartial.
Article après article, les médias américains ont expliqué à leurs lecteurs que
la "méchante" Russie avait attaqué un Etat voisin souverain. A les
lire, on avait souvent l'impression que le conflit avait été déclenché par une
Russie agressive envahissant le territoire géorgien d'Ossétie du Sud. Certains
journalistes ont même affirmé que Tskhinvali, la capitale de l'Ossétie du Sud,
avait été envahie par l'armée russe. La chronologie des événements,
l'enchaînement des faits ayant abouti au conflit étaient souvent laissés de
côté. Or la vérité, c'est qu'en l'occurrence, l'agression russe était
relativement justifiée. La Russie défendait ses ressortissants.
Les journaux américains n'en ont pas moins publié des articles qui passaient
sous silence l'invasion géorgienne. Et il est inquiétant de voir que dans leur
ensemble les médias américains se sont montrés pro-Géorgiens. La photo
d'ouverture, en première page du Sunday Post, montrait deux hommes
– l'un mort, l'autre en larmes – parmi les ruines de Gori (Géorgie).
De nombreuses autres images auraient pu être utilisées. Quant au Wall Street
Journal, il publiait plusieurs articles sur le conflit, y compris une
tribune du président géorgien Saakachvili. Où était le point de vue
russe ?
Je comprends que le gouvernement géorgien veuille interdire l'accès aux sites
web des journaux russes. Je comprends aussi que les médias russes présentent
les événements sous un jour favorable à Moscou. Mais les médias américains ne
sont pas censés agir ainsi.
La liberté de la presse, si chère aux Américains, garantit l'accès à une source
d'information indépendante. En vertu de ce principe, personne n'est censée
prendre parti, les journalistes présentent aux lecteurs les faits et les
laissent en tirer leurs propres conclusions. Le président géorgien a eu tôt
fait de devenir le principal pourvoyeur d'informations des médias occidentaux,
tandis qu'on ne trouvait pratiquement aucun article qui expose le point de vue
russe.
Il est difficile de comprendre comment et pourquoi la Géorgie et la Russie en
sont arrivées à une telle extrémité. Mais pour les journalistes qui écrivaient
sur le conflit, la situation était limpide : la grande et méchante Russie
essayait de détruire la Géorgie, petit pays démocratique.
L'attitude biaisée des médias américains ne pouvait qu'irriter les journaux
russes, qui se sont empressés de rappeler à leurs lecteurs que le mal était du
côté américain et qu'en dernière analyse Washington était responsable du
conflit en Ossétie du Sud et en Géorgie. Au-delà même du traitement peu
objectif de l'information, je suis également préoccupée par le flou quant au
nombre de civils tués et blessés. Qui croire ?
Tout au long de la semaine dernière, les médias américains auront au moins
réussi une chose : ils ont perdu leur prestige aux yeux d'une génération
de jeunes Russes pour qui les Etats-Unis étaient le pays de l'information
vraie, sans parti pris, indépendante. Les jeunes Russes sont nombreux à se
rendre aux Etats-Unis pour y faire leurs études et ensuite rentrer en Russie
pour contribuer à construire notre propre démocratie. Les Russes croient à la
démocratie. Mais je doute que de nombreux Russes croient encore ce qui s'écrit
dans les médias américains.
Cette presse s'est discréditée aux yeux des journalistes russes eux-mêmes, qui,
pourtant, ont longtemps considéré les médias américains comme des références en
matière de travail journalistique. Aux Etats-Unis, les journaux sont censés
défendre la vérité et être au service des citoyens. Mais quels intérêts
défendaient-ils en publiant des articles dans la plus pure tradition de la
guerre froide ?
Olga Ivanova
The Washington Post