Koira-Tégui, le quartier des indigents loueurs d'enfants


Oumarou Sofo, chef du quartier des handicapés moteurs

Par Ramata Soré

Une mère loue son enfant comme guide pour conduire un mendiant au centre-ville de Niamey. Il se doit de crier et tendre toute la journée la main aux passants. La "location" d'enfants est courante à Koira-Tégui, un quartier populeux situé à 10 km de Niamey. "J'ai assisté une fois à une transaction entre une mère qui louait son fils d'environ 7 ans pour une somme de 500 F CFA par jour à un mendiant aveugle", raconte Ousséni Issa, journaliste au journal Le Républicain, au Niger. Les frais de location dépendent de la puissance de la voix de l'enfant. Plus sa voix est forte et porte, plus le prix est élevé. Et le revenu gagné par l'enfant, combiné à celle d'une mère tresseuse et d'un époux gardien permet de faire face aux besoins de la famille. Pour joindre les deux bouts, explique Djamila, vendeuse de boule de mil pilé, "il est normal de mettre à contribution un enfant qui ne va ni à l'école, ni ne garde les animaux afin qu'il ne devienne pas un délinquant".
La location d'enfants devenue naturelle ne choque plus personne à Niamey, sauf bien sûr, les étrangers de passage. Face à cette situation, le chef suprême de Koira-Tégui, Daouda Amadou, 43 ans, père de 12 enfants avoue son impuissance : "Chacun essaie de survivre comme il peut". Lui-même, sans emploi, vit grâce aux dons de la communauté. De son avis, la majorité des familles vivent dans la précarité. Les filles, très souvent mineures, se prostituent ou se mettent sous le couvert de proxénètes. Et d'autres de transformer leurs cases en chambre de passe.

 

Quatre chefs, un village

Koïra-Tégui signifie " la nouvelle cité " en langue Djerma. Elle a été créé en 1995 suite à une décision des autorités nigériennes d'assainir Niamey. Elles voulaient se débarrasser de ses habitats précaires en y construisant des infrastructures modernes telles le stade Seyni Kountché. Ainsi, tous les ménages vivant dans des cases ont été conduits à 10km de leur premier lieu de résidence. Au fil des ans, d'autres familles démunies ont rejoint le site.
L'espace, auparavant gratuit, est devenu payant par la suite. Le mètre carré est à 1000 FCFA, et chaque famille peut disposer en moyenne de 300 mètres carrés. En cette année 2008, le chef suprême du village, Daouda Amadou, estime que la majorité des habitants sont propriétaires des parcelles sur lesquelles ont été construites des cases entourées de clôtures en paille.
"La nouvelle cité" compte trois quartiers principaux. Un, destiné aux handicapés locomoteurs. Un pour les aveugles et l'autre pour les lépreux. Chacun d'eux est dirigé par un chef. Par exemple, le village des handicapés locomoteurs, dirigé par Oumarou Soffo, 80 ans, trois épouses, 17 enfants et 27 petits-enfants, tous vivant dans la même concession, compte 129 individus handicapés.
Ce village, qui dispose de l'électricité depuis 2006, est le quartier général des mendiants. Ils prennent d'assaut chaque matin les artères de Niamey. C'est à bord de petits cars qu'ils atteignent la ville. Le ticket voyage aller-retour coûte 250 F CFA. Toutefois, "malgré la pauvreté, il existe quelques millionnaires ici. Mais ; c'est la mendicité qui est leur profession", reconnaît le chef Daouda Amadou.
Ce village rassemblant la quasi-totalité des indigents de Niamey facilite la tache à certaines structures. Elles "savent où nous trouver pour faire des offrandes. De même, les ONG nous rejoignent ici pour nous proposer des formations", note le chef de quartier Oumorou Soffo.
Concernant l'assistance, plusieurs organisations internationales comme Islamique relief, Caritas, l'Organisation nigérienne pour le développement à la base du potentiel humain (Ondph) sensibilisent les populations à la santé de la reproduction, à l'hygiène, à la gestion d'activités génératrices de revenus avec accès à des micro-crédits et à la scolarisation des enfants, etc.

 

La propagation du VIH-Sida

Ces aides sporadiques des ONG ne peuvent pallier le manque criard d'infrastructures socioéconomiques à Koira-Tégui. "Nous ne disposons que d'un seul centre de santé intégré et de six écoles primaires qui n'arrivent pas à satisfaire nos besoins", assure le chef Daouda Amadou.
Le paludisme constitue la première cause de mortalité. Sa période de haute prévalence est l'hivernage allant de juin à octobre. Le choléra et la méningite également prélèvent leur butin humain chaque année. Avec l'harmattan, les patients souffrent aussi d'affections respiratoires. Toutefois, "Malgré le fait que la prostitution soit hautement pratiquée dans le village, les habitants refusent de faire le dépistage. Or le VIH-Sida progresse", déplore le major du centre de santé, Moussa Larabou. Son centre de santé offre deux types de prise en charge. La première est gratuite car subventionnée par l'Etat nigérien. Elle concerne les enfants de 0 à 5 ans. La deuxième exige de chaque patient la somme de 950 F CFA. Le payement de cette somme donne droit à un traitement, s'il est disponible. "Ces prestations ont commencé en août 2007 et en septembre de cette même année, il y a eu rupture. Depuis cette période, nous n'avons plus eu de renouvellement de stocks de médicaments, ni reçu un centime de l'Etat", précise le major Moussa Larabou.

Accouchements sans gants par des matrones mal voyantes

Ce gros village de plus de 100 000 âmes ne dispose pas de maternité. Les femmes accouchent à la maison. Or "Il y a par mois environ 200 accouchements à domicile. Ces accouchements sont assurés par des matrones et le plus souvent ces enfants n'ont pas d'extrait de naissance", confie le major. Ces matrones dont l'âge moyen est de 65 ans sont au nombre de 15. Elles ont reçu leur dernière formation d'accoucheuse en 1995. Puis depuis, plus rien. "Elles ignorent tout des nouvelles techniques telles l'usage des gants ou les moyens utilisés pour éviter la transmission mère-enfant pour les mères séropositives. Ici, cette contamination est très fréquente", déplore un agent.
Malgré leur vieillesse doublée des problèmes de vision, les matrones sont toujours sollicitées par les populations. Elles ne perçoivent pas de salaires, toutefois, leur revenu dépend de la générosité des personnes assistées : 1000 F CFA, un savon ou un pagne… Le vœu du major Moussa Larabou est de voir ce gros village disposer d'une maternité fonctionnelle, d'un service moderne d'eau et d'un service de police pour soulager le chef suprême du village, car lorsqu'il n'arrive pas à concilier les conflits entre agriculteurs et éleveurs et les mésententes conjugaux, il les réfère à la police nationale située au centre-ville de Niamey qui est un peu éloigné du quartier.



06/02/2008
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