Italie : La vague qui veut déstabiliser Berlusconi

Depuis deux semaines, les étudiants se mobilisent contre la réforme de l'éducation. Pour attirer l'attention sur leurs revendications, ils multiplient les coups médiatiques en prenant exemple sur le Cavaliere, docteur ès-com.

L'autre jour, pendant que les retraités discutaient comme chaque jour en petits groupes sur la Piazza del Duomo à Milan, pour savoir si la police devait "frapper à coup de matraque les étudiants dans les parties molles" ou "les envoyer tous à l'hôpital, sans pitié", les jeunes de L'Onda milanaise ["La Vague", comme s'est baptisé le mouvement qui s'oppose à la réforme de l'éducation votée le 30 octobre] sont arrivés avec des bancs pour écouter sur la place les cours de leurs professeurs. Les étudiants milanais compensent ainsi leur faible nombre par des astuces de guérilleros médiatiques qui mériteraient d'être sérieusement étudiées par l'opposition de gauche. "Nous serons imprévisibles", avaient-ils promis. Et c'est exactement ce qu'ils font. A Milan, on compte deux fois moins d'étudiants mobilisés qu'à Rome, mais ils arrivent à faire parler d'eux tous les jours.

Un plan de la ville à la main, ils se répartissent dans divers secteurs de la cité. Il y a quelques jours, ils ont bloqué la circulation, donnant l'impression qu'ils étaient très nombreux. Dans le grand amphi de la Statale [l'université publique], qui avait été le temple de l'agitation soixante-huitarde, on peut assister à un collectif sur le thème de la communication. "Occupations, slogans, manifs, tout ça c'est vieux, ça sent le moisi. Nous devons inventer chaque jour un bon truc pour le journal télévisé, faire comme Berlusconi. Quand il ne veut pas qu'on aborde la baisse des rémunérations des professeurs, que fait-il ? Il lance un débat sur le retour du tablier à l'école", peut-on entendre. Chacun fait tourner son imagination. Un jour, ce sont des cours sur la Piazza del Duomo, au nez et à la barbe des vieux ronchons ; un autre, c'est un sit-in, livres de cours à la main sur les voies du tramway ; un autre encore, une distribution aux passants de messages dans des bouteilles. Il y aussi la fête ouverte à tous, car "il faut bien s'amuser un peu", disent-ils.

Marco prend la parole. "Il ne faut pas les laisser nous traiter comme des bandits. Il ne faut pas qu'on se fasse avoir comme les salariés d'Alitalia, ni traiter de tire-au-flanc comme ceux de la fonction publique, ou de délinquant comme les immigrés. S'ils nous collent dessus une étiquette du genre : ‘ils sont communistes' ou ‘ils ne veulent pas étudier', on l'aura dans le baba", lance-t-il. Mais, jusqu'à présent, ils ont réussi à échapper à l'inscription sur les listes noires du nouveau maccarthysme, à échapper à la chasse aux sorcières qui, chaque fois, concentre la colère des foules sur une microcatégorie, généralement de pauvres bougres.

Ils ont vingt ans. Ils ne savent rien de 68, pas grand-chose de 77 [un mouvement de révolte comparable à celui de 68]. Ils ne s'intéressent pas à la politique, et pas davantage à l'antipolitique, et ce n'est pas un truc pour ne pas passer pour "des cocos". En dix ans, de 1996 à 2008, l'abstentionnisme électoral a doublé dans la tranche des 20-30 ans, elle est passée de 9 à 18 %. Ils sont nés et ont grandi en plein berlusconisme, au cœur de l'empire politique et médiatique du Cavaliere, et ils ont développé des anticorps efficaces. En plus d'une véritable obsession pour les questions de communication. "C'est notre vie quotidienne", assure Luca, étudiant en sciences politiques. "Pour se faire un peu de fric, qu'est-ce qu'on fait ? On travaille pour les centres d'appel, on est serveurs dans les bars, livreurs, certains font des petits boulots dans la pub. Bref, on est toute la journée au contact du public, des gens normaux", poursuit-il.

"La première règle pour communiquer les contenus de notre lutte, c'est d'éviter de se coller une étiquette politique. Nous ne serons jamais les petits soldats d'un parti", ajoute Carlotta, leader d'un groupe de guérilleros médiatiques qui chaque jour fait le point sur ce qui se dit dans la presse, à la radio, à la télévision, analyse et étudie le moyen de "faire de l'info". Certains font preuve d'un vrai talent. Ainsi, les étudiants du département de sciences politiques ont créé une revue, Acido Politico [Acide politique], le meilleur journal universitaire de ces dernières années, créé, dirigé et, jusqu'en 2007, écrit presque entièrement par un étudiant, Leo. Son nom complet est Leonard Berberi, il est albanais. Il est né à Durazzo, et quand il est arrivé en Italie, à l'âge de 10 ans, il ne parlait pas un mot d'italien.

Le marketing du mouvement milanais marche bien et L'Onda commence à grossir. Les professeurs commencent à bouger et à se montrer solidaires.

Curzio Maltese
La Repubblica



08/11/2008
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