Investiture de Blaise : Après la "hauteur d'homme", cap sur la céleste
La grand-messe a été dite. Tout peut commencer à présent. Le candidat Blaise va pouvoir se lancer à l'assaut de l'électorat avec son armada de supporters et d'alliés. Plus qu'en 2005, il a besoin d'une victoire éclatante. Le souci n'est pas la présente élection qu'il compte gagner sans coup férir, mais la prochaine qu'il n'est pas autorisé à briguer en raison de la limitation des mandats qu'impose la constitution. Pour enfreindre la loi fondamentale, Blaise sait que sa majorité au parlement ne suffit pas. Il lui faut la légitimité. Il croit pouvoir trouver celle-ci dans le score qu'il obtiendra au soir du 21 novembre. S'il obtient un plébiscite, la porte sera ouverte pour procéder à la révision de l'article
Heureux comme des gamins ces responsables du CDP. Il fallait les voir sur les gradins du Palais des sports, le samedi 21 août dernier. Contrairement à 2005 où la pluie avait gâché la fête à Ziniaré, la soirée du 21 août dernier avait été précédée par une abondante pluie matinale, ce qui a favorisé une température très clémente. Il fallait voir les mines réjouies des stratèges des grandes victoires du CDP. D'habitude crispé, Léonard Compaoré affichait une sérénité peu ordinaire. Kanidoua, le balaise, se fendait d'un rire caverneux. Alain Yoda, le petit bissa tout agité et si heureux qu'il avait du mal à tenir sur sa chaise. Hubert Yaméogo, le colosse du Bulkiemdé. Celui-ci avait l'air de nous prendre à témoin de l'extraordinaire mobilisation de son parti. Basile Guissou, d'habitude prêt à pousser des cris d'orfraie sur la poussée libérale au sein de son parti, semblait avoir rangé ses scrupules pour se mêler à la cohue générale. Lui qui d'habitude donnait l'impression d'avoir vieilli sous le poids de ses bouquins semblait avoir pris une cure de jouvence. Et que dire de Moshe, le maoïste reconverti aux vertus capitalistes, d'Achille Tapsoba, le philosophe entré en politique et qui a peu à peu pris congé de la rigueur conceptuelle pour cause de réalisme politique. Jean Marc Palm, Kader Cissé, ces anciens adeptes d'Enver Hodja, de Souslov et de Mao, convertis au compaorisme après l'étape de la Révolution démocratique et populaire (RDP). Tout ce beau monde était là pour célébrer Blaise, "le candidat multipolaire", "l'homme de dialogue", "l'homme qui avance avec son peuple", "le facilitateur, artisan de la paix". Nous nous en voudrions d'oublier Kadidiatou Korsaga, militante de la première heure, Saran, l'ex-étudiante rebelle, femme politique de proximité. Voici le tableau de la nomenklatura du CDP. Joliment habillés, leur présence était remarquable. Tout aussi remarquables étaient les militants de l'ADF/RDA, arborant l'uniforme à l'effigie de l'éléphant et décidés à faire sensation à l'aune de l'applaudimètre. On a désormais pris l'habitude de compter avec les chefs coutumiers à chaque manifestation du parti au pouvoir, en particulier en période électorale. Enfin il faut souligner la présence de nombreuses banderoles, magnifiant les "qualités exceptionnelles" de leader du candidat.
Le défi de l'organisation
L'investiture du candidat Blaise est le premier défi d'envergure du directeur de campagne, Assimi Koanda. Au-delà de la grande mobilisation des partis et associations qui soutiennent la candidature de Blaise, on aura noté la touche traditionnelle conférée à l'événement avec l'impressionnante présence de la cavalerie. C'est certainement la contribution des chefs traditionnels qui ne se sont pas contentés de leur présence physique. Le cheval est le symbole par excellence du pouvoir traditionnel, en particulier chez les Moose. Avec la présence d'une bonne centaine de chevaux constituant la haie d'honneur, les coutumiers renforcent sans complexe leur arrimage à Kosyam. La sortie spectaculaire d'un chef coutumier sur la piste, esquissant des pas de danse en compagnie de la chanteuse Wendy montre bien que ces derniers ne se gênent pas d'afficher publiquement leur parti pris quand il s'agit surtout des manifestations du pouvoir. Ce n'est pas demain la veille que nos responsables de la coutume vont accepter la dépolitisation de leur fonction. Le débat initié par le CGD sur la question a révélé les résistances parfois farouches de leurs représentants les plus en vue. Blaise apparaît comme celui qui les a réhabilité après la traversée du désert qu'a constitué pour eux la période révolutionnaire. Mais à vouloir trop réaliser la symbiose avec les puissants du moment, ne risquent-ils pas de le payer très cher quand tournera le vent ? Il est sans doute temps de négocier un statut social reconnu par l'ensemble des composantes politiques et sociales du pays. C'est le seul moyen de se mettre à l'abri des aléas politiques.
La volonté de Blaise est de ne pas dépendre d'un parti dont les exigences ne s'accommodent pas toujours avec ses ambitions personnelles. Il est normal qu'un dirigeant cherche à nouer des alliances au-delà de sa formation politique. Mais les alliances doivent obéir à des principes. L'histoire politique du Burkina nous a suffisamment instruit sur les processus de création des partis et leurs stratégies politiques. Dans la kyrielle des partis qui soutiennent le chef de l'Etat, nombre d'entre eux sont directement inspirés par Blaise lui-même. Selon les besoins du moment, ils sont hibernés ou réactivés. En dehors de l'ADF/RDA et dans une moindre mesure l'UPR, ces partis n'ont aucune activité en dehors des périodes électorales. Ce sont des partis mercenaires entièrement acquis à la cause de Blaise Compaoré. Ils n'ont aucune trésorerie propre et vivent de quelques subsides qui leur sont de temps en temps accordés par Kosyam. Même l'ADF/RDA est largement tributaire de la générosité du chef de l'Etat. La stratégie de ce parti, c'est de rester le plus longtemps possible scotché au généreux donateur dans le but de capter des financements. A la différence des autres, il a une base politique réelle qu'il s'emploie à monnayer au prix fort. Gérard Kango en homme politique avisé sait bien que son fils n'a pas encore la carapace d'un chef d'Etat. Il lui a sans doute conseillé de se mettre au service de Blaise en attendant son heure. Cependant, la mise en œuvre de cette stratégie ne va pas sans problème. La récente polémique sémantique sur son appartenance à la mouvance présidentielle est à cet égard révélatrice. Gilbert comme on le sait ne se dit pas membre de l'Alliance pour la majorité présidentielle (AMP), mais plutôt de la majorité présidentielle. Cette nuance sémantique (si elle existe) a un objectif : ne pas se confondre à cette kyrielle de formations politiques indigentes, de sorte à pouvoir capter une part consistante de la manne. Il a apparemment réussi à faire passer son manège, sans doute parce que cela entre dans le jeu de Blaise Compaoré. Un CDP trop fort et sûr de lui n'est pas souhaitable pour lui. Mais les dirigeants de ce parti ont-ils seulement la volonté et le courage de passer outre cette vision ? Tant que Salif Diallo était là, le CDP pouvait résolument s'opposer aux prétentions de l'ADF/RDA. On l'a vu aux dernières élections législatives au Nord quand il était le commissaire politique de cette zone. Mais il n'est plus aujourd'hui qu'un militant de base. L'exhibitionnisme auquel l'ADF/RDA s'est livrée au Palais des sports le 21 août dernier témoigne bien de l'assurance dont fait montre ce parti depuis sa disgrâce. L'UPR s'est récemment inscrite dans la même stratégie que l'ADF/RDA avec cependant moins de succès. Le leader de ce parti n'avait pas hésité à s'engager dans des activités factieuses au sein de l'AMP en tentant de constituer un groupe à part. Malheureusement pour lui, les partis qu'il a touchés n'ont pas marché dans le coup. Il a néanmoins persisté en faisant bande à part dans une déclaration de soutien à la candidature de Blaise Compaoré. Que le cérémonial de l'investiture ne l'ait pas prévu parmi les intervenants du jour montre bien que son initiative n'a pas été validée. Avec un personnage ombrageux comme Simon Compaoré à la coordination de l'AMP, Toussaint Abel Coulibaly peut être sûr qu'il est désormais en zone de turbulence.
La vie politique complètement gangrénée
Devant le piteux spectacle qu'offrait partisans de l'ADF/RDA, du CDP et de la FEDAP/BC dans leur frénésie à vouloir prouver à l'applaudimètre leur représentativité, un confrère d'une radio internationale nous confiait hilare : "Blaise est fort. Il a réussi à opposer les gens et il est lui-même assis tranquille". La coterie entretenue par les responsables de ces organisations ne pouvait cacher la gêne que l'on ressentait dans l'immense cuvette du Palais des sports. Les militants de base ne comprennent rien à ces subtilités, eux expriment de manière brute la rivalité profonde entre les organisations. Cela fait penser à cette rencontre à la Chambre de commerce de Ouagadougou où Ladji Kanazoé invitait les opérateurs économiques à cotiser massivement pour aider à l'établissement de la CNIB afin que Blaise puisse remporter une victoire éclatante. Comme si tous les membres de cette Chambre étaient des supporters de Blaise. Les relais sur le terrain ne comprennent pas toujours les subtiles stratégies des cercles politiques élitistes. Blaise Compaoré a complètement faussé le jeu politique en développant un clientélisme qui confine au mercenariat. Inutile de demander à des hommes politiques totalement dépendants dont certains ne sont rien d'autres que des délinquants dont on a mis le pied sur leurs dossiers de justice de se comporter en hommes politiques responsables. C'est l'équation politique qui se pose à tous les démocrates qui appellent de leur vœu un impossible changement par les urnes. C'est le sens profond de la revendication d'une refondation de l'institution républicaine. En attendant cela, Blaise continue sa fulgurante chevauchée. Quel score lui faudra-t-il pour se faire une nouvelle légitimité ? En 2005, il avait acquis un score " à hauteur d'homme ". Il lui faudra désormais culminer dans les 90% pour atteindre la hauteur céleste digne de la stature royale qu'il s'est bâtie ! GNB