Inde : Quand la pression sociale tue

 

Peur de l'échec, stress : nombre de jeunes Indiens succombent à la pression sociale et mettent fin à leur vie. Un phénomène qui prend une dimension inquiétante, rapporte Asia Times, un webzine basé à Hong Kong et Bangkok.

"Mon fantôme reviendra hanter mes professeurs", déclarait la lettre laissée par un jeune Indien qui s'est récemment tiré une balle dans la tête à cause du stress des examens. Voici peu, Rajneesh Mittal, 17 ans, a bouleversé l'opinion en tentant de se tuer dans une salle d'examen. Le mois de mars est le plus redouté des lycéens indiens : c'est celui des examens, et la pression est parfois mortelle. Cent jeunes se sont déjà suicidés cette année, et le pays se demande si le nombre de morts dépassera celui de 2006, où 5 857 jeunes avaient tenté de se suicider à cause du blues des examens, selon le Bureau national des statistiques criminelles.

Plus inquiétant encore, même ceux qui ne passent pas à l'acte sont aux prises avec une anxiété et une dépression aiguës. Certains expérimentent de macabres recettes antistress. Comme une potion à base de morceaux de lézard, ou des tartines à la crème antalgique et au cirage, ou encore les médicaments antiépilepsie, les vapeurs de dissolvant… Le stress des examens n'est pas un phénomène particulièrement nouveau dans le paysage scolaire et universitaire indien. Les cas de dépression ou de suicide sont devenus chose commune depuis plusieurs années. Mais la situation s'est récemment aggravée, et il ne se passe pratiquement pas un jour sans que les journaux et les chaînes de télévision ne rapportent le cas d'un jeune ayant mis fin à ses jours.

Qu'est-ce qui pousse les lycéens et les étudiants à passer à l'acte aujourd'hui ? Selon les experts, la pression des parents et des pairs, la montée des ambitions et la concurrence féroce produisent un cocktail mortel pour ces jeunes esprits. Selon le Dr Veena Deb, un psychologue de Delhi, "les attentes des parents ont énormément augmenté au fil des ans et poussent ces jeunes jusqu'au point de rupture". Alors que l'Inde connaît une croissance remarquable et une augmentation foudroyante des salaires, la société exige des jeunes qu'ils réussissent.
La détresse des lycéens est aussi due au système éducatif moderne : dépassé et pesant, il insiste trop sur les examens et néglige le développement de la personnalité. On ne peut nier également la pression démographique – près de 70 % des 1,1 milliard d'Indiens ont moins de 30 ans et une bonne partie font des études. Cette concurrence entraîne un énorme fossé entre la demande et l'offre. Cette année par exemple, plus de 1,3 million d'élèves se présentent aux examens de fin d'études secondaires, contre 1,2 million en 2007. Ces chiffres énormes créent une lutte effrénée pour un nombre limité de places disponibles dans les meilleures écoles d'ingénieurs, les facultés de médecine et les écoles de commerce qui débouchent sur les carrières les plus lucratives. Le très coté Institut indien du management (IIM) reçoit ainsi 250 000 demandes d'inscription pour 1 200 places chaque année. L'examen d'entrée y est donc encore plus sélectif que toutes les écoles de commerce américaines prises ensemble : le taux de réussite varie entre 0,1 % et 0,4 %, alors qu'il tourne entre 5 et 10 % pour les meilleurs établissements américains.

Les partisans d'une amélioration du système éducatif accusent souvent le gouvernement de consacrer trop peu de fonds à l'enseignement. Selon la commission Kothari, qui a été constituée en 1966 et a proposé un projet de réforme du système, l'Etat devrait consacrer à l'enseignement au moins 6 % du produit intérieur brut. Or le chiffre tourne actuellement autour de 4 %, bien moins que l'Arabie Saoudite et ses 9,5 % – la Norvège, la Malaisie, la France et l'Afrique du Sud tournant pour leur part à un peu plus de 5 %. Beaucoup pensent en outre que le système éducatif indien, qui repose sur un modèle archaïque établi au XIXe siècle par les Britanniques, a besoin d'une refonte globale. Les vagues tentatives du Conseil central pour l'enseignement secondaire de relâcher les critères d'admission et de rendre les examens moins stressants ont été rejetées, au motif qu'elles étaient accessoires et ne s'attaquaient pas à la racine du problème.

Repères

• La tradition des mariages arrangés est également une cause de suicide chez les jeunes. Certains ne supportent plus cette décision parentale.
• Pour tenter de secourir les jeunes en danger, des lignes d'écoute se sont multipliées. Ainsi une ligne d'assistance aux jeunes étudiants, Sakshat, emploie-t-elle des professeurs qui dispensent des conseils pour les examens et un soutien moral aux lycéens.
• Paradoxalement, la médiatisation accrue des suicides a entraîné la multiplication de sites Internet et de blogs qui expliquent comment mettre fin à ses jours à coup sûr. Basés en Inde ou à l'étranger (notamment au Royaume-Uni), ces sites sont la hantise des parents. A juste titre : entre 2005 et 2006, les suicides de jeunes ont augmenté de plus de 36 % à Bangalore. Selon des experts, cela s'expliquerait en partie par la qualité des connexions Internet disponibles dans la Silicon Valley indienne.

Neeta Lal
Asia Times Online



10/04/2008
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