Hilary- Obama : Un bien triste spectacle
Passionnante
à ses débuts, la bataille au sein du camp démocrate devient exaspérante.
D’autant qu’elle facilite la tâche du candidat républicain.
Cette
élection présidentielle était censée être un rendez-vous historique. Or, depuis
quelques semaines, on la voit sombrer peu à peu dans la médiocrité. Résultat :
le public et les médias montrent des signes de lassitude vis-à-vis de ce qui
était jadis perçu comme une campagne passionnante.
Dans les grandes élections, les électeurs sont pleinement conscients des
enjeux. Ils se concentrent sur les problèmes essentiels, pas sur les faiblesses
personnelles des candidats. Lors des grandes consultations électorales, comme
ce fut le cas en 1968, en 1980 et en 1992, les électeurs ont conscience que
leur vote orientera ou non le pays dans une nouvelle direction. La campagne de
l’an 2000 est un excellent exemple de ce qui arrive quand un scrutin semble
sans conséquences. George W. Bush savait que le pays était globalement
satisfait des deux mandats de Bill Clinton. Il s’est fait passer pour bien plus
modéré qu’il ne l’était en réalité et s’est même posé, à l’occasion, en
héritier centriste capable d’endosser les aspects positifs de la présidence de
Bill Clinton. Du coup, lors du premier débat électoral, les électeurs se sont
concentrés sur les soupirs du candidat démocrate de l’époque, Al Gore, et sur
sa prétendue tendance à exagérer.
Avant la bataille pour la primaire de Pennsylvanie du 22 avril, l’élection 2008
semblait bien partie pour être un grand cru. La désillusion profonde que le
pays éprouvait vis-à-vis de Bush laissait présager que les électeurs allaient
prendre une nouvelle direction, tout à fait différente de celle qui avait porté
Ronald Reagan au pouvoir, il y a vingt-huit ans. Dans les débats et dans les
meetings, seules les questions importantes étaient abordées : une guerre en
Irak où la victoire s’éloigne de jour en jour, une économie en plein marasme,
un système d’assurance-maladie qui ne satisfait ni les salariés ni les
employeurs.
Nul plus que Barack Obama n’a bénéficié de ce sentiment de vivre un moment
historique. C’est le changement, et non l’expérience, qui était à l’ordre du
jour. L’enthousiasme était la vertu la plus prisée dans les discours. Une
rupture nette avec le passé – et pas seulement un retour aux jours meilleurs –,
telle était la promesse la plus appréciée. Puis quelque chose est arrivé. Le
révérend Jeremiah Wright, pour être précis. [L’ancien pasteur de Barack Obama
est, depuis le mois de mars, au centre d’une polémique pour avoir tenu des
propos considérés comme racistes et antipatriotiques.]
Jadis considéré comme un prophète, Obama n’est plus aujourd’hui qu’un simple
être humain qui s’exprime avec indifférence dans les débats et se permet de
parler de l’amertume de certains électeurs, les rendant du même coup encore
plus amers. Tout cela a servi Hillary Clinton, qui a su saisir la perche. Ses
vieux défauts prennent aujourd’hui l’allure de qualités : elle n’est plus
considérée comme une personnalité du passé, mais comme quelqu’un qui a fait ses
preuves. Elle n’est plus celle qui a été passée à la moulinette par les médias,
mais une candidate qui a été éprouvée. Enfin, ce n’est plus une politicienne
prête à tout pour gagner, mais une battante. Et elle se retrouve soudainement
l’héroïne des conservateurs et non plus la victime d’une vaste conspiration de
droite.
Les commentateurs conservateurs sont désormais mieux disposés envers la
candidate. Ou du moins plus acerbes à l’égard d’Obama. Bien entendu, il ne
s’agit là que d’une conversion temporaire. Mais il y a tout de même une leçon à
tirer de leur empressement à attiser la querelle démocrate actuelle. Pour les
conservateurs, il ne s’agit pas uniquement de s’amuser à regarder Clinton et
Obama s’éviscérer mutuellement. Plus l’élection semble médiocre, plus les
républicains peuvent mener une campagne où les défauts des candidats du camp
adverse prennent une importance exagérée, comme en 1988 et en 2000. La portée
du choix que les électeurs vont faire pour l’avenir du pays se réduit. Si Hillary
Clinton obtient l’investiture du Parti démocrate, pour l’emporter au mois de
novembre, elle aura besoin, tout comme Barack Obama, que cette élection soit
considérée comme une grande élection. C’est là une chose que Richard Nixon,
Ronald Reagan et Bill Clinton ont bien comprise lors des scrutins qu’ils ont
remportés.
Les candidats et les médias, avec l’aide de Jeremiah Wright, font tout ce
qu’ils peuvent pour faire passer ce scrutin par la machine à rétrécir. Obama et
Clinton ne doivent pas, en sus, priver les électeurs de la grande élection
qu’ils appellent de leurs vœux.
E.
J. Dionne Jr.
The Washington Post