Groupe Le Monde : les raisons d’un conflit
Un
plan de redressement impliquant 130 suppressions d’emplois et la cession de
plusieurs titres a été annoncé le 4 avril par la nouvelle direction du groupe
Le Monde, auquel Courrier international appartient. Les salariés se
mobilisent. Récit.
Il
y avait, le 11 avril, rue Jean-Antoine-de-Baïf, de la colère dans les voix et
des pancartes éloquentes : “Le Monde dévore ses enfants” ou “Fottorino
fossoyeur de Fleurus Presse”. Quelque 250 salariés du pôle Magazines du
groupe Le Monde (regroupant Courrier international, Télérama, La Vie,
Fleurus Presse, Le Monde des religions, Danser, etc.), très remontés,
étaient réunis en assemblée générale pour envisager les suites à donner à leur
mouvement, amorcé après l’annonce, le 4 avril, du plan d’économies. Celui-ci
prévoit d’une part la suppression de 130 emplois à la Société éditrice du Monde
(SEM), dont 85 à 90 journalistes du quotidien (le quart de l’effectif), et la “cession
des entités déficitaires et non stratégiques”, dont Fleurus Presse (qui
édite des journaux pour enfants et adolescents), Danser, les Cahiers du
cinéma et les librairies La Procure. Après quelques heures de grève, le
mouvement a été levé contre l’assurance de pouvoir rencontrer la direction et
que soient publiés des articles relatant le conflit dans Télérama, La Vie et
Courrier international.
Un peu partout dans le groupe, les salariés savaient que l’heure serait à la
rigueur – on connaît l’étouffant endettement du groupe Le Monde et les pertes
récurrentes du quotidien, ainsi que les déficits de Fleurus. Mais la brutalité
des chiffres a coupé le souffle. Au quotidien, où l’on a depuis longtemps
oublié l’austérité du fondateur, Hubert Beuve-Méry, elle a fait l’effet d’un
coup de tonnerre. Le Monde du 15 avril n’a pas paru – en grève, fait rarissime
dans son histoire ; les salariés ont adopté, à une écrasante majorité, une
motion demandant un nouveau plan de redressement, refusant tout départ qui ne
serait pas volontaire, ainsi que tout projet de cession des magazines.
Au pôle Magazines en général et chez Fleurus en particulier, l’annonce a été,
en outre, ressentie comme une trahison. “C’est un plan d’une violence
inouïe, sorti sans concertation du chapeau du directoire”, s’indigne un
membre de l’intersyndicale (CGT, SNJ, CFDT). Ici, personne n’a oublié qu’Eric
Fottorino a été élu à la présidence du groupe, en janvier dernier, sur la
promesse de maintenir le groupe “à périmètre égal”. “Il faut être
pragmatique”, répond aujourd’hui le journaliste devenu manager. “La
dégradation de nos recettes publicitaires, de l’ordre de 5 millions d’euros,
nous a obligés à revoir nos budgets à la baisse. Dans ces conditions, il n’est
ni raisonnable ni responsable de conserver des entités dont nous n’aurons pas
les moyens d’assurer le développement ni le redressement.”
Au pôle Magazines, les salariés demandent “un véritable plan de
redressement, élaboré dans la concertation, sur la base de chiffres clairs”.
Ils souhaitent que soient mis sur la table et rediscutés les salaires des dirigeants,
leurs notes de frais et leurs avantages en nature. “Nous n’accepterons aucun
licenciement ni aucune cession tant que la transparence ne sera pas complète
sur la gestion du groupe”, affirment-ils. La direction se dit prête à
discuter. “Les modalités feront l’objet de discussions ouvertes, assure Fottorino.
En revanche, nous devons tenir l’objectif compte tenu de notre situation
économique.” Lors d’une réunion avec l’intersyndicale du pôle, le 14 avril,
la direction a promis, selon le compte rendu de l’intersyndicale, “des
mesures d’équité et de transparence en ce qui concerne le système aujourd’hui
opaque des primes, et l’abandon de quelques avantages en nature un peu trop
voyants”. Elle a assuré que la hiérarchie serait également touchée par les
suppressions de postes. Mais, “sur le fond, ils ne veulent rien concéder”,
poursuit le communiqué de l’intersyndicale. Au quotidien Le Monde, une
nouvelle assemblée générale était prévue mercredi 16, au lendemain d’un comité
d’entreprise extraordinaire au cours duquel devait être entamée la procédure
d’information et consultation concernant les suppressions d’emplois.
L’équation est délicate, qui suppose pour les salariés de sauver des emplois,
le plus possible, d’obtenir des garanties, de partager équitablement la
douloureuse. Mais aussi, pour tous, de maintenir une indépendance
capitalistique déjà bien mise à mal.