Etre homosexuel à Soweto

A l’avant-garde du combat contre toutes les discriminations, la “nation arc-en-ciel” vient de légaliser le mariage des couples de même sexe. Mais les mentalités évoluent moins vite que le droit…

Dans ce bar clandestin installé dans une maison d’un quartier reculé de Soweto, des hommes et des femmes sirotent des bières tièdes, font connaissance, flirtent et dansent parfois au rythme du kwaito, la nouvelle pop sud-africaine. Ils partagent un secret.
Ce bar, un shebeen, comme on dit dans les townships, est l’un des lieux où les jeunes Noirs homosexuels peuvent parler tranquillement et faire des rencontres sans avoir à se cacher, un refuge au cœur d’un environnement souvent hostile.
L’Afrique du Sud a été pourtant en 1996 le premier pays au monde à se doter d’une Constitution protégeant ses citoyens contre toute discrimination liée à l’orientation sexuelle. C’est d’ailleurs pourquoi la Cour constitutionnelle a récemment ordonné au gouvernement de légaliser le mariage homosexuel, chose faite depuis le 30 novembre. En conséquence, le pays abrite la communauté gay et lesbienne la plus visible d’un continent où l’homosexualité est souvent clandestine. Elle est présentée comme un héritage du colonialisme et de la culture blanche, contraire à la tradition africaine.
Mais protection juridique ne signifie pas acceptation sociale. La solitude, la peur et la violence sont souvent le lot quotidien des homosexuels sud-africains. “J’ai été violée six fois, dont cinq juste parce que je suis homo : c’était des hommes que je connaissais et qui voulaient me montrer ce que c’est d’être une femme. Ils pensaient qu’ils allaient me faire changer”, raconte une jeune femme de Soweto. En février dernier, dans une township de la banlieue du Cap, Zoliswa Nkonyana, 19 ans, est morte après avoir été poursuivie par la foule, frappée à coups de clubs de golf et de briques, et poignardée en raison de son orientation sexuelle. Personne n’a été arrêté, souligne Donna Smith, présidente du Forum for Empowerment of Women [une organisation qui travaille avec des lesbiennes noires dans les townships] et membre de la Coalition des lesbiennes africaines, qui fédère des associations de 14 pays. “L’une des premières choses que nous avons faites, ce fut d’organiser une campagne contre les crimes homophobes. Lors de la première réunion, nous avons demandé aux femmes présentes si elles ou quelqu’un dans leur entourage avaient été victimes de ce type de violence : toutes ont levé la main.”
Pendant la Gay Pride de mars dernier, des passants ont lancé des bouteilles sur le char du Forum parce qu’il présentait l’homosexualité comme faisant partie intégrante de la culture africaine, raconte encore Donna Smith. “Certains pensent que l’homosexualité a été importée par l’homme blanc. Mais cela a toujours existé ! Ce que l’homme blanc a apporté, c’est l’homophobie, drapée dans des doctrines religieuses que nous ne connaissions pas avant son arrivée.”
Les anthropologues attestent en effet que l’homosexualité était largement tolérée dans l’Afrique précoloniale. Le Britannique Edward Evan Evans-Pritchard a découvert par exemple que les guerriers azandés du nord du Congo avaient l’habitude de se marier avec de jeunes hommes, qui faisaient office d’épouses temporaires. Cette pratique a disparu au début du XXe siècle.
Dans la nouvelle Afrique du Sud démocratique, les homosexuels veulent croire que leur orientation ne pose pas de problème, note Donna Smith. Mais pour beaucoup ce n’est pas le cas, si bien qu’ils fréquentent des lieux où ils se savent acceptés et en sécurité.
Gundi Dube, le propriétaire du shebeen, accueille lui-même les clients et juge s’il peut les laisser entrer dans la cour bondée du bar. Une femme arrive, que Dube, “Scotch” pour les habitués, embrasse chaleureusement : “C’est bon, c’est une policière, mais elle est des nôtres.” “C’est ça, la nouvelle Afrique du Sud. Nous avons tous lutté ensemble contre l’apartheid, alors aujourd’hui tout le monde se fiche de savoir si vous êtes homo ou hétéro”, confie un homme d’âge moyen… qui demande aussitôt à être cité sous le pseudonyme de Cassie : il ne veut pas que les gens en dehors du bar sachent qu’il est gay.

Le mariage gay, une disgrâce “pour la nation”, selon M. Zuma

Cassie est agacé par Sipho, un jeune homme grand et mince, vêtu d’un jean blanc et d’un blouson kaki délavé, qui se trémousse sur de la musique kwaito tonitruante et qui vient de le draguer très crûment. “Je n’aime pas ce genre de mec. Le problème avec les gays des townships, c’est qu’ils couchent avec n’importe qui. Cela nous tue. Le sida nous tue”, s’emporte Cassie, qui a perdu récemment celui qui était son compagnon depuis dix-huit ans.
L’Afrique du Sud est, après l’Inde, le pays qui compte le plus grand nombre de personnes infectées par le VIH. En Afrique australe, les rapports hétérosexuels sont le premier mode de transmission. Mais, selon une étude menée à Durban début 2006, un tiers des homosexuels sud-africains seraient séropositifs.
Dans la plupart des pays d’Afrique, l’hostilité est souvent alimentée par les propos homophobes des politiques, explique Donna Smith. Jacob Zuma, l’ancien vice-président sud-africain [et possible candidat à la présidentielle de 2009], déclarait ainsi en septembre que le mariage homosexuel était une disgrâce “pour la nation et pour Dieu”, avant d’ajouter : “Quand j’étais jeune homme, je n’aurais jamais laissé un homosexuel m’approcher : je lui aurais cassé la gueule.” Il s’est ensuite excusé, mais ses propos retentissent encore douloureusement dans la communauté gay. Au Zimbabwe, le président Robert Mugabe a déclaré que les homosexuels étaient “pires que des porcs ou des chiens”. Et en Ouganda le président Yoweri Museveni a demandé à la police de faire des rafles dans les milieux homos.
En Afrique du Sud, c’est différent, affirme Donna Smith. La communauté homosexuelle est plus visible, plus vivante. Grâce à la loi, les mentalités changent lentement, pas à pas. “Mais le pays a encore beaucoup de chemin à faire.”

Terry Leonard
Mail & Guardian



12/02/2008
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