Emigrer en Afrique du Sud à tout prix

 

On aurait pu penser que les attaques contre les étrangers en Afrique du Sud freineraient le flux migratoire vers ce pays. Mais, à la frontière avec le Zimbabwe, il y a toujours foule. Reportage.

Le massacre de soixante-deux étrangers, dont une dizaine de Zimbabwéens, lors des récentes violences xénophobes en Afrique du Sud ont choqué le monde entier. Mais plus choquant encore est le fait que, quelques jours après ces événements, les Zimbabwéens sont encore nombreux à vouloir se rendre dans ce pays. A 5 heures du matin, ils bravent déjà le froid en attendant le permis qui les autoriserait à passer la frontière. Certains discutent des atrocités que leurs compatriotes ont subies à Johannesburg, à Durban et au Cap. “Nous ne nous laissons pas dissuader par les détails de la façon dont ils ont été massacrés. Ici aussi, nous nous tuons les uns les autres. Alors, pourquoi avoir peur ?” demande Nelson Mwatse, un homme 40 ans.

“Nous mourons de faim et nos voisins sont notre seul espoir, poursuit Jane Chari. S’ils ne peuvent rien faire pour améliorer notre situation politique, nous ne pensons pas que ce soit trop leur demander de nous laisser acheter de la nourriture chez eux.” Un autre homme précise que, depuis qu’il a commencé à acheter des produits en Afrique du Sud pour les revendre chez lui, il a pu nourrir sa femme et ses deux filles. “Cela ne sert à rien de travailler au Zimbabwe. On n’y gagne même pas assez pour se loger dans les pires banlieues de Harare [la capitale du Zimbabwe], dit-il. Nous sommes prêts à prendre des risques en Afrique du Sud.”
Les commerçants qui se pressent autour de la gare routière où sont stationnés les autocars à destination de l’étranger n’ont pas, eux non plus, été découragés par les informations sur les attaques sanglantes. “Qu’est-ce qui nous reste ici, maintenant que nous ne pouvons même plus choisir nos dirigeants ? C’est notre vie à présent. Nous passons beaucoup de temps sur la route qui mène en Afrique du Sud. Voyager dans ces cars est risqué. Mais si nous ne le faisons pas, nous mourrons quand même”, explique Tafara Sibanda en attendant le car pour Johannesburg. Cet homme, qui fabriquait des chaudières, a démissionné parce qu’il était mal payé. Il a ensuite travaillé en Afrique du Sud pendant une brève période. Mais il n’a pu continuer, à cause de l’hostilité des Sud-Africains qui lui reprochaient de ne pas se joindre à eux quand ils faisaient grève pour obtenir des augmentations de salaire. “Aujourd’hui, j’y vais seulement pour acheter de l’outillage électrique et des aliments pour les revendre ici”, dit-il. Mais ce n’est pas la première fois que des Zimbabwéens sont la cible d’attaques dans un pays voisin. Les Botswanais se plaignent depuis longtemps des Zimbabwéens, qu’ils accusent d’envahir leur pays. Depuis l’effondrement de l’économie du Zimbabwe, des milliers d’entre eux trou­vent refuge au Botswana et, en tant que clandestins, ils sont souvent obligés de faire des petits boulots pour survivre. Quand la police les arrête, ils sont passés à tabac et renvoyés chez eux.

“Les cas de Zimbabwéens tués au Botswana sont rares. Il n’y en a que dans les zones rurales, où beaucoup travaillent comme gardiens de troupeaux pour un salaire dérisoire sans oser réclamer davantage de crainte que leur employeur informe la police et qu’on vienne les arrêter. La vie au Botswana est dure, mais elle n’est pas pire qu’au Zimbabwe”, commente Titus Chokuda, qui attend le bus à Mbare pour Francistown.
Dans une grande partie de l’Afrique australe, les Zimbabwéens sont réputés travailleurs et intelligents. Le Botswana comme l’Afrique du Sud, qui accueillera la Coupe du monde de football en 2010, pourraient tirer profit de leur travail. Mais Chengetai Moyo, une infirmière qui a exercé en Afrique du Sud avant de s’installer au Botswana, raconte que certains étrangers qui travaillent en Afrique du Sud voient les Zimbab­wéens comme une menace pour leur propre carrière. “Nous ne sommes pas les bienvenus. Ces deux dernières années, l’Afrique du Sud a durci les conditions d’obtention des visas pour les Zimbabwéens, et le bruit court que le Botswana pourrait à son tour mettre en place un système de visas. Nous supportons les épreuves et les brimades, parce que c’est le seul moyen pour nous de prendre soin de nos familles en attendant que la situation s’améliore dans notre pays”, explique-t-elle. Elle ajoute : “Le pain coûte aujourd’hui 400 millions de dollars zimbabwéens (0,44 euro) et un kilo de viande 2 milliards (2,21 euros). Il n’y a plus de bouillie de maïs dans les magasins, et les gens qui travaillent ne peuvent plus vivre de leur salaire.”

3 millions de Zimbabwéens exilés en Afrique du Sud

Les Zimbabwéens, comme d’autres étrangers, sont accusés d’êtres impliqués dans la criminalité et de prendre les emplois des habitants. Le gouvernement zimbabwéen n’a pas dénoncé ces accusations, même si le président Mugabe a invité les migrants à rentrer au pays pour recevoir des terres.

Le ministre des Affaires étrangères, Samuel Mumbengegwi, a annoncé dernièrement que le gouvernement avait envoyé des véhicules pour rapatrier les Zimbabwéens blessés lors des émeutes xénophobes en Afrique du Sud. “Nous sommes choqués que le gouvernement ne reconnaisse pas qu’il a contraint une partie de sa population à devenir des réfugiés au risque de leur vie. D’autres Zimbabwéens vont sacrifier leur vie en recherchant en Afrique du Sud ce qui leur est refusé chez eux : le droit de vivre”, prédit le politologue Stewart Zhomwe. On estime à 3 millions le nombre des Zimbabwéens résidant en Afrique du Sud, la plupart illégalement ou avec de faux permis de travail. Selon le Bureau de l’immigration zimbab­wéen, le pays expulse jusqu’à un millier d’immigrés clandestins par se­maine, mais la moitié d’entre eux y reviennent clandestinement. La frontière entre les deux pays est très poreuse à Beitbridge, où elle présente plusieurs points de passage, dont le fleuve Limpopo – infesté de crocodiles.

De nombreux Zimbabwéens s’approvisionnent à Messina, une petite ville sud-africaine proche de la frontière. “Nous achetons juste ce dont nous avons besoin, puis nous rentrons chez nous. Nous ne voulons pas causer du tort aux Sud-Africains ; nous sommes un peuple désespéré”, déplore Rosina Gumbo, une marchande de Harare. Elle explique qu’auparavant des commerçants zimbabwéens achetaient des voitures en Afrique du Sud pour les revendre chez eux, mais que les affaires étaient devenues difficiles depuis qu’il faut payer de lourdes taxes à la frontière zimbabwéenne. Des compatriotes victimes de violences en Afrique du Sud, qu’elle a rencontrés dans le car du retour, lui ont confié qu’ils n’avaient pas l’intention de rester au Zimbabwe. “Ils m’ont dit qu’ils tenteraient leur chance en Zambie ou au Malawi.” Selon elle, les Sud-Africains sont mécontents du volume de marchandises acheté par des Zimbabwéens, car cela fait monter les prix des produits de base chez eux.

Cependant, alors que les Zimbabwéens s’apprêtent à se rendre aux urnes le 25 juin pour le second tour du scrutin présidentiel, de nombreux habitants appellent leurs compatriotes à rentrer au pays et à contribuer à le remettre sur la bonne voie en votant. “Quitter le pays n’est pas une solution, vu la gravité de la situation. Cela ne donnera qu’un faible taux de participation”, affirme M. Zhomwe.

Lorsque la ZANU-PF, le parti au pouvoir, a lancé la campagne du second tour, le président Mugabe, âgé de 84 ans, a invité ses partisans à riposter aux attaques lancées par l’opposition. Alors qu’il semblait fragile avant le scrutin du 29 mars, il paraît désormais en meilleure santé. [Le premier tour de la présidentielle a été remporté par Morgan Tsvangirai, le candidat de l’opposition. Après des semaines de silence, le régime a fini par concéder sa défaite, mais sans admettre que Tsvangirai avait obtenu plus de 50 % des suffrages.] Il a lancé une vive mise en garde contre toute ingérence des pays occidentaux, en particulier de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Il a également menacé d’expulser l’ambassadeur des Etats-Unis, James McGee, qui a été récemment convoqué par le ministre des Affaires étrangères, M. Mumbengegwi, au sujet d’une visite rendue par lui à des victimes des violences à 40 kilomètres de Harare.

En Afrique du Sud, des responsables des mouvements d’immigrants signalent que des milliers de réfugiés, mécontents des conditions misérables dans lesquelles ils vivent, préparent une riposte contre la récente vague de violences xénophobes. Des dizaines de milliers d’immigrés vivent dans des abris de fortune depuis que des bandes ont commencé à les attaquer dans des camps de déplacés, il y a près d’un mois.

Matirasa Muronda
Daily Nation

 



14/06/2008
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