Blaise et l'obsession du pouvoir

Norbert Zongo est mort parce que sa plume était une menace contre le pouvoir à vie que se préparait Blaise Compaoré. Devant l'indignation générale provoquée par l'odieux assassinat, Blaise Compaoré avait feint de lâcher du lest sur l'article 37. En effet, après avoir fait sauter le verrou de la limitation que le constituant de 1991 avait imposé lors de l'adoption de la loi fondamentale, il avait dû céder à la pression populaire et aux recommandations du Collège de sages, en remettant le verrou à sa place. Il est aujourd'hui en train de revenir sur la pointe des pieds sur ces concessions, en préparant l'opinion à accepter une nouvelle suppression pour lui permettre de finir ses chantiers…

Le bois mort a beau séjourné durablement dans le marigot, il ne deviendra jamais caïman. Ce dicton africain sied comme un gant à notre président. Il n'est un secret pour personne que Norbert Zongo considérait comme une mystification, la profession de foi du capitaine Compaoré dont l'irruption sanglante sur la scène politique nationale avait fait naître l'espoir d'un renouveau démocratique après les années de plomb de régime révolutionnaire. Et c'est parce qu'il ne croyait pas à cette lubie démocratique qu'il s'était employé à la démystifier. La suite, on la connaît. Norbert Zongo a été assassiné par le fer et le feu, une barbarie qui en dit long sur ce qu'il représentait pour ses bourreaux. Un des acquis que l'on peut escompter de sa mort résidait dans les réformes politiques qui ont eu comme avantage d'élargir un peu plus l'espace politique avec l'arrivée sur l'arène de nouveaux acteurs issus de l'opposition. Cette évolution a aussi touché la majorité présidentielle où les caciques ont dû également ouvrir un peu plus le champ, processus qui a permis à quelques alevins qui ne jouissaient pas forcément de la protection des barons de passer par les mailles du filet. Plus généralement, on a pu observer l'émergence d'un processus politique caractérisé par une libération de la parole et le développement d'initiatives citoyennes. Mais un des signes les plus tangibles du changement, c'est le nouvel état d'esprit au sein de la classe dirigeante où le jeu politique interne paraissait plus libre avec la perspective d'une alternance à la tête de l'Etat d'autant plus réelle que l'hypothèque Blaise Compaoré semblait avoir trouvé une solution avec le rétablissement du verrou sur l'article 37. Depuis, il a coulé beaucoup d'eau sous les ponts et ce qui semblait désormais rangé au chapitre des certitudes et des acquis est en train d'être balayé par un nouveau cours politique qui se dessine progressivement mais sûrement.

Pourquoi Blaise s'apprête-t-il à revenir sur l'article 37 ?

La vie politique ne se façonne pas à partir des considérations strictement politiques. On aurait pu croire qu'avec les secousses qu'a connues le pouvoir de Blaise à la suite de l'assassinat du journaliste Norbert Zongo, Blaise Compaoré allait prendre la voie de la sagesse en respectant désormais la lettre et l'esprit de la constitution. Or, dès que le rétablissement de l'article 37 dans sa disposition initiale était devenu un fait irréversible, Blaise et ses affidés ont eu recours à un stratagème juridique pour prolonger le terme constitutionnel de son pouvoir. Violant l'esprit du constituant de 1991, ils ont estimé que les effets de la nouvelle loi n'étaient pas rétroactifs. Au lieu que son mandat prenne fin en 2005, Blaise s'est fait élire à la présidentielle passée et s'apprête à solliciter un nouveau bail sur la base de l'interprétation extrêmement favorable faite par le juge constitutionnel. Plus inquiétant, il ne semble pas vouloir se contenter de cette rallonge. Son intention de faire sauter à nouveau le verrou afin de pouvoir se présenter indéfiniment se précise à partir d'un faisceau d'éléments. Des délégations du parti présidentiel sillonnent actuellement le pays pour vendre auprès des structures CDP la révision que l'on projette de l'article 37. La démarche in fine tend à faire croire que la suppression du verrou viendrait des populations elles-mêmes qui ne verraient pas pourquoi une telle disposition empêcherait la volonté du peuple de s'exprimer pleinement. Mais l'emballage utilisé pour vendre la camelote prête sérieusement à rire. Voulant masquer l'intention véritable qui se cache derrière la proposition de révision, les émissaires entendent inciter les populations à inscrire les matières qui méritent d'être révisées. Mais le procédé tourne parfois court quand ici et là, il leur est demandé d'esquisser quelques orientations pour éclairer le débat. Apparemment, le président du CDP semble avoir choisi la stratégie de la prudence. Les idées doivent venir de la base et non du sommet, ce qui est tout de même une curieuse démarche de la part de la partie demandeuse. Au-delà de cette stratégie du profil bas, on peut comprendre l'embarras d'une direction politique prise au piège de sa veulerie. Ce qui est en cause ici, c'est la manie de Blaise Compaoré à vouloir instrumentaliser ses collaborateurs à des fins personnelles. Le CDP en tant que parti politique n'a absolument rien à gagner à défendre un tripatouillage constitutionnel, surtout quand le ressort de ce tripatouillage n'est pas l'intérêt de la nation. Difficile pour ce grand parti truffé de cadres, de donner l'impression que sans Blaise, c'est le chaos. Au point de prendre le risque d'une campagne politique sur une question grosse de dangers. Nombre d'observateurs s'interrogent sur les motivations du président. On a parlé des affaires Sankara et Zongo qui pourraient le rattraper s'il s'avisait à déposer le tablier. Sans doute, les risques sont-ils réels à ce niveau, mais ils pourraient ne pas être les seuls. Ces dernières années, la famille présidentielle au sens large du terme aurait excellé dans l'affairisme. Difficile d'estimer le volume des affaires et des avoirs accumulés, mais on les estime suffisamment importants pour justifier une prise de risques au niveau politique. Cette version serait notamment à la base de la continuité dynastique qui avait été imaginée un temps, faisant de François le successeur du grand frère. Si Blaise a pu envisager de s'en aller, il devait avoir de bonnes raisons. La question de sa santé en serait à la base. Malgré les apparences, celle-ci fut effectivement l'objet de sérieuses inquiétudes. Mais visiblement, les choses vont mieux et même si tout risque n'est pas définitivement écarté, le président semble disposer de l'énergie nécessaire pour assumer sa fonction, au point de croire qu'il serait à même de solliciter plusieurs mandats.

L'obsession de Blaise sème la zizanie au sein du CDP

Une fois de plus, c'est Salif Diallo que Blaise a choisi pour le job. Mais Blaise n'a pas semblé avoir pris toute la mesure des rivalités ainsi que des méfiances au sein du cercle. Au CDP, tant que c'est pour servir Blaise, il n'y a pas de problème. Mais à côté, il faut compter avec les petites stratégies de positionnement personnel qui écorchent l'unité de pensée et d'action au sein du parti. Si à ce qu'on dit, Roch et Salif étaient d'accord sur la stratégie, dans sa mise en œuvre, il faut aussi s'accorder sur un schéma. Et là, le cours des événements montre qu'il y a eu problème. Aujourd'hui, nous sommes en face de deux scénarii dont la finalité reste néanmoins la même. Une, portée par Salif Diallo, qui souhaitait aménager un nirvana pour le boss, mais en l'assortissant de quelques concessions dont les grandes lignes ont probablement reçu son aval. Mais le management par Salif n'a peut-être pas été habile, puisque la méfiance s'est installée en cours de route entre lui et ses camarades. Son empressement à vouloir balancer l'idée sur la place publique sans une préparation préalable a du être ressenti par ses camarades comme un mauvais coup. Pour avoir voulu foncer comme un bull, Salif s'est politiquement cassé la gueule. Et comme il le sait lui-même, Blaise n'est jamais du côté des perdants. Sa seule stratégie, c'est la manipulation des hommes. Mais il a eu cependant la sagesse de ne pas totalement le brûler afin de conserver deux fers au feu. Et voilà que les événements ont tôt fait de ramener Salif au coeur du débat politique national où il se retrouve dans la posture de Qui perd gagne. En effet, c'est à Roch qu'il échoit maintenant la mission de faire passer la pilule de l'article 37. Il est entièrement engagé dans un marathon pour obtenir une révision constitutionnelle avant que l'on entre dans la période rouge de six mois décrétée par la CEDEAO à l'intérieur de laquelle aucune révision sur les dispositions se rapportant au mandat présidentiel n'est possible. Pour le faire, il faut un consensus général au sein de la classe politique. Or tout porte à croire que ce consensus est impossible à réaliser au Burkina sur la question. Le malheur de Roch, c'est qu'il n'a rien à proposer en contrepartie à l'opposition et aux organisations de la société civile. Il ne lui reste donc qu'à passer en force en comptant sur sa majorité mécanique. Il serait dans ce cas comptable de l'instabilité politique qui en résultera. A la veille du 11ème anniversaire de la mort tragique de Norbert Zongo, l'horizon politique est à nouveau sombre et les Burkinabè ignorent de quoi leurs lendemains seront faits. Le célèbre journaliste avait coutume d'affirmer : "il n'y a pas de demi dictature. Une dictature est ou n'est pas." Seules les circonstances sont à même de révéler la terrible réalité de ces propos. NAB



18/12/2009
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