Blaise et l'article 37 Le pouvoir ou la mort

Les signes précurseurs d'une éventuelle modification de l'article 37 de la constitution se précisent. Les partisans du président sont déjà en campagne. Leur argument: les limitations des mandats présidentiels c'est l'apanage des démocraties arriérées.

En 1997, le Burkina Faso avait été le premier pays africain à modifier sa constitution pour supprimer la limitation des mandats présidentiels. L'argument qui était avancé dans l'exposé de motifs de la proposition de loi c'était qu'il fallait réviser la disposition qui limitait les mandats présidentiels à deux, pour éviter que des personnes médiocres n'arrivent à la tête de l'Etat à la faveur d'élections auxquelles ne participera pas le président Blaise Compaoré. Les députés ont fait sauter le verrou de la limitation des mandats en 1997 au Burkina Faso, alors que la constitution de 1991 avait prévu qu'un président ne pouvait pas briguer plus de deux mandats successifs à la tête de l'Etat. Blaise Compaoré au moment de cette révision totalisait déjà dix ans au pouvoir et s'apprêtait à briguer un autre mandat de 7 ans.
L'assassinat tragique de Norbert Zongo en décembre 1998 et le soulèvement populaire qu'il avait suscité a contraint Blaise Compaoré à réinstaurer la limitation des mandats présidentiels à deux, dans la constitution avec les reformes politiques de 2000. Mais considérant que la loi n'était pas rétroactive, le conseil constitutionnel lui avait permis, en 2005, de postuler pour un troisième mandat successif. Cette même décision de 2000 du Conseil constitutionnel lui permet de briguer un quatrième mandat en 2010. A la fin de ce quatrième mandat en 2015, Blaise Compaoré aura passé 30 ans au pouvoir.
Il ne semble pas pour autant prêt à prendre sa retraite. De façon anticipative, ses partisans, avec sa bénédiction, ont commencé à préparer les esprits pour une nouvelle révision de la constitution qui supprimerait la limitation des mandats présidentiels. Depuis deux ans, la campagne a commencé et elle est activement animée par le président du groupe parlementaire du parti présidentiel, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP). C'est lui qui explique à longueur de tribunes dans les journaux de la place que la limitation des mandats présidentiels ne correspondait pas à la conception burkinabè du pouvoir. Un sondage effectué par le Centre pour la gouvernance démocratique, (CGD) dans le cadre du programme Afro baromètre, courant 2008, qui regroupe plusieurs pays africains lui apporte un démenti complet et sans équivoque. Sur un échantillon de 1200 burkinabè interrogé (la population du pays est estimé à 12 millions environ), plus de 53% des sondés sont pour la limitation des mandats présidentiels.
Il est très clair donc que les burkinabè dans leur conception du pouvoir sont pour la limitation des mandats présidentiels. L'argument d'une conception spécifique du pouvoir politique qui ne s'accommoderait pas d'une limitation de mandat n'est pas vrai. Mais les partisans du président n'ont pas désarmé pour autant. Le nouvel argument qui est à présent mis en avant, c'est que les démocraties qui limitent les mandats présidentiels ne seraient pas de vraies démocraties. Une démocratie qui limite le mandat présidentiel serait une démocratie sous développée : "Cette limitation de mandat, qui est le trait caractéristique des Constitutions des démocraties de la génération des années 90, c'est-à-dire des démocraties des pays sous-développés, pose véritablement problème", explique le plus sérieusement du monde Mahama Sawadogo, président du groupe parlementaire du CDP, à Bobo Dioulasso, à l'occasion des journées parlementaires de son groupe. On ne sait pas ce qu'il faut en penser, mais si la démocratie américaine qui limite le mandat présidentiel est une démocratie sous développée, il faut sûrement préférer la démocratie sous développée à la démocratie " très très " développée que la restauration de la non limitation des mandats pourrait réinstaurer au Burkina Faso.
Les arguments son bancales mais la détermination est grande. Le président Blaise Compaoré ne fait pas comme Tanja, le président Nigérien. Il ne veut pas rester parce qu'il a des chantiers à terminer. Il veut plutôt rester au pouvoir parce que lui seul est capable de promouvoir une démocratie très développée au Burkina Faso.
Les députés de son groupe parlementaire, qui sont hyper majoritaires à l'assemblée nationale, se chargeront de la besogne. Comme en 1997, la révision qui va supprimer la limitation des mandats se fera par une proposition de loi que les députés vont porter et voter. Du point des procédures donc, la révision sera tout à fait légale. Mais est-ce vraiment légitime ? Parce que les révisions de cette nature ont un nom : le tripatouillage de la constitution puisqu'elles sont fait dans le seul but de préserver les intérêts d'un individu. Le Burkina Faso a pourtant signé et ratifié toutes les conventions sous régionales qui interdisent les tripatouillages des constitutions.
Le président Blaise Compaoré s'est forgé, ces dernières années une certaine stature au niveau internationale par les médiations qu'il entreprend dans les crises politiques sous régionales. Cette posture de médiateur crédible est essentiellement construite autour des valeurs démocratiques dont il se drape. Qu'en restera-t-il de ce crédit si par ce tripatouillage constitutionnel il devrait modifier la loi fondamentale du Burkina Faso à son seul profit ? Comment dans ces conditions pourrait-il continuer, légitimement à faire des médiations pour la démocratie chez les voisins ?
En toute chose, il y a quand même un minimum d'éthique. Ça va être quand même embarrassant pour lui dans certaines médiations où il faut demander à un protagoniste de la crise de renoncer au pouvoir. S'il devrait tripatouiller la constitution, pourra t-il par exemple demander à Dadis Camara de la Guinée de respecter les exigences de la communauté internationale qui lui interdisent de se présenter à la présidentielle prochaine ? Les Forces vives pourront-elles continuer à lui faire confiance ?
Il est clair quand même que le Burkina Faso ne peut pas ratifier la charte africaine pour la démocratie, la gouvernance et les élections qui prohibe les tripatouillages des constitutions et modifier unilatéralement une disposition de sa constitution qui ne fait pas l'unanimité. Or tout montre que c'est vers ça que l'on s'achemine. L'ancien secrétaire général de l'ONU Koffi Annan a eu cette exhortation qui devrait inspirer Blaise Compaoré qui ambitionne marcher dans les pas des grands africains : "il n'est pas de plus grande sagesse, de marquer plus évidente du sens de l'Etat que de savoir le moment venu, passer le flambeau à la génération suivante. Et des gouvernements ne devraient pas manipuler ou modifier la constitution pour se maintenir au pouvoir au-delà des mandats prescrits qu'ils ont acceptés lorsqu'ils ont pris leurs fonctions…Les constitutions existent pour servir les intérêts à long terme les sociétés et non les objectifs à court terme des dirigeants".

 

Les dispositions de la charte africaine pour la démocratie et la protection de la constitution

Article 10

1. Les Etats parties renforcent le principe de la suprématie de la Constitution dans leur organisation politique.

2. Les Etats parties doivent s'assurer que le processus d'amendement ou de révision de leur Constitution repose sur un consensus national comportant, le cas échéant, le recours au référendum.

Article 23
Les Etats parties conviennent que l'utilisation, entre autres, des moyens ci-après pour accéder ou se maintenir au pouvoir constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement et est passible de sanctions appropriées de la part de l'Union:

Tout refus par un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti ou au candidat vainqueur à l'issue d'élections libres, justes et régulières.
5. Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l'alternance démocratique. NAB



18/12/2009
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