Blaise Compaoré et le 4 Août

Qui a fait quoi le 4 Août 1983 ? Depuis le 20ème anniversaire "de la renaissance démocratique", c'est plutôt la vérité des vainqueurs du 15 Octobre qui s'écrit en lettre d'or. Blaise Compaoré est considéré comme le principal artisan de l'avènement de la révolution. Au début, il était l'un des artisans clés d'un scénario apparemment calé comme du papier à musique. L'hagiographie du "15 Octobre" en fait l'unique artisan de la réussite du 4 Août. En arrière plan, un rôle sur mesure pour François Compaoré, son frère cadet.

Un proverbe kassena dit que: "Si tu encenses l'ancien chef, le nouveau t'affamera". Cette sagesse semble avoir été bien assimilée par les témoins et autres historiens d'un nouveau genre à Pô en octobre 2007. En effet, lors des festivités des "20 ans de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré", ses compagnons ont allégué qu'il était l'acteur unique du triomphe de la Révolution avec le soutien décisif de François Compaoré, son frère cadet. La nouvelle historiographie semble viser deux choses au moins. Rendre moins douloureux les tragiques événements du 15 Octobre et légitimer les prétentions que l'on attribue à François Compaoré de vouloir succéder à son frère aîné. Parmi les chantres de cette historiographie, Mahamadi Kouanda de l'inter CDR pendant la Révolution. Ancien député CDP. Il ronge son frein dans une opposition stérile à Simon Compaoré qu'il espère détrôner un jour. Pour les témoins et les acteurs vivants de la période de la révolution, Kouanda tronque les faits sur le rôle réel de Blaise Compaoré au niveau du ROC et puis dans le déroulement des événements qui ont conduit au 4 Août. Selon ces sources qui contestent la vision des choses de Kouanda, Blaise Compaoré doit son admission et sa progression dans le ROC à l'enthousiasme de Sankara. A posteriori, ils pensent même que cette faiblesse de Sankara pour Blaise n'a pas porté chance au mouvement.

Processus de réécriture

C'est là où la révolution est née en 1983 que le processus de falsification de son avènement a été entamé. Lors de la célébration des "vingt ans de démocratie avec Blaise Compaoré", une escouade d'historiens et de témoins oculaires a été convoyée à Pô pour l'apostasie. Le cours devait être dispensé à un public de jeunes. Ceux qui n'ont pas vécu, pour la plupart, la révolution. Il fallait corriger dans ces esprits juvéniles les vérités tronquées de l'opinion publique et des livres d'histoire.
Mais cette apostasie peut difficilement prendre, en raison de la proximité des événements. Sankara est mort le 15 Octobre 1987. Mais des acteurs clés sont encore vivants. Voilà pour l'histoire, le déroulé qui a conduit au 4 Août 1983.
Le 17 Mai 1983, à l'aube, les chars de Jean Claude Kamboulé encerclent le domicile du capitaine Thomas Sankara, alors Premier ministre du Conseil du Salut du peuple (CSP1) et celui du secrétaire permanent du CSP, Jean Baptiste Boukary Lingani. Thomas Sankara arrive à joindre par téléphone la femme d'un de ses camarades membre de l'Union des luttes communistes reconstruite (ULCR) et l'enjoint de dire à un des chefs de la même organisation qu'on est en train de vouloir l'arrêter. La femme se débat comme elle peut, pour toucher ce dernier. Immédiatement, il prend le chemin de Pô, une localité située à une centaine de kilomètres de la capitale Ouagadougou. Arrivé à Pô au Centre national d'entraînement commando (CNEC), il trouve un soldat du nom de Hyacinthe Kafando sur une CT. Il se renseigne auprès de lui pour savoir qui est l'intérimaire du Commandant qu'il savait en déplacement à Bobo-Dioulasso pour un meeting. Tibo Ouédraogo, à l'époque lieutenant, assurait l'intérim. L'émissaire venu de Ouagadougou s'en va le voir et lui annonce que le capitaine Thomas Sankara et le commandant Lingani sont mis aux arrêts. Le lieutenant Ouédraogo fait sonner le rassemblement et met la troupe en alerte. Ce n'est que plus tard que Blaise Compaoré, par la prouesse de son chauffeur, le regretté Hamidou Maïga, arrive à rejoindre par des chemins détournés la capitale du Nahouri. Dans la soirée de l'arrestation de Sankara et de Lingani, au camp Guillaume Ouédraogo, avant que le capitaine Compaoré ne revienne de Bobo-Dioulasso, une douzaine de commandos y étaient retranchés avec à leur tête le capitaine Henri Zongo, le lieutenant Boukary Kaboré qui deviendra plus tard, commandant du bataillon d'intervention aéroporté et commandant de la 3è région militaire et le lieutenant Gilbert Diendéré. Ils s'opposaient eux aussi à l'arrestation de leurs camarades. Blaise Compaoré n'a été qu'un des élément dans un ensemble qui a participé activement à la réussite de la chute du régime du médecin commandant Jean Baptiste Ouédraogo alias JBO. Les soldats fidèles à Sankara font de Pô un refuge, les jeunes s'enrôlent dans l'armée rebelle et le triomphe du 4 Août s'organise autour de Sigué Askia Vincent, Tibo Ouédraogo et le journaliste malien du périodique Afrique-Asie Mohamed Maïga. Par la permission de son directeur, Simon Mallé, Maïga reste des semaines avec Blaise Compaoré et rapporte les échos de la résistance dans les colonnes de son journal. Une bonne partie des jeunes de Pô étaient habitués à sa silhouette frêle jouant souvent à la belotte avec le chef rebelle Blaise Compaoré dans sa résidence de Tamoina. La Ligue patriotique pour le développement (LIPAD), un appendice du parti Africain de l'Indépendance (PAI) a été aussi aux avants postes. Ses militants servent d'éclaireurs aux commandos venus de Pô dans la nuit du 4 Août 1983, pendant la coupure de l'électricité et des lignes téléphoniques. La jeunesse de Pô n'est pas en reste, elle a soutenu, à bout de bras les révolutionnaires du 4 Août en servant comme sentinelle au CNEC pendant que les commandos marchaient victorieusement sur la capitale. Autres apports, ce sont les officiers qui, pour des raisons de proximité avec Sankara, avaient été mutés de la capitale. Le lieutenant Hien Kilimité aujourd'hui colonel et gouverneur de la région de l'Est en est un exemple vivant. Il avait été affecté à l'époque des faits à Ouahigouya comme adjoint du capitaine Karim Lompo. Ce dernier étant de formation moniteur de sport avait moins d'aptitude pour le commandement. C'est à Kilmité Hien qu'il est revenu d'organiser la résistance.
La jeunesse scolaire et estudiantine a été aussi le fer de lance de la révolution. Les marches des 20, 21 et 22 mai 1983 ont produit un effet catalyseur dans la libération de Sankara et de ses compagnons. Pour beaucoup d'acteurs de la Révolution, réduire le triomphe du 4 Août 1983 à la seule action de Blaise Compaoré et dire qu'il a servi le pouvoir sur un plateau d'or à Thomas Sankara, c'est méconnaître un pan entier de l'Histoire du Burkina. Le ROC est l'ancêtre des cercles anti- impérialistes dans l'armée. La Fédération des étudiants de l'Afrique noire en France (FEANF) à travers une partie de sa section voltaïque de l'époque, l'Union générale des étudiants voltaïque (UGEV) a joué aussi un rôle prépondérant par les cadres qu'elle a formés. MNZ



28/11/2009
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