Myanmar : la colère gronde encore dans les rues
Depuis
peu, on assiste à une reprise des manifestations contre la junte. A quelques
jours d'un référendum crucial pour les militaires, ces derniers manifestent une
grande nervosité face aux aspirations démocratiques des Birmans.
Les
26 et 27 avril, des manifestations ont éclaté sporadiquement dans plusieurs
villes birmanes, alors que des élections sont prévues en mai au sujet d'une
nouvelle Constitution. Plus de 50 manifestants, menés par une vingtaine de
moines en robe safran, ont tenté de se rendre à la célèbre pagode Shwegadon [le
plus haut lieu spirituel du pays], à Rangoon. La police a procédé rapidement à
des interpellations. Les autorités interdisent aux bonzes d'entrer dans la
pagode depuis les grandes manifestations de septembre 2007. Nombre de
religieux ayant prévu de se joindre à la marche ont été arrêtés dans les autocars
qui les amenaient des banlieues et des villes voisines. Plus de
100 personnes sont également descendues dans la rue à Sittwe, la capitale
de la province à majorité musulmane de l'Arakan, dans l'ouest du pays. De
petites manifestations se seraient également déroulées dans d'autres localités.
Les forces de sécurité ont bouclé la plupart des monastères de Rangoon,
empêchant toute entrée ou sortie des moines.
Ce sont là les premiers signes d'agitation depuis la brutale répression de la
"révolution safran" de septembre 2007. "D'autres
manifestations sont également attendues dans les prochains jours, la colère ne
cessant de monter à l'encontre du régime", assure Khin Ohnmar, un militant
vivant à Chiang Miai, en Thaïlande, qui entretient des liens étroits avec les
meneurs. Les troubles ont été déclenchés après la décision du gouvernement
d'organiser un référendum le 10 mai. Ils devraient s'amplifier dans les
jours précédant le scrutin. La nervosité gagne visiblement la junte militaire à
l'approche de cette date, et le résultat ne fait guère de doute. Le régime
annoncera certainement qu'une majorité écrasante des électeurs a approuvé le
texte, qui dans la pratique permettra à l'armée de conserver le pouvoir
politique des dizaines d'années encore. Mais les signes de rejet de la
Constitution par une grande partie de l'électorat se multiplient. La rancœur et
la colère enflent de jour en jour. La haine envers les généraux ne s'apaise pas
non plus chez l'homme de la rue, durement touché par une inflation galopante.
"Le pays est un volcan social prêt à entrer en éruption", prévient un
homme d'affaires birman. "Il suffit d'une étincelle pour mettre le feu aux
poudres." Les prix flambent, et près de 90 % des ménages dépensent
plus de 80 % de leurs revenus rien que pour se nourrir. Malnutrition et
pauvreté prennent des proportions alarmantes, pendant que la junte consacre
d'énormes sommes à l'achat d'armements et de matériel militaire.
La dégradation dans la vie quotidienne n‘empêche pas le général Than Shwe, un
homme qui cultive le secret et vit reclus, d'aller de l'avant avec son projet
d'institutionnaliser le régime militaire. Il a fallu à l'armée plus de quatorze
ans pour rédiger la nouvelle Constitution. Les modalités du référendum ne sont
pour la plupart pas encore connues, et le projet constitutionnel lui-même n'a
été rendu public qu'il y a deux semaines. Les médias locaux ont reçu l'ordre de
n'évoquer en aucun cas la campagne pour le "non". Pour autant,
certains Birmans n'hésitent pas à exprimer leur hostilité, avec comme résultat
inévitable de se retrouver derrière les barreaux. Le principal parti
d'opposition, la Ligue nationale pour la démocratie d'Aung San Suu Kyi, a ainsi
fait savoir qu'il s'opposait à la nouvelle Loi fondamentale, en partie parce
qu'il avait été exclu du processus d'élaboration, mais surtout parce que le
texte est antidémocratique. Le président doit être un militaire, un quart des
sièges au Parlement sera attribué sur décision du chef des armées. Enfin,
l'armée se réserve le droit de renvoyer tout gouvernement civil qui, à ses
yeux, mettrait en péril la sécurité nationale.
Mais, si les chances de l'opposition prodémocrate paraissent bien minces, tout
espoir n'est pas perdu. A 74 ans, Than Shwe est gravement malade et son
emprise sur l'armée n'est plus ce qu'elle était. Ses jours sont manifestement
comptés. Il est atteint d'insuffisance rénale et doit subir une dialyse
quotidienne. "Il est pratiquement mort", affirme un diplomate
asiatique proche du vieux général. Pour couronner le tout, de profonds clivages
sont apparus dans les hautes sphères mêmes de la hiérarchie militaire. Si aucun
signe concret ne laisse présager une "révolution de palais", une
nouvelle vague de manifestations déferle déjà dans les rues et risque de
s'amplifier dans les prochains jours, avant le scrutin. La plupart des Birmans
y voient la première occasion - depuis les élections de 1990, remportées
haut la main par la Ligue nationale pour la démocratie [résultat jamais reconnu
par la junte, qui a emprisonné de nombreux membre du parti vainqueur] - de
dire à quel point ils exècrent ce régime militaire. En cette période incertaine
pour l'armée, les choses peuvent changer, et ce rapidement. A tout le moins,
les Birmans continueront à descendre dans la rue en mai pochain.
Larry Jagan
Bangkok
Post