Blaise Compaoré en monarque se replie sur sa famille
Blaise
Compaoré s'est donc décidé à " rompre " avec son plus fidèle allié.
Dans le scénario imaginé pour l'avenir de son pouvoir, Salif Diallo était
devenu un élément encombrant. Le cas Salif était, semble-t-il, un problème
posé et à résoudre, et ce fut fait ce 23 mars, jour de Pâques. C'est la
première étape d'un scénario qui devrait conduire au démantèlement du CDP ou
à tout le moins, à des remises en cause. L'information
est venue du président Blaise Compaoré lui-même. Il y avait au sein du
gouvernement, un problème de " collégialité et de " cohérence
". Au détour d'une phrase, les Burkinabè ont compris que Salif Diallo
était l'empêcheur de tourner ou plutôt de gérer en rond. Voilà qui nous
ramène à ces folles rumeurs qui annonçaient tantôt que Salif avait été
congédié d'un Conseil des ministres par le Premier ministre Tertius Zongo
pour être venu en retard, tantôt qu'à Bourzanga, les deux hommes ont failli
en venir aux mains après une cérémonie de lancement calamiteuse où ils ont
publiquement étalé leurs divergences. Si les Burkinabè s'interrogeaient sur
la réalité de ces rumeurs avant le limogeage de Salif, ils n'ont plus aucun
doute depuis lors. Il n'en reste pas moins que ces incidents continuent
d'entraîner des interrogations. Que Tertius Zongo mette à la porte un
ministre d'Etat, qui de surcroît est le numéro 2 du parti au pouvoir et
réputé jusque-là ami fidèle de Blaise Compaoré, est une chose difficile à
avaler. Quant à l'épisode de Bourzanga, il détonne avec l'image de Tertius,
un diplomate rompu par vocation aux bonnes manières. Et si par
extraordinaire, il se trouve que ces faits sont avérés, alors il faut croire
que quelque chose a changé. Non pas parce que Tertius aurait affirmé son
autorité face à Salif, Yonli l'avait fait avant lui, d'où leurs mauvais
rapports, mais parce que entre camarades adultes, on doit pouvoir s'expliquer
autrement. Le fait est qu'avant même que Tertius n'entre en scène, les
rapports entre Blaise Compaoré et son ami Salif Diallo n'étaient plus au beau
fixe. Il est donc difficile d'expliquer que Tertius soit à la base du départ
du ministre d'Etat. Il n'a pu être tout au plus qu'un instrument ou un bouc
émissaire. La pomme
de discorde entre Blaise et Salif |
Quant à l'évolution du régime sur le plan politique, bien que le président n'en parle pas encore, des signes évidents montrent bien que François Compaoré, par glissements successifs, est en train d'apparaître comme un prétendant à la succession de son grand frère. Pendant des années, l'homme s'était refusé à des prises de parole publiques. Il est vrai que dans la famille, on n'est pas très tribun, mais la volonté de jouer les premiers rôles politiques n'est pas pour autant absente. La porte d'entrée en politique passe d'abord par le sport où Jean Pierre Palm, un vieil ami du président, lui a déroulé le tapis d'honneur avec le parrainage des compétitions de l'USSUBF. Mais c'est pendant les "20 ans de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré"
que le
scénario imaginé par les frères Compaoré a été le plus lisible. L'événement
devait définitivement établir la légitimité politique de François. Mais comme
on a pu le constater, ce fut un beau fiasco dont les caciques du CDP qui
avaient été volontairement laissés en rade ont dû se réjouir. Surtout que cet
événement avait été parachuté sans aucune préparation, alors même que le CDP
était en train de préparer un forum sur des questions d'intérêt politique
national qui devait se tenir dans la même période. Il n'est pas exclu que la
tiédeur manifestée par un certain nombre de cadres du CDP dont Salif Diallo,
vis-à-vis de cette activité pirate, ait joué contre ce dernier. On connaît le
caractère entier de cet homme qui a d'ailleurs boudé le grand meeting
organisé à Pô le 18 octobre. Si donc l'objectif de Blaise était de mettre son
frère en pôle position, il était sûr que ses rapports avec celui qui était
considéré comme son meilleur ami allaient prendre un coup. Mais ce qui
intéresse les analystes politiques au-delà du scénario de dévolution du
pouvoir concocté par Blaise et sa famille, c'est la stratégie de Salif Diallo
lui-même. Les
ambitions de Salif Diallo De tous
les cadres du CDP, Salif Diallo est certainement un des rares à conserver des
convictions fortes en politique. Nombre de combattants originels ont fini par
adopter un comportement suiviste devant l'orientation affairiste du régime,
s'ils ne sont pas devenus eux-mêmes affairistes. Salif Diallo n'avait de
cesse de pester devant l'évolution du CDP en parti administratif. Au
troisième congrès du CDP, il a bataillé ferme pour un retour aux valeurs
militantes. Sa posture au sein du gouvernement semblait empreinte de la
conviction qu'il est un ministre en mission du parti. Il avait du mal à se
considérer comme un simple ministre chargé de la gestion d'un département. En
dépit de ses dénégations, il se voyait au-dessus de tous ces ministres
administratifs préoccupés par les résultats de leurs départements. En plus de
cela, il s'est toujours considéré comme un ministre politique au service d'un
régime dont il s'estime être un des garants, au même titre que tous les
cadres originels. A ses yeux, le pouvoir n'appartient pas à Blaise (même s'il
lui reconnaît la posture de chef), mais l'émanation du mouvement politique
qui lui a donné naissance. D'où la légitimité qu'il confère au parti qui,
pour lui, a vocation à être le pôle d'orientation de l'action
gouvernementale. Or visiblement, ce n'est pas le cas. Le parti apparaît
plutôt comme un instrument au service du gouvernement. C'est apparemment la
raison de la sourde guérilla qu'il livrait à Yonli qu'il accuse d'avoir
oublié le parti. Avec Tertius Zongo, il s'est maintenu dans la même ligne de
conduite. Ce qui lui arrive montre donc que les deux hommes n'avaient pas la
même vision des rapports entre le parti et l'Etat. Sans doute Salif aurait
bien aimé s'approprier de leviers suffisamment puissants pour peser sur
l'action politique nationale. On dit à ce propos qu'il convoitait le poste de
Premier ministre, en particulier après les deux bails de Yonli. Mais à la
veille des élections législatives, le chef de l'Etat a préféré reconduire ce
dernier. L'arrivée de Tertius Zongo montre que Blaise Compaoré lui-même ne
souhaite pas voir le parti prendre l'ascendant sur le gouvernement. Derrière
ces querelles de légitimité, il y a donc bien un problème de vision touchant
à la position de chacune des entités politiques (gouvernement et parti au
pouvoir) sur la vie de la nation. Ce qui
risque de se passer |
leur position sociale ou de leur protection politique. Une intransigeance qui n'a pas fléchi tant que les militants sanctionnés n'auront pas reconnu leur faute et demandé pardon au parti. C'était la condition qu'il avait posée et c'est ce que, selon nos sources, les militants fautifs ont fait pour enfin bénéficier de la clémence du parti. Mais apparemment, au sein du parti, ils ne sont pas nombreux les responsables qui acceptent d'aller aussi loin dans l'application de la rigueur disciplinaire. Le militantisme prôné par Salif a très peu d'adeptes aujourd'hui dans les rangs du CDP. N'empêche qu'ils sont nombreux les militants qui redoutent ce qui se profile à l'horizon et qui s'apparente à un nouveau viol de la Constitution. Si bien que la stratégie de contournement du CDP à travers les structures parallèles de soutien risque de se poursuivre. Et dans cette perspective, l'argent est appelé à faire son œuvre. Du moins, c'est ce qu'on espère. Dans le même temps, le CDP subira de nombreux assauts et il n'est pas sûr que l'appareil du parti sera assez robuste pour tenir. En tout cas, les jours qui viennent nous édifieront sur les stratégies qui se peaufinent dans l'ombre et qui ne vont pas tarder à montrer leurs effets. Ainsi, la disgrâce de Salif préfigure le démantèlement du CDP ou à tout le moins son alignement sans condition dans le processus de monarchisation qui se met en place. Et comme nous l'avons déjà écrit : " on ne ruse pas indéfiniment avec l'évidence !" NAB |