Assassinat de Jean Dominique : huit ans d’impunité incompréhensible

 

Le 3 avril 2000, Jean Léopold Dominique était assassiné par balles à Port-au-Prince, dans l’enceinte de la station de radio Haïti Inter qu’il dirigeait. Justice n’a jamais été rendue pour ce crime qui avait fait une autre victime en la personne de Jean-Claude Louissaint, le réceptionniste du média. Reporters sans frontières ne s’explique pas ces huit ans d’impunité, alors qu’une réelle volonté politique et judiciaire a donné, depuis deux ans, des résultats tangibles dans d’autres affaires qui ont endeuillé la presse haïtienne.

“Au cours de l’année 2007, deux condamnations ont été prononcées dans l’affaire Brignol Lindor, journaliste de Radio Echo 2000 assassiné en 2001 à Petit-Goâve, et autant dans l’affaire Jacques Roche, chef du service culturel du quotidien Le Matin, enlevé et tué en 2005 à Port-au-Prince. D’autres enquêtes sur des cas plus récents ont parallèlement abouti à des arrestations rapides. Toujours en 2007, le 10 août, le président de la République, René Préval, ami proche de Jean Dominique, a institué en personne et en présence de la veuve du journaliste, Michèle Montas, une Commission indépendante d’appui aux enquêtes relatives aux assassinats de journalistes (CIAPEAJ). La volonté politique et judiciaire est là et la preuve a été faite que l’impunité n’était pas une fatalité. On s’explique d’autant plus mal pourquoi le dossier Jean Dominique reste seul en souffrance, huit ans après les faits. Les éventuelles incidences politiques de cette affaire ne peuvent justifier qu’elle n’ait jamais été élucidée”, a déclaré Reporters sans frontières.

L’enquête sur les assassinats de Jean Dominique et Jean-Claude Louissaint, conclue le 21 mars 2003, avait abouti à l’inculpation et à l’incarcération de six individus : Dymsley Milien dit “Ti Lou”, Jeudi Jean-Daniel dit “Guimy”, Philippe Markington, Ralph Léger, Freud Junior Demarattes et Ralph Joseph. Les trois derniers ont été relaxés en appel le 4 août 2003. En février 2005, “Ti Lou”, “Guimy” et Philippe Markington ont profité d’une mutinerie pour s’évader de prison. En fuite en Argentine, Philippe Markington avait contacté Reporters sans frontières pour protester de son innocence. “Ti Lou”, aujourd’hui décédé, et “Guimy” avaient repris leurs activités de chefs de gang en toute impunité à Martissant, sur les hauteurs de la capitale haïtienne.

Le 14 mars 2004, Harold Sévère, ancien maire adjoint de Port-au-Prince aujourd’hui en exil, et Ostide Pétion alias “Douze”, ont été arrêtés comme commanditaires présumés de l’assassinat. Le 10 mai suivant, Annette Auguste, interpellée dans une autre affaire, a été également mise en cause. Aucune de ces trois personnes n’a pourtant été soumise au moindre interrogatoire. Les déclarations du tueur présumé “Ti Lou”, qui aurait reçu la somme de 10 000 dollars pour exécuter Jean Dominique, n’ont jamais fait l’objet de la moindre vérification. Enfin, la mort suspecte de deux témoins n’a jamais été éclaircie.

Le 29 juin 2004, la Cour de cassation avait ordonné la réouverture du dossier. Il aura pourtant fallu près d’un an pour que soit désigné un nouveau juge d’instruction, le 3 avril 2005 - soit cinq ans jour pour jour après les faits -, sans que ce dernier puisse avoir accès au dossier et dispose des moyens nécessaires à son enquête. Au total, six magistrats se sont succédé pour instruire l’affaire.

Le 4 avril 2007, le dossier a connu un nouveau revers avec l’assassinat de l’homme d’affaires Robert Lecorps, également soupçonné d’implication dans la mort du journaliste. Poursuivi pour “entrave à la justice”, l’ancien commissaire de police Daniel Ulysse, directeur central de la police judiciaire à l’époque de l’assassinat de Jean Dominique, a été arrêté, le 10 décembre dernier. La police nationale d’Haïti (PNH) aura cependant mis près d’un mois a éxécuter le mandat d’amener émis par le juge Fritzner Fils-Aimé, actuellement en charge du dossier.

Les déclarations de l’ancien sénateur Dany Toussaint, régulièrement cité dans l’affaire, n’ont jamais pu être corroborées. Depuis le début de l’année 2008, le juge Fils-Aimé a tenté d’obtenir la déposition du vice-président du Sénat, Rudolph Boulos, propriétaire des Laboratoires Pharval. Peu avant son assassinat, Jean Dominique avait rappelé à l’antenne qu’un médicament avarié, l’Afébril, produit et distribué par cette industrie pharmaceutique, avait causé la mort d’une centaine d’enfants, en 1996. Dans une lettre adressée le 27 février 2008 à la présidence du Sénat, la CIAPEAJ, instituée par le président René Préval, a également plaidé pour que Rudolph Boulos réponde aux convocations du juge Fils-Aimé. Le sénateur a adressé, une semaine plus tard, une fin de non-recevoir à cette requête, invoquant l’”immunité parlementaire”. RSF



06/04/2008
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