Argentine : Au-dessus du pétrole, la misère
La
majeure partie du pétrole argentin provient du sous-sol de Comodoro Rivadavia.
Une ville de Patagonie où les services de base sont inexistants, rapporte
l'hebdomadaire Visão.
Comodoro Rivadavia, en Patagonie centrale
[province de Chubut], est la première ville d'Argentine pour l'exploitation
pétrolière. C'est la ville des affaires, du pétrodollar, de l'émergence d'une
nouvelle bourgeoisie qui a trouvé refuge dans la cité voisine de Rada Tilly.
C'est la ville du sous-sol, du travail, un concentré de plusieurs cultures, de
nombreuses diasporas. Et, en dépit de tout cela, Comodoro Rivadavia, c'est
aussi la ville du néant, en quête d'identité, perdue sur une mer de pétrole au
cœur de la Patagonie.
Les premiers colons – dont de nombreux Portugais – de cette cité centenaire ont
dû défricher une région à l'état brut. Manuel Orlando dos Reis, un Portugais de
77 ans, y est arrivé enfant, à l'époque où il n'y avait là que des derricks.
Comme son père avant lui, il commença par travailler dans le pétrole.
Aujourd'hui, c'est le roi de la ferraille. Il vend des pièces pour
l'exploitation pétrolière et possède une flotte de pêche. La majorité des 3 700
Portugais de Comodoro n'ont pas connu la même réussite. La plupart travaillent
pour les compagnies pétrolières, certains dans le secteur de la pêche, qui
connut des temps prospères quand les rives de Comodoro étaient propres. Leurs
descendants parlent espagnol, ont fait des études et aspirent à autre chose. A
leur arrivée, il manquait de tout à Comodoro, et surtout de ce qui aujourd'hui
reste une denrée rare : l'eau. Elle sort au compte-gouttes des robinets de la
ville. C'est d'ailleurs en raison de la pénurie d'eau que les premiers colons parvinrent
à convaincre le pouvoir central de Buenos Aires d'envoyer des sondes
exploratoires pour rechercher des nappes phréatiques. La ville ressemblait à
l'époque à une cité fantôme, cherchant sa survie dans l'océan Atlantique,
luttant contre le froid des longs hivers, battue par les violentes rafales du
vent de Patagonie. Après des années d'attente, les habitants accueillirent dans
une ambiance de fête les sondes promises. Mais, à la stupeur générale, on
trouva du pétrole, des nappes et des nappes de pétrole, comme jamais
l'Argentine n'en avait vues. Et la vie de Comodoro changea de façon
irréversible.
Les grandes compagnies pétrolières débarquèrent, les multinationales, les gros
contrats, les appareils de forage. La ville allait croître rapidement, trop
vite, de façon désordonnée, maison sur maison, sans planification, s'éloignant
lentement de la mer pour gagner une colline surplombant le littoral. De là, on
aperçoit une ville grise et morne, aussi désespérée qu'elle pouvait l'être
avant l'arrivée du "progrès".
Les géants pétroliers n'ont qu'un seul intérêt à Comodoro : l'or noir que les
appareils de forage – ils sont au nombre de 1 100 dans le seul périmètre de la
ville – retirent, sans interruption, du sous-sol. Dans la province de Chubut,
on en compte plus de 50 000, extrayant jusqu'à la moelle les ressources
naturelles. Il y a environ un an, le Chubut a réussi à surpasser la province de
Neuquén [nord-ouest de la Patagonie], qui détenait jusque-là tous les records
en matière d'exploitation pétrolière. En 2006, le Chubut produisait près de 10
millions de mètres cubes de pétrole brut sur les 30 millions produits par le
pays.
Pourtant, à Comodoro Rivadavia, on manque toujours de tout. Il n'y a pas
d'assainissement, pas d'enseignement digne de ce nom, pas de traitement des
eaux usées. Les déchets produits par la ville sont purement et simplement
acheminés jusqu'à la mer. Il n'y a même pas ce qui devrait être une évidence :
une station de désalinisation. De leur côté, les compagnies pétrolières
retirent du sous-sol de la ville un profit de près de 40 millions de dollars
par jour. Mais de ce montant, la mairie ne reçoit, apparemment, qu'une infime
partie. Le pétrole part ensuite dans des raffineries des environs, puis il est
acheminé vers Buenos Aires pour être enfin exporté.
Comodoro n'est en cela pas différente de tant d'autres Comodoro du monde, des
villes très riches en matières premières qui végètent dans la pauvreté.
Comodoro possède une autre richesse : l'imposant parc d'éoliennes qui domine
toute la ville. Jusqu'à l'an passé, c'était le plus productif d'Amérique du
Sud. Certains secteurs de l'extraction pétrolière – extrêmement polluante – de
la ville sont alimentés par l'énergie éolienne.
Luís Pedro Cabral
Visão