35 pendus par an et 102 tentatives de suicides
Sorcellerie et pendaisons au Passoré
35 pendus par an et 102 tentatives de suicides
La sorcellerie. pratique imaginaire ou réalité multiséculaire ?
A Yako, dans la province du Passoré, localité située à quelque 110 kilomètres de Ouagadougou, de nombreuses personnes, généralement de vieilles femmes, accusées de "mangeuses d'âme", sont frappées d'ostracisme. Pour se délivrer de cette mort sociale, la plupart d'entre elles sont contraintes de se donner la mort. Le plus souvent par pendaison. Le phénomène prend de l'ampleur. L'omerta, la loi du silence, reste là-bas, la chose la mieux observée.
Le phénomène des "mangeuses d'âme" crée une véritable psychose à Yako. Tel un serpent de mer dans un océan de mysticisme, la sorcellerie, mythe ou réalité, a des conséquences dévastatrices sur le vécu des populations. Pendaisons, exclusions sociales, sont le lot quasi quotidien des "chouinba", c'est-à-dire "mangeuses d'âme" en langue mooré.
En effet, dans cette localité, pour ceux, disons plutôt pour celles, puisqu'il s'agit généralement de femmes, qui sont accusées de cette pratique maléfique, la sanction est toujours la même et sans appel : passage à tabac, lynchage puis bannissement. Pour les victimes de cette clameur publique, c'est le début d'une mort sociale qui débouche, dans bien de cas, à la mort tout court. "Lorsqu'on m'a accusée de sorcellerie et procédé à mon exclusion, j'ai vécu 8 jours dans la brousse, dans la faim et la soif. Ma seule compagnie était les chants des oiseaux. N'ayant plus envie de vivre, j'ai tenté de mettre fin à ma vie en consommant les raticides. J'ai vomi durant trois jours ", témoigne Sibidou Bassyam, la cinquantaine sonnée.
Chassées de chez elles, les femmes accusées de sorcellerie à Yako sont interdites de séjour même dans leurs propres familles. Considérées comme des pestiférées, il leur est interdit la moindre assistance et tout geste de solidarité à leur égard est formellement prohibé. "N'eut été l'existence de nos centres d'accueil, ces personnes seraient vouées à une mort certaine", a confié la sœur Rita Tankoano, responsable d'un centre accueillant des présumées sorcières à Tema Bokin. "Pour me faire partir, confie Jacqueline Yili, instruction a été donnée à tous les habitants du village de ne plus m'adresser la parole. Aussi, ai-je été privée de nourriture et d'eau." Veuve depuis dix ans, elle a été contrainte d'abandonner ses trois fillettes puis de quitter la ville " dix jours avant que la sentence ne soit prononcée" poursuit l'excommuniée. Les femmes qui sont accusées de sorcellerie dans le Passoré partagent le même lot de souffrances. Entre autres, le veuvage, la polygamie avec ou sans enfants. Les champs de certaines d'entre elles ont été détruits. D'autres ont vu leurs enfants interdits de leur rendre visite ou de leur apporter la moindre assistance sous peine d'être eux aussi frappés d'exclusion.
Selon les pensionnaires dudit centre, certains responsables coutumiers poussent les "mangeuses d'âme" au suicide. "Un vieux du village a eu l'outrecuidance de me suggérer d'aller me suicider si je connais la honte", se remémore Marcelline Konkobo, 68 ans. Quant à Suzanne Bamogo, elle verse des larmes quand elle se remémore les conditions dans lesquelles elle a été expulsée. Sous le poids d'un demi-siècle de vie, elle jure qu'elle quittera ce monde sans oublier ce qu'elle a subi comme brutalités et brimades. "Ils m'ont tabassée avec ce qu'ils avaient à portée de mains. J'ai reçu des coups en plein visage et j'ai beaucoup saigné", dit-elle, en écrasant ses larmes. Reprenant son souffle, elle se résigne : "c'est Dieu qui jugera les actes de chacun."
Abandonnées par leurs familles nucléaires et pointées du doigt dans leur milieu d'accueil, ces femmes n'ont pas droit à la grâce, même post-mortem : "Nous sommes obligés de les enterrer dans les cimetières chrétiens car même mortes, elles sont rejetées ", affirme la sœur Rita Tankoano. Une enquête menée sur l'exclusion sociale des personnes âgées au Burkina et dans la sous région par le professeur d'université Albert Ouédraogo en 2006 révèle que 78% d'entre elles vivent avec moins de cinq cents francs par mois. Celles qui ont toujours la possibilité de se déplacer ramassent les excréments d'animaux, du bois de chauffe, cultivent du mil, du sorgho, du haricot, du fonio, du sésame, des oléagineux, des légumes, du potage et du coton et écoulent difficilement leurs produits eu égard aux stigmatisations dont elles sont victimes. Celles qui sont cloîtrées dans des maisons délabrées (frappées par l'âge, elles ne peuvent plus se déplacer et vivent des aides diverses) n'ont qu'une seule prière : implorer Dieu de les rappeler au Ciel. L'exclusion sociale des personnes pour fait de sorcellerie est si forte au Burkina en général et à Yako en particulier, que l'Eglise catholique s'est vue obliger d'intervenir en recueillant les victimes pour leur éviter la mort par suicide. La problématique de l'identification des " mangeuses d'âme " reste entière. Le mystère est total du fait qu'aucune science n'est parvenue, jusque-là, à démontrer rationnellement la culpabilité des accusées. Dans le domaine coutumier, des rites d'identification existent avec leurs insuffisances, car dépendant des convictions des nécromanciens, détenteurs des pouvoirs dits mystiques. Parmi les preuves rituelles, figure le célèbre "port de cadavre".
Une pratique à polémique
Celui-ci fait l'objet de vives controverses dans le Passoré entre l'administration judiciaire, les services de l'Action sociale, la gendarmerie, la police, les mouvements des droits de l'homme, les associations féminines d'une part et les gardiens de la coutume d'autre part. "Un individu qui a été incapable de son vivant d'empêcher que l'on intente à sa vie peut-il animer un corps inerte au point de l'obliger à designer son meurtrier ? ", s'interroge le procureur de la localité, Etienne Yé. L'un des ministres de Naaba Tigré de Yako invite le procureur à l'essai : "Si le procureur ne croit pas au pouvoir détecteur de notre port de cadavre pour détecter certaines mangeuses d'âme, nous l'invitons à tenter l'expérience, il saura que les fétiches ne mentent pas". Pour étayer ses propos, le Goungha naaba, un autre dignitaire local, raconte l'histoire d'un gendarme en service à Yako qui n'accordait aucun crédit quant à l'efficacité du "port de cadavres".
Ayant assisté et même participé une fois à cette cérémonie de mise en accusation, l'officier de police judiciaire en question, semble-t-il, sous l'effet des forces invisibles qui le guidaient, a perdu son béret. Selon la même source, le pandore avait même promis en son temps, d'être le porte parole des gardiens de coutumes auprès de son service. Paul Tenoanga (chef coutumier de Sancè dans la province du Bam), pour sa part, relativise les propos du procureur. Ne croyant pas à la bonne foi des "porteurs de cadavre" de nos jours, affirme que faire marcher un cadavre pour désigner son meurtrier est du domaine du possible. Les maléfices qui animaient le corps et l'obligeaient à marcher dans une certaine direction ont été oubliés par certains. Actuellement, soutient Paul Tenoanga, "Seules certaines personnes initiées maîtrisent encore ces éléments fondamentaux". Lui particulièrement semble pouvoir les dompter. Il raconte : "Je vais avec un parent à Kaya qui meurt en court de route. On décide de l'enterrer à Kongoussi. J'anime le corps à une certaine heure donnée, il va se lever et marcher de Kaya à Kongoussi où il mourra à nouveau pour y être enterré. Non pas qu'il ne fût pas mort mais, il a été animé par quelque chose d'autre. Toutes ces choses ont été oubliées et ont disparu avec les personnes qui les détenaient".
Le "port de cadavre" dans la province du Passoré a la peau dure. Plus de 100 entre 2007 et 2008, selon les statistiques de l'Action sociale. Chiffres confirmés par la brigade de gendarmerie. Les mordus de cette croyance sont tellement convaincus de leur "science" que des sages ont même franchi le rubicond en allant demander sa légalisation.
Sceptique, le procureur Yé préconise de manier le bâton et la carotte - la sensibilisation avant la répression - pour freiner cette pratique.
Délivrance par le suicide
Les accusations de sorcellerie ont des conséquences néfastes sur la vie des présumées "mangeuses d'âme". La plus directe et la plus répandue est le suicide. Et les chiffres parlent d'eux-mêmes : Trente-six (36) pendaisons par an. "C'est ma première fois, dans une juridiction, de constater un taux aussi élevé de suicides par pendaison ou par noyade dans un puits. C'est très fréquent. Au minimum une à deux pendaisons par mois". Déclaration troublante du procureur du Faso près le tribunal de grande instance de Yako, Etienne Yé. N'empêche que certains restent sceptiques quant aux chiffres avancés. Selon des sources émanant de la gendarmerie et de la police, la seule province du Passoré peut enregistrer 5 à 6 pendaisons par mois.
Les départements de Arbollé, Gomposom, Tema Bokin détiennent les sinistres records de pendaisons dans ladite province. "Souvent nous sommes obligés de faire appel aux rites coutumiers pour exorciser cette propension à se pendre. Cependant, j'avoue que la situation est catastrophique. Le nombre de pendaisons est très élevé. Il y a des pendus qu'on découvre 3 jours après. Il est difficile d'y mettre fin à Yako", avoue une source policière qui a requis l'anonymat.
Cette affirmation a été confirmée par le Haut commissaire du Passoré, Lamourdia Thiombiano : "Le phénomène des pendaisons est très important car les statistiques font frémir", avertit le premier responsable de la province.
Le nombre des pendaisons à Yako a atteint un seuil critique et échappe à la compréhension des hommes de loi. Le procureur Yé s'interroge : "Je pose toujours la question à mes collègues de savoir si nous n'allons pas finir par nous pendre nous aussi. Il y a beaucoup de procès-verbaux de cas de pendaisons dans nos tiroirs". Le Haut commissaire Thiombiano, déboussolé par le phénomène, a entrepris une tournée dans les neuf départements que comprend son ressort territorial.
A peine rentré de cette tournée de sensibilisation, les gardiens de la coutume ont chassé dix femmes accusées de sorcellerie. "Il est très difficile de trouver une formule magique pour arrêter le phénomène. C'est un combat de longue haleine à travers la sensibilisation et la répression. De ce fait, il ne faut pas s'attendre à l'éradication rapide du phénomène à Yako" avertit le haut-commissaire.
La situation des pendaisons n'alarme pas seulement les hommes de loi mais aussi les hommes de tenues. Face à l'ampleur du phénomène, les responsables de la gendarmerie ont affecté spécialement un agent avec pour objectif principal de faire arrêter l'hémorragie des pertes en vies humaines. Cela fut peine perdue. Envoyé en mission, le pandore a vite déchanté. "Le problème dépasse les compétences d'un seul gendarme quelle que soit sa bonne volonté", selon l'intéressé. "Tous les matins, lorsque je me réveille, la première des choses est de demander au bon Dieu d'intervenir par miracle pour que je quitte Yako", déclare l'homme de tenue en mission.
Les suicides par pendaison sont devenus la solution de recours pour ceux qui sont accusés d'être des mangeurs ou mangeuses d'âmes dans certaines localités du Passoré. L'une des anecdotes tristes au sujet des pendaisons est celle d'un jeune qui s'est ôté la vie par pendaison lors de sa nuit de noces, alors qu'on l'attendait pour aller chercher la mariée.
L'exclusion sociale
a un visage féminin
A Yako, l'exclusion sociale a un visage féminin. L étude menée par le professeur Albert, auprès des personnes bannies, confirme le fait que l'exclusion pour fait de sorcellerie est d'abord féminine. En effet, l'enquête nous révèle que 98% des exclus sont des femmes contre 2% d'hommes. Il ressort de cette étude que la plus jeune d'entre elles a 55 ans et la plus âgée 100 ans dans les centres d'accueil de Tema-Bokin et Yako. La majorité des pensionnaires des centres d'accueil ont une durée de séjour qui se situe entre 2 mois et 30 ans. Il n'est pas facile d'être exclu (e) social (e) à Yako. Les raisons avancées pour justifier la sanction sociale demeurent les infractions à l'encontre des coutumes comme le meurtre par sorcellerie, les cas d'inceste, la zoophilie et l'adultère.
Eloi Adama Kara est un attaché de santé au service de santé mental de l'hôpital de Yako. Pour ce dernier, les tentatives de suicides sont très élevées et font peur. Les statistiques de ce service montrent qu'en 2007 et 2008, sur près de 900 personnes consultées, on a enregistré 102 tentatives de suicide. Pour l'agent de santé, les tentatives de suicides sont " contagieuses " sur le plan social et si on ne prend pas les mesures nécessaires, elles deviendront un problème de santé publique à Yako.
De sources concordantes, "lorsque l'on est accusé de sorcellerie, la seule alternative possible est de se jeter dans un puits tristement célèbre". Le fameux puits est entouré des tombes des suicidés et serait à Songnaaba, une localité située à quelques encablures de Yako.
Face à l'ampleur de la situation, les femmes ont décidé de se défendre. Des voix se sont élevées pour interpeller les leaders d'opinion, les autorités politiques, coutumières et religieuses. Sont de celles là, la coordination des associations féminines du Passoré qui menace de marcher dans les jours à venir afin de montrer leur ras le bol contre une pratique dégradante qui détruit des milliers de femmes.
Téma Bokin, mythes et mystères
Le "port de cadavre" est très ancré dans certaines localités comme la commune rurale de Tema-Bokin, bourgade située à 55 Kms de Yako. Cette commune rurale semble être le porte-flambeau de tous les vices : pendaisons, suicides, mariages forcés, incestes, tentatives d'élimination etc.
Pour attaquer les maux qui minent sa commune rurale, le maire Ernest Nongma Ouédraogo compte dans les jours à venir, tenir une session du conseil municipal en vue d'engager une série de sensibilisations et dégager des pistes pour lutter contre ces phénomènes sociaux. "Nous sommes conscients de la situation. Et ces pratiques ont la peau dure dans notre commune. Ces dernières années, elles ont pris de l'ampleur", a-t-il confié. Car, selon le maire, les accusateurs semblent n'avoir plus de scrupules à chasser les personnes accusées de sorcellerie puisqu'il y a un logis pour les accueillir. Dans le meilleur des cas, les centres d'accueil et certaines concessions de solidarité sont devenus des auspices ou maisons de retraite pour personnes âgées. De toute évidence, ces habitations demeureront des mouroirs aussi longtemps que dureront ces exclusions sociales.
Le salut viendra-t-il de l'Eglise ?
L'exclusion sociale des personnes pour fait de sorcellerie est si forte au Burkina que l'Eglise catholique s'est vue obligé d'intervenir en recueillant les victimes pour leur éviter la mort par suicide. Seulement, l'Eglise s'essouffle vu le nombre impressionnant des pensionnaires. Ce qui fait que les aides à l'endroit des femmes sont devenues insuffisantes selon les résultats de l'étude menée en 2006 par le professeur Albert Ouédraogo. Les statistiques de l'Action sociale révèlent que de 2006 à 2008, plus de 120 femmes ont été exclues pour fait de sorcellerie. Ces faits fragilisent le tissu social autant que les individus, mettant la solidarité légendaire des africains à rude épreuve. A la longue, l'on assistera à une indignité générationnelle qui se traduira par un abandon des personnes âgées à la charge des autorités administratives ou des Organisations Non Gouvernementales, si rien n'est fait.
Jean-Victor Ouédraogo