2007, année meurtrière jamais recensée

La veille de Noël, le communicateur Fernando Lintuan a été abattu par deux
individus à Davao, aux Philippines, quelques instants à peine après avoir
terminé son émission du matin à la radio locale, selon ce que rapporte le
Centre pour la liberté et la responsabilité des médias (Center for Media
Freedom and Responsibility, CMFR). D'après l'administrateur de la station
où travaillait Lintuan, le meurtre était « certainement relié au travail
(de la victime) » - Lintuan avait critiqué récemment un nouveau parc de
plusieurs millions de dollars, inauguré par le maire de l'endroit, et il
couvrait souvent les activités illégales de coupe de bois dans la région.

La mort de l'animateur de radio philippin met le point final à l'une des
années les plus sanglantes pour les journalistes jamais enregistrées,
rapportent les membres de l'IFEX dans leurs rapports de fin d'année.

Dans son analyse de fin d'année, le CPJ a recensé 65 journalistes tués en
2007 en raison directe de leur travail. C'est le bilan le plus lourd depuis
plus d'une décennie. Les chiffres de l'an dernier ne le cèdent qu'à ceux de
1994, année où 66 journalistes avaient été tués dans les conflits
d'Algérie, de Bosnie et du Rwanda. Le CPJ enquête sur la mort de 23 autres
journalistes en 2007 afin de déterminer les causes de leur décès.
- CPJ : http://www.cpj.org/Briefings/2007/killed_07/killed.html

Reporters sans frontières (RSF) recense au moins 86 journalistes tués dans
l'exercice de leurs fonctions - une hausse de 244 pour 100 en cinq ans. Et
au moins deux journalistes par jour ont été arrêtés et plus de 2 600 sites
ont été bloqués, dit RSF. Malheureusement, à peu près neuf assassins de
journalistes sur dix s'en tirent en toute impunité. Deux affaires,
cependant, pourraient contredire en 2008 cette tendance à l'impunité, dit
RSF : les procès des assassins présumés de Hrant Dink en Turquie et d'Anna
Politkovskaïa en Russie.
- RSF : http://www.rsf.org/article.php3?id_article=24909

Par ailleurs, le groupe des Journalistes canadiens pour la liberté
d'expression (CJFE) déclare dans sa revue annuelle qu'à la mi-décembre, «
c'est le nombre effroyable de 102 journalistes (qui) avaient écrit leur
dernier mot ou livré leur dernier reportage ». Selon le CJFE, le seul rayon
d'espoir a été que les médias n'ont pas cessé de faire leur travail.
Exemple : la photo du journaliste japonais Kenji Nagai mourant dans la rue
à Rangoon, en Birmanie, l'appareil à la main, après avoir été abattu à bout
portant lors des manifestations de protestation de septembre.
- CJFE : http://tinyurl.com/2zf97g

La Fédération internationale des journalistes (FIJ), qui tient des
statistiques en collaboration avec l'International News Safety Institute
(INSI), indique que 171 journalistes et travailleurs des médias ont été
tués l'an dernier. La FIJ inclut tous les journalistes, ceux qui ont tués à
cause de leur travail et ceux qui ont perdu la vie accidentellement pendant
qu'ils se trouvaient en mission ou en route vers une affectation ou de
retour d'une affectation. Abdulkadir Ali Hosh, rédacteur en ligne du
AllDarwish.com, en Somalie, a été ajouté à la liste le 24 décembre. Il
s'est tué dans un accident de voiture près de Garowe, la capitale du
Puntland, en Somalie, tandis qu'il se rendait couvrir un événement.
- FIJ : http://www.ifj.org/default.asp?Index=5638&Language=EN
- INSI : http://tinyurl.com/269zn9

Quel que soit l'écart entre les nombres, tous tombent d'accord pour dire
qu'en 2007, la violence contre les journalistes a atteint un degré extrême.

Une fois encore, l'Irak a été le pays le plus dangereux du monde pour la
presse. Au moins 31 journalistes - à l'exception d'un seul, tous
ressortissants irakiens - ont été tués parce qu'ils faisaient leur travail,
disent les membres de l'IFEX. Ils représentent environ la moitié du total
des journalistes tués en 2007. Un grand nombre d'entre eux ont été ciblés,
et n'ont pas simplement été victimes de balles perdues.

Prenons le cas de Ali Shafeya al-Moussaoui, correspondant du site web primé
de nouvelles « En vie à Bagdad », trouvé assassiné le 14 décembre à son
domicile de Bagdad, la tête et la poitrine transpercées de 31 projectiles.
Selon RSF, l'armée irakienne avait effectué un raid dans sa rue.

Depuis le début de l'invasion de l'Irak par les États-Unis en mars 2003, le
CPJ rapporte qu'environ 175 journalistes et travailleurs des médias ont été
tués, ce qui en fait le conflit le plus meurtrier de l'histoire récente
pour la presse. RSF établit ce nombre à plus de 200.

Après l'Irak, les trois pays les plus mortels pour les médias ont été la
Somalie, avec au moins sept journalistes tués à cause de leur travail, et
le Sri Lanka et le Pakistan, qui comptent tous deux au moins cinq
journalistes assassinés. D'après le CJFE, les trois pays ont un trait en
commun : « des gouvernements instables qui poursuivent un programme le
lutte contre la libre expression afin d'écraser la dissidence. Dans ces
pays, les journalistes sont présentés comme des "fauteurs de trouble" qui
agissent à l'encontre des intérêts nationaux ».

Dans une affaire qui a suscité l'horreur au Pakistan, trois membres d'une
même famille ont été tués lors de trois attentats distincts, rapporte le
CJFE. Le corps criblé de balles de Hayat Ullah Khan a été trouvé en juin
2006. Son frère de onze ans a été tué plusieurs mois plus tard. Puis, en
novembre dernier, la femme de Khan, Mehr-un-Nisa, a été tuée par
l'explosion d'une bombe dissimulée près de chez elle. Ces homicides
auraient pour objectif d'empêcher la famille d'identifier les assassins de
Khan.

Une bonne nouvelle, rapportent les membres - pour la première fois en 15
ans, aucun journaliste n'a été assassiné en Colombie à cause de son
travail.

Hélas, la liste des journalistes assassinés en 2008 comporte déjà un nom.

PROBIDAD rapporte que, la veille du Premier de l'an, deux hommes sont
entrés à la station de radio « Radio Mega » à Santa Bárbara, au Honduras,
et ouvert le feu à plusieurs reprises en direction du propriétaire de la
station, José Fernando Gonzáles, qui est mort instantanément. Selon la
police, Gonzáles pourrait avoir été tué parce qu'il faisait son travail :
il étendait sa propriété des médias dans la région.

Mais l'avenir n'a pas à être aussi sombre. L'INSI attire l'attention sur
certains éléments encourageants en 2007 qui pourraient signaler un point
tournant : une plus grande sensibilisation à la gravité de la situation de
la liberté de la presse; sept pays du nord qui s'engagent à rehausser la
sécurité des journalistes qui couvrent les conflits; les organismes
internationaux qui promettent de combattre l'impunité dont jouissent les
assassins de reporters; les Nations Unies qui appuient des mesures en vue
d'améliorer la sécurité des journalistes; enfin, des entreprises de
nouvelles qui donnent de la formation professionnelle en sécurité et de
l'équipement de protection moderne.

Pour en lire davantage sur les décès récents de journalistes :
- CMFR, à propos de Lintuan (Philippines) : http://tinyurl.com/28rvuy
- INSI, à propos de Hosh (Somalie) : http://tinyurl.com/ysj9nj
- RSF, au sujet de al-Moussaoui (Irak) : http://tinyurl.com/yvtngv
- PROBIDAD, à propos de Gonzáles (Honduras) : http://tinyurl.com/2g4mmy



13/01/2008
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