USA : Tant d’argent pour les fautifs
Le plan de sauvetage proposé par le
gouvernement américain est-il équitable ? Et sera-t-il efficace ? L’analyse de
l’économiste de Princeton Paul Krugman.
Pour
certains sceptiques, le plan de sauvetage de 700 milliards de dollars proposé
par Henry Paulson [le ministre des Finances] n’est que “de l’argent pour les
ordures” (“cash for trash”). D’autres ont rebaptisé la loi envisagée “Autorisation
du recours à la force financière” en référence à la tristement célèbre
“Autorisation du recours à la force militaire” qui a donné le feu vert à
l’administration Bush pour envahir l’Irak.
Ces railleries ne sont pas injustifiées. Tout le monde sait qu’il faut faire
quelque chose. Mais M. Paulson exige des pouvoirs extraordinaires pour lui-même
– et pour son successeur – afin de disposer de l’agent du contribuable au nom
d’un plan qui, autant que je sache, n’a aucun sens.
Certains prétendent que nous devrions simplement faire confiance à M. Paulson
parce que c’est un type intelligent qui sait ce qu’il fait. Ce n’est
malheureusement qu’à moitié vrai : c’est un type intelligent, mais si l’on
revient sur les dix-huit derniers mois – au cours desquels il a répété à l’envi
que la crise financière était “sous contrôle” et n’a proposé qu’une
série de remèdes inefficaces – rien ne permet de croire qu’il sait ce qu’il
fait. Il improvise au fur et à mesure, exactement comme nous le faisons tous.
Alors, essayons de penser par nous-même. J’ai une vision en quatre points de la
crise financière.
1. L’éclatement de la bulle immobilière a entraîné une flambée des défauts de
paiement et des saisies de biens hypothéqués, ce qui a fait plonger le prix des
titres adossés à des prêts immobiliers – des actifs dont la valeur repose in
fine sur le remboursement de ces prêts.
2. A cause de ces pertes financières, de nombreuses institutions financières se
sont retrouvées avec des capitaux insuffisants – trop peu d’actifs par rapport
aux sommes empruntées. Ce problème est particulièrement aigu parce que tout le
monde a énormément emprunté pendant les années de la bulle immobilière.
3. Comme les institutions financières n’ont pas assez de capitaux, elles n’ont
pas pu ou voulu offrir les crédits nécessaires à l’économie.
4. Les institutions financières ont essayé d’éponger leurs dettes en vendant
des actifs, notamment leurs titres adossés à des prêts immobiliers, mais cela a
fait baisser le prix de ces titres et donc aggravé leur situation financière.
Certains appellent ce cercle vicieux le “paradoxe du désendettement”.
Paulson demande au gouvernement fédéral de racheter pour 700 milliards de
dollars de créances bancaires douteuses, adossées pour la plupart à des prêts
immobiliers. Cela va-t-il résoudre la crise ? Eh bien, cela pourrait peut-être,
je dis bien peut-être, briser le cercle vicieux du désendettement. Mais ce
n’est pas très clair. Car les prix de nombreux actifs, et pas seulement ceux
que le Trésor se propose de racheter, sont sous pression. Et même si le cercle
vicieux est freiné, le système financier sera toujours grippé par le manque de
capitaux. Sauf si le gouvernement fédéral décide de surpayer les actifs qu’il
achète, faisant ainsi bénéficier les sociétés financières – ainsi que leurs
actionnaires et leurs dirigeants – d’une véritable manne et ce, aux dépens du
contribuable. Ai-je précisé que ce plan ne me plaît guère ?
Si la logique de la crise demande de toute évidence une intervention, ce n’est
pas à l’étape 4 mais à l’étape 2 : le système financier a besoin de plus de
capitaux. Et si le gouvernement doit fournir des capitaux aux entreprises
financières, il devra donner aux personnes qui fournissent ce capital ce qui
leur revient de droit, c’est-à-dire des parts dans ces sociétés. Ainsi, en cas
de succès du plan, tous les bénéfices ne reviendront pas aux gens qui ont
planté le système au départ.
C’est ce qui s’est passé dans la crise du crédit et de l’épargne [des années
1980] : la Fed a repris le contrôle des banques douteuses et pas seulement
celui de leurs actifs douteux. C’est également ce qui s’est passé avec Fannie
Mae et Freddie Mac. (Ce sauvetage a d’ailleurs eu les effets escomptés : les
taux d’intérêts immobiliers ont baissé de manière spectaculaire depuis leur
mise sous tutelle fédérale.)
Mais M. Paulson répète qu’il veut un plan “propre”. Dans ce contexte, “propre”
signifie un sauvetage financé par le contribuable sans aucune contrepartie –
aucune compensation de la part de ceux qui seront renfloués. En quoi est-ce une
bonne chose ? Ajoutez à cela le fait que M. Paulson exige des pouvoirs
dictatoriaux en plus d’une immunité qui l’exempterait de tout contrôle de la
part de “toute cour de justice ou agence gouvernementale”, et cela finit
par faire une proposition inacceptable.
Je sais bien que le Congrès est soumis à une pression énorme pour ratifier le
plan Paulson dans les prochains jours, en y apportant, au mieux, quelques
modifications pour le rendre un peu moins mauvais.
Mais je recommande vivement au Congrès de s’arrêter une minute, d’inspirer
profondément et d’essayer sérieusement de revoir la structure de ce plan, afin
d’en faire un projet qui s’attaque au vrai problème. Ne vous laissez pas dicter
votre conduite. Si ce plan passe sous sa forme initiale, nous le regretterons
tous profondément dans peu de temps. Paul Krugman
The
New York Times