Un nouveau paradis pétrolier
Une nouvelle étude
américaine localise et quantifie les réserves d’hydrocarbures qui pourraient
dormir dans le sous-sol de l’océan Arctique. De quoi aiguiser l’appétit des
majors.
L’avenir
de l’Arctique, ce sera moins d’étendues blanches et davantage d’or noir,
signale un rapport récemment publié au sujet des réserves pétrolières du Grand
Nord. Selon la première estimation globale des ressources en pétrole et en gaz
situées au nord du cercle polaire, effectuée par des géologues américains, il
se pourrait que la région recèle, sous la glace, un cinquième des réserves
d’hydrocarbures non encore découvertes mais récupérables de la planète. Cela
représente 90 milliards de barils de pétrole et 47 260 milliards de mètres
cubes de gaz, soit environ le tiers des réserves mondiales de gaz connues.
L’intérêt de ce rapport est de fournir les premiers chiffres sûrs en ce qui
concerne les richesses en hydrocarbures que les cinq pays riverains de
l’Arctique – les Etats-Unis, la Russie, le Canada, la Norvège et le Danemark
(via le territoire autonome du Groenland) – convoitent depuis plusieurs années.
Attirés par les énormes potentialités économiques de la région, les gouvernements
des pays riverains de l’Arctique se préparent déjà à revendiquer leur part des
fonds marins. L’étude sur les ressources en pétrole et en gaz réalisée par
l’agence gouvernementale US Geological Survey révèle cependant que la plupart
des réserves sont concentrées près des côtes, dans la juridiction territoriale
des pays concernés. La majeure partie du pétrole se trouve au large de l’Alaska
et celle du gaz au large du littoral russe. Les réserves situées au cœur de
l’Arctique – c’est-à-dire dans la portion d’océan sur laquelle aucun pays
n’exerce actuellement de souveraineté – semblent restreintes.
Au moins une dizaine d’années pour entamer l’exploitation
Mais ce que laisse prévoir le rapport, c’est un avenir très différent pour
l’une des dernières régions intactes du monde. S’il y a du pétrole, les pays
qui le détiennent chercheront sans aucun doute à l’extraire, quel qu’en soit le
coût environnemental. “Il est possible que les vastes plates-formes
continentales de l’Arctique constituent la plus grande zone pétrolifère non
explorée de la Terre”, souligne Donald Gautier, le chef du projet. Selon
les estimations de l’agence, plus de la moitié des ressources pétrolières
encore non découvertes sont concentrées dans trois zones géomorphologiques : l’Alaska
arctique (30 milliards de barils), le bassin amérasien (9,7 milliards) et les
bassins de l’est du Groenland (8,9 milliards).
Par ailleurs, plus de 70 % des réserves non découvertes de gaz naturel se
trouveraient, elles aussi, dans trois zones : le bassin de l’ouest de la
Sibérie (18 430 milliards de mètres cubes), les bassins de l’est de la mer de
Barents (9 000 milliards) et l’Alaska arctique (6 250 milliards). L’étude a
couvert l’intégralité de la région située au nord du 66e parallèle et a pris en
compte l’ensemble des réserves exploitables à l’aide des techniques existantes.
Les ressources expérimentales ou non conventionnelles telles que les schistes
bitumeux, les hydrates de gaz et le méthane n’étaient pas incluses dans les
estimations.
Les 90 milliards de barils de pétrole que l’on s’attend à trouver dans
l’Arctique excèdent le total cumulé des réserves connues du Nigeria, du
Kazakhstan et du Mexique, et pourraient satisfaire à eux seuls la totalité de
la demande mondiale actuelle (86,4 millions de barils par jour) pendant trois
ans. Mais le pétrole de l’Arctique n’est pas censé remplacer les réserves du
reste du monde. Il durera bien plus longtemps s’il est utilisé en complément
des approvisionnements existants et pourrait permettre de réduire la dépendance
américaine à l’égard du pétrole importé si les Etats-Unis exploitaient ces
ressources.
Le rapport ne donne pas d’estimations sur le délai d’attente pour l’arrivée de
ces ressources sur les marchés, mais il est clair que l’opération ne se fera
pas du jour au lendemain. Il faudra, par exemple, sans doute une dizaine
d’années ou plus pour pouvoir commencer à exploiter les gisements situés dans
le golfe du Mexique et au large de l’Afrique occidentale. Mais il est évident
que l’énorme quantité d’infrastructures industrielles auxquelles il faudra
faire appel pour découvrir le pétrole, l’extraire et le transporter dans les
régions qui en ont besoin aura un coût environnemental colossal. Alors que les
leaders démocrates des deux Chambres du Congrès ont rejeté, le 14 juillet
dernier, une proposition du président Bush visant à lever le moratoire de
vingt-cinq ans sur le forage dans la plupart des eaux côtières, les patrons des
compagnies pétrolières américaines appellent à un assouplissement des réglementations
interdisant le forage offshore – y compris dans une bonne partie de l’Alaska.
Maintenant, les demandes pourraient bien aboutir.
Frank O’Donnell, le président du groupe écologique américain Clean Air Watch, a
déclaré que les ours polaires et d’autres animaux sauvages du cercle arctique
sont non seulement menacés de perdre leur habitat par le réchauffement
climatique, mais pourraient également souffrir des activités de prospection des
compagnies pétrolières. “D’un côté, cette région semble plus accessible
[pour se procurer des ressources énergétiques], mais, de l’autre, nous allons
en payer le prix en perdant des espèces, prévient-il. L’industrie
pétrolière arrive, industrialise une zone vierge de toute pollution… et,
soudain, on obtient un nouveau Houston.”
Michael McCarthy
The
Independent