Un milliardaire américain paye la caution de certains sans-papiers
Choqué
par l'image de clandestins arrêtés et enchaînés, un millionnaire américain a
décidé de payer leur caution, quitte à s'attirer des critiques, explique The
Wall Street Journal, le grand quotidien économique américain.
Par un matin glacial de mars 2007, le FBI fit
une descente dans une usine de cet ancien port baleinier. Des centaines
d'immigrés clandestins affairés à coudre vestes et sacs à dos pour les soldats
américains en Irak et en Afghanistan furent arrêtés. La plupart d'entre eux
furent envoyés, enchaînés, vers un centre de détention du Texas. Sauf à trouver
plusieurs milliers de dollars pour payer leur caution et gagner du temps pour
monter leur défense, leur expulsion était imminente.
C'est alors qu'intervint un mystérieux bienfaiteur, un donateur anonyme qui
rassembla plus de 200 000 dollars pour sortir quarante personnes de prison.
Ces versements étaient l'œuvre de Bob Hildreth, un financier de Boston qui a
fait fortune dans la négociation des dettes de pays d'Amérique latine. Les
images de ces ouvriers envoyés au Texas l'avaient "mis en fureur",
raconte-t-il. "Cette opération de police a déchiré des familles",
déplore cet homme peu imposant de 57 ans. "Ce sont des agissements
tellement non américains."
Les paiements de caution sont rares dans les annales de la philanthropie. Et
risqués pour le donateur. Aucun des heureux bénéficiaires de Bob Hildreth n'a
disparu après sa libération sous caution, mais c'est un vrai risque étant donné
le peu de chances qu'ils ont de pouvoir rester légalement aux Etats-Unis. Et si
cela se produisait, le généreux donateur se verrait reprocher d'avoir aidé des
individus à échapper à la justice.
La descente du FBI dans cette usine a fait beaucoup parler à New Bedford, où
Ken Pittman, animateur très en vue sur une radio locale, se montre très
virulent contre l'immigration illégale. "J'aimerais demander à Hildreth
d'avoir autant de compassion pour les ouvriers américains évincés par ces étrangers
sans papiers", a déclaré l'animateur.
La descente du FBI dans l'usine de New Bedford a été l'une des plus vastes
opérations du genre menées aux Etats-Unis ces dernières années. Trois cent
soixante et une personnes ont été arrêtées, et la plupart envoyées au Texas, un
Etat connu pour la sévérité de ses juges dans les affaires d'immigration.
C'est en voyant les images de ces prisonniers enchaînés embarquant tant bien
que mal à bord d'un avion pour le Texas que Bob Hildreth a décidé de contacter
Greater Boston Legal Services [GBLS, Services juridiques du grand Boston], une
association à but non lucratif qui travaillait alors à mettre sur pied des
actions en réplique à l'opération du FBI. "Je leur ai dit de me contacter
s'ils avaient des cautions à régler", raconte le millionnaire.
"C'était presque trop beau pour être vrai", renchérit Nancy Kelly,
juriste pour le GBLS.
Robert Hildreth était prêt à aider certains sans-papiers à payer leur caution à
condition qu'eux-mêmes ou leur famille déboursent également une somme
significative. Il a reçu par courriel les demandes individuelles transmises par
le GBLS, puis transféré l'argent par virement aux avocats.
Le dernier bénéficiaire de Robert Hildreth était aussi le dernier dans l'usine
pendant la descente de police. Manuel Perez, malentendant, travaillait sur une
machine à coudre double aiguille : il ne s'était pas rendu compte du chaos
autour de lui. "Je suis heureux d'avoir retrouvé ma famille",
déclare-t-il, de retour dans le Massachusetts après avoir été libéré sous
caution au Texas. "J'espère obtenir un permis de travail."
A ce jour, deux des affaires concernant des immigrés aidés par Bob Hildreth ont
été résolues, précise l'association d'assistance juridique. L'un d'entre eux a
décidé de demander l'asile au Canada, et un autre a accepté de partir pour le
Guatemala.
Le bienfaiteur a appris récemment qu'une fois les affaires résolues il
recouvrerait l'argent versé pour les cautions. Avec ces sommes, Bob Hildreth
envisage de créer un fonds de cautionnement pour des affaires à venir. "Je
ne savais absolument pas que je récupérerai cet argent, insiste-t-il. Je
n'avais jamais payé la caution de qui que ce soit auparavant.
Repères
• Le multimillionnaire Robert Hildreth a fait fortune dans la négociation
d'obligations latino-américaines dans les années 1980, quand la région était
aux prises avec une grave crise de la dette. Il avoue d'ailleurs une vraie
passion pour l'Amérique latine. Dans les années 1980, son poste d'économiste au
Fonds monétaire international (FMI) l'a conduit à vivre en Bolivie. A son
retour aux Etats-Unis, il s'est lancé dans la négociation d'emprunts
sud-américains pour de grosses entreprises de Wall Street comme Drexel Burnham
Lambert. Il a aujourd'hui monté son affaire, International Bank Services, qui
se consacre au rachat de dettes d'entreprises.
• "J'adore gagner de l'argent", admet Hildreth. Mais sans ostentation
: il vient de troquer une Volvo vieille de vingt ans pour une Mini Cooper
orange.
• Ces vingt dernières années, Hildreth a fait don de plusieurs millions de
dollars : financement de cours d'alphabétisation et d'éducation civique à Lynn,
dans le Massachusetts, construction d'une école maternelle dans un quartier
immigré de Boston, financement d'une chaire d'études latino-américaines à la
School of Advanced International Studies de l'université Johns Hopkins.
Miriam Jordan