Tchad : bilan désastreux pour la presse une semaine après l’état d’urgence
Après une semaine d’état d’urgence, instauré le 15 février 2008,
Reporters sans frontières constate le bilan désastreux des mesures prises par
le gouvernement et leurs conséquences dramatiques pour la presse indépendante.
Comité de censure des médias, grève des journaux privés, suspension de certains
programmes radiophoniques sur des stations privées, propos agressifs du
ministre de la Communication envers la presse indépendante : même après le
retrait des rebelles de la capitale N’Djamena, la répression gouvernementale
continue de sévir.
"Le Tchad
est devenu en une semaine l’un des rares pays d’Afrique sans presse
indépendante. Les quelques responsables de médias qui ne se sont pas mis en
sécurité à l’étranger après avoir échappé à l’arrestation ont cessé leurs
activités pour protester contre le retour d’une censure archaïque. Malgré
l’imposition de ce silence, le ministre de la Communication s’est senti
autorisé à tenir des propos extrêmement menaçants à l’égard de la presse
privée, les identifiant à des ’agresseurs étrangers’. Les autorités tchadiennes
ne peuvent pas forcer le pays à vivre dans un concert de louanges à leur égard.
Elles doivent comprendre qu’elles continueront à faire face à des critiques,
que la presse privée ait été réduite au silence ou non", a déclaré
l’organisation.
Le 15 février
2008, un décret du président Idriss Deby Itno a instauré l’état d’urgence sur
tout le territoire tchadien. Outre le couvre-feu, ce dernier a mis en place
"le contrôle de la circulation des personnes et des véhicules",
"les perquisitions à domicile" et "le contrôle de la presse
publique et privée". Les médias ont été informés qu’un comité
intergouvernemental devrait prendre connaissance et approuver toute information
avant sa publication ou sa diffusion.
En réaction,
le 18 février, les journaux privés se sont mis en grève. "Constatant la
situation politique créée par les affrontements des 2 et 3 février à N’Djamena,
constatant que les libertés publiques ont été mises entre parenthèses, prenant
acte de l’instauration de l’état d’urgence et déplorant la décision d’appliquer
la censure préalable aux médias privés", les journaux signataires
"décident de cesser toute publication pendant la période de l’état
d’urgence", a indiqué un communiqué publié à N’Djamena. Les signataires
sont les responsables des hebdomadaires Le Temps, L’Observateur, et du
bihebdomadaire N’Djamena Hebdo. Un autre titre privé, Notre Temps, est interdit
de parution depuis décembre 2007.
Après les
journaux privés, l’Union des radios privées du Tchad (URPT) a, à son tour,
suspendu toute diffusion. Dans un communiqué signé par son président, Gapili
Misset, l’URPT a appelé toutes ses radios membres à suspendre certaines de
leurs programmations, à partir du 22 février, en réaction au contrôle préalable
des émissions radiophoniques imposé par les autorités. L’URPT a par ailleurs
demandé au gouvernement "d’instaurer un dialogue franc et sincère avec la
presse privée et de cesser son harcèlement".
Le 20 février,
dans une interview accordée à la station publique Radio nationale tchadienne
(RNT), le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement,
Hourmadji Moussa Doumgor, a tenu des propos très virulents envers la presse
privée. Selon lui, elle agirait "comme si elle était de connivence avec
les agresseurs, comme si elle faisait la propagande de la rébellion". Il a
déclaré que "la presse nationale ne [participait] pas à la prise de
conscience du danger que [représentait] cette agression", et qu’on ne
pouvait pas laisser "les journaux distraire l’opinion". Il a ajouté
que les journaux indépendants étaient "le relais des agresseurs", et
contrevenaient à l’action des autorités. Il a expliqué que la censure préalable
instaurée dans les médias était donc "la conséquence logique de la
dernière agression soudanaise". Selon lui, la nation tchadienne "est
en guerre, donc il est tout à fait normal que le gouvernement prenne ce genre
de mesure". Le ministre, poursuivant sur sa lancée, a déclaré que "si
la presse était responsable, elle devrait plutôt mettre l’accent sur
l’agression soudanaise dont a été victime le Tchad, mais ce n’est pas le
cas".
A l’exception
du quotidien progouvernemental privé Le Progrès, plus aucun média indépendant
ne paraît dans la capitale tchadienne depuis le 18 février.
RSF