MONDE ARABE : Mickey Mouse doit disparaître
Installé en Arabie Saoudite, le prédicateur
Mohammed Al-Munjid a émis une fatwa contre ce personnage qu'il juge
"impur". Une décision qui irrite la presse locale.
Depuis
qu'elle existe, la littérature cherche à inventer des métaphores et les
considère comme un noble art au service de l'expression artistique. Lors des
conquêtes musulmanes, nous nous sommes frottés à d'autres cultures et la
littérature arabe a repris, traduit et puisé dans leurs richesses, procédés et
autres formes esthétiques. Avec cette conception de la littérature, Kalila wa
Dimna [recueil de contes écrits initialement en Inde au Ve siècle. Traduits
vers le persan au VIe, ils l'ont été vers l'arabe au VIIIe, puis vers de
nombreuses autres langues avant d'inspirer les fables de La Fontaine au XVIIe]
a été traduit du persan en arabe par le fameux Ibn Al-Mouqaffa. Faire parler
les animaux pour adresser un message au lecteur a constitué une évolution importante,
et les Arabes considèrent ce livre comme un apport important à leur littérature
et en sont fiers.
On a toujours considéré qu'il s'agissait d'une belle métaphore – à ne pas
prendre au pied de la lettre – et je n'ai jamais lu qu'un religieux, qu'il soit
docteur de la loi ou simple prédicateur, en ait demandé l'interdiction. Quant à
la production littéraire arabe autochtone, elle a également inventé des animaux
doués de parole. Je me rappelle encore de nombreux exemples d'une littérature
populaire qui avait beaucoup de succès. Depuis qu'il y a la télévision, ils ont
été adaptés en dessins animés, qui ne sont rien d'autre qu'une forme différente
de Kalila wa Dimna.
Et voilà que soudain apparaît, sur la chaîne de télévision par satellite
Al-Jazira, un homme de religion syrien. Il fait partie de ceux qui vivent parmi
nous en Arabie Saoudite et se drapent dans les habits de notables religieux. Il
se présente comme un publiciste religieux "saoudien" et déclare que
"Mickey Mouse doit être tué". Il explique, plein d'assurance, que
"la souris est impure selon la loi religieuse" et qu'en conséquence
"Mickey Mouse doit être tué comme doit l'être une souris". Cela tient
d'une confusion entre la réalité et la métaphore, mais cela aboutit à quelque
chose qui dépasse le personnage de Walt Disney. C'est à se demander si notre
drame culturel a atteint le point où il ne reste plus que Mickey Mouse comme
cible pour les guerriers de la réislamisation.
A ma connaissance, les dessins animés mettant en scène la souris américaine
sont diffusés en Arabie Saoudite depuis que la télévision y existe,
c'est-à-dire depuis une quarantaine d'années – et depuis bien avant que la
Syrie nous ait fait "cadeau" de ce cheikh. Autant que je me
souvienne, aucun de nos propres cheikhs n'a jamais demandé, durant toutes ces
années, de tuer cette souris. Ce qui m'excède, c'est que les médias du monde
entier ont présenté cet appel à tuer Mickey comme s'il émanait d'un Saoudien,
provoquant des réactions tous azimuts et des ricanements à propos de notre
culture, qui, comme ils disent, ne permet pas seulement de tuer des êtres
humains, mais va jusqu'à vouloir assassiner des personnages de bande dessinée.
Pour conclure, je voudrais dire à ce religieux que nous avons suffisamment de
problèmes comme ça en Arabie Saoudite. Qu'il nous épargne ses surenchères chez
nous. S'il veut faire la morale, qu'il aille le faire dans son propre pays. Et
que Dieu soit avec lui ! Mohamed Abdellatif Al-Cheikh
Al-Jazirah