Les missiles sont de sortie
L'armée
américaine a fait une démonstration de son système de défense antimissiles en
abattant un satellite qui menaçait de s'écraser sur la Terre. Un bon moyen pour
montrer au reste du monde le potentiel militaire dont elle dispose.
Prenons
le temps de revenir sur la destruction par le Pentagone d'USA-193, un satellite
espion de la taille d'un bus. L'engin avait alors entamé une lente descente
vers la Terre et l'armée a profité d'une fenêtre de tir pour sauver le monde de
ce péril. Au départ, c'était un projet que je soutenais à fond. Qui d'entre
nous souhaiterait être heurté par la chute d'un bus ? Du reste, la stratégie
qui consiste à descendre tout ce qui nous tombe dessus a déjà bien fonctionné
par le passé, généralement dans des films avec Bruce Willis. Toutefois, au fur
et à mesure que l'on en découvre les détails, le plan perd de sa superbe. Il y
a plus de cinquante ans que nous balançons des machins en orbite. On estime que
quelque 17 000 objets, certains pesant jusqu'à 100 tonnes, sont déjà retombés
dans l'atmosphère. Le risque que l'un d'entre eux touche un être humain, et là
je pense en particulier à moi, est au pire de 1 sur plusieurs millions.
Le danger, avec USA-193, à en croire le Pentagone, c'est qu'il transportait une
quantité inhabituelle de carburant susceptible d'émettre des vapeurs toxiques
au moment de l'impact. D'après le général des marines James Cartwright, adjoint
au chef de l'état-major interarmées, c'est cette menace mortelle qui a poussé
le président Bush à décider d'abattre le satellite. La destruction d'USA-
Des esprits aussi étroits que paranoïaques sont allés jusqu'à suggérer que le
gouvernement n'était peut-être pas tout à fait honnête quant à ses motivations
réelles. Les armes déployées par l'armée pour détruire l'engin font partie du
système de défense antimissiles. Quelques-uns se disent que toute cette
histoire de gaz toxique n'était qu'un prétexte pour donner au Pentagone
l'occasion de tester son matériel. Ce que l'on ne peut concevoir que si l'on
est capable d'imaginer que les gens responsables de la collecte de
renseignements pourraient chercher à tromper l'opinion publique américaine. Le
seul exemple connu d'un satellite descendu a eu lieu l'an dernier, quand les
Chinois ont abattu un de leurs vieux satellites météorologiques, invoquant eux
aussi de vagues menaces pour l'humanité. A l'époque, les Etats-Unis avaient été
très irrités et s'étaient plaints du fait que les Chinois produisaient ainsi des
débris orbitaux. D'aucuns nous soupçonnent donc de vouloir prouver que nous
aussi nous pouvons y arriver. Ce qui ne serait logique que si nous pensons que
les dirigeants du complexe militaro-industriel sont capables de se comporter
comme des bébés.
Mais il y a d'autres théories du complot qu'on peut entendre ici ou là. En
voici quelques exemples :
- Le Pentagone redoute que le satellite ultrasecret ne tombe entre les mains de
nos ennemis, leur permettant ainsi de découvrir cette technologie sophistiquée
qui est partie en carafe juste après avoir quitté la Terre et a totalement raté
sa mission.
- Le Pentagone espère obtenir plus de soutien en faveur du système de défense
antimissiles en démontrant qu'il a bien d'autres avantages, comme la capacité de
flinguer des satellites sauvages pleins de gaz toxiques qui pourraient obliger
leurs victimes à perdre inutilement du temps dans la salle d'attente du
médecin.
- Le Pentagone veut de quoi s'occuper l'esprit en dehors des affrontements
intercommunautaires au Moyen-Orient.
Avant de tirer sur le satellite, hier, l'armée était plutôt hésitante, avouant
qu'elle craignait d'entrer ainsi dans une "zone de turbulences".
Quand certains, cyniques, ont demandé si cela voulait dire que le système de
défense antimissiles du pays, d'un montant qui se chiffre en milliers de
milliards de dollars, ne fonctionne que par temps calme, on leur a rétorqué :
ne soyez pas ridicules. Tout ce que je sais, c'est que, si quelque chose de
gros et de nauséabond dégringole dans votre jardin, n'oubliez pas d'aller
consulter votre médecin.
Gail
Collins
The New York Times