La CAN : côté cour et hors des stades
L'envoyé
spécial du Soleil de Dakar raconte son voyage à travers le Ghana, pays
organisateur de la Coupe d'Afrique des nations (CAN) de football, suivie avec
ferveur par des millions de téléspectateurs en Afrique et dans le monde.
Le
périple à travers le Ghana devait commencer par le commencement, c'est-à-dire
avec le match d'ouverture Ghana-Guinée au Ohene Djan Stadium d'Accra. Mais,
comme on le dit, pour paraphraser un célèbre dicton, les voyagistes proposent
et les compagnies aériennes disposent. A cause de retards cumulés au départ de
Dakar puis d'Abidjan, ceux qui voulaient assister au choc inaugural entre les
Black Stars et le Syli National ne verront en fait que les cinq dernières
minutes du match sur la télé du Kotoka International Airport d'Accra, avec le but
de la victoire en toute fin de match, qui a déclenché le tonnerre sur Accra et
certainement sur tout le Ghana.
Il était alors pratiquement impossible de circuler car les rues de la ville
étaient prises d'assaut par les automobilistes et des motocyclistes ivres de
bonheur qui conduisaient tous feux allumés et klaxons à fond, bravant toutes
les règles de conduite. C'est que cette conclusion tardive avait provoqué une
formidable explosion de joie, libérant d'un coup la poitrine de
19 millions de Ghanéens anxieux jusqu'au bout. S'ajoutant au carrousel des
automobilistes, des hordes de supporters tricolores (rouge, jaune et noir)
avançaient par grappes humaines, chantant et dansant tout en jouant de la
musique avec toutes sortes d'instruments et d'ustensiles. C'était les maîtres
du macadam. Il a fallu deux heures pour arriver à notre hôtel, pourtant distant
seulement d'une dizaine de kilomètres.
Dans les rues, les visages sont chiffonnés par la gueule de bois, la fête a été
bien arrosée, mais aujourd'hui est un autre jour et les activités doivent
reprendre. C'est la grande circulation du lundi (comme à Dakar), il y a des
embouteillages partout, on se demande quand est-ce qu'on pourra sortir de ce
magma de voitures et de camions pour prendre la route du littoral. C'est un
motard de la police qui nous a frayé un passage dans cette infernale
circulation. Après avoir sorti la caravane de la grande agglomération et
l'avoir mise sur le chemin du littoral, le motard a pu décrocher avec la
satisfaction du travail bien fait. On a pu alors découvrir le luxuriant paysage
de l'ouest du Ghana, qui fait penser fortement à la verte Casamance. Sur cette
route inachevée qui relie Accra à Takoradi-Sekondi sur 218 kilomètres, la
caravane roulait à deux vitesses. A vive allure quand l'asphalte nouvellement
posé le permettait, puis à l'allure d'une tortue sur les tronçons encore aux
mains des terrassiers, avec moult déviations.
Takoradi et Sekondi ont comme toutes les villes du Ghana, qui bénéficient d'une
bonne infrastructure routière, avec des chaussées très larges, des ponts,
ronds-points et de petits échangeurs un peu partout. Mais aujourd'hui, c'est
jour de match et il y a un embouteillage inhabituel pour la ville. Des
centaines de Béninois, d'Ivoiriens, de Maliens et de Nigérians sont venus par
la route, en car ou en voiture. C'est un grand rendez-vous ouest-africain. Les
supporters ivoiriens ont érigé leur grand campement en face du Takoradi
Polytechnic, avec des stands de nourritures diverses, une grande estrade où se
succèdent les groupes pour une ambiance non-stop. Attieké, kedjenou, foufou,
sauce graine, poulets et poissons braisés, bière et vin à gogo, la sono à
fond tandis que des groupes de danseuses callipyges se trémoussent aux rythmes
endiablés du coupé-décalé ou d'un sulfureux dombolong. Aux déhanchements
sataniques des unes, les autres répondent par des vibrations intenses et en
sens contradictoire de leurs fesses, qui semblent montées sur des roulements à
billes, de quoi damner définitivement un honnête homme.
C'est en avion que la délégation va rallier la capitale des Ashantis, Kumasi. A
l'aéroport d'Accra, la vue du vieil appareil de la compagnie Antrak Air laisse
les Sénégalais Ousmane Diop, Cheikh Ba et Abdoulaye Badiane très circonspects.
Ils n'ont qu'une confiance très limitée dans les petits avions des vols
intérieurs africains. Pourtant, le vol est sans histoire et l'atterrissage
impeccable. Kumasi, c'est le fief des Camerounais, qui sont venus plus nombreux
que les Egyptiens, les Soudanais et les Zambiens. Les cohortes de supporters
des Lions indomptables sillonnent les rues vallonnées de la ville, essayant de
mettre de l'ambiance un peu partout. Mais la tâche n'est pas aisée puisque les
Ghanéens n'en ont que pour leurs Black Stars.
On croirait que c'est plutôt un match Ghana-Cameroun qui va se dérouler, tant
les supporters des deux pays rivalisent d'ardeur en chantant, en dansant, mais
aussi en s'invectivant mais dans un esprit très sportif. C'est oublier trop
vite l'Egypte. Et, dès le départ, les Pharaons vont rappeler à tout le monde
que les champions d'Afrique ce sont eux et personne d'autre. Cueillis à froid,
les Lions indomptables sombrent en première période (3-0), tandis que leur
chorale, hébétée, reste muette. Dans les tribunes, les supporters sont groggy,
K.O.
A Tamale, dès la descente d'avion on est assailli par un vent sec et chaud.
C'est le sévère harmattan du nord du Ghana qui assèche la peau et gerce les
lèvres. C'est un paysage de savane, comme dans la majeure partie du Sénégal,
qui s'offre à nous. Tout au long des 12 kilomètres qui séparent l'aéroport
de la ville, on se croirait au Burkina Faso.
Le match contre la Tunisie se termine par un décevant nul alors que les Lions
avaient les moyens de s'imposer. L'ambiance est mi-figue, mi-raisin au sein de
la délégation sénégalaise mais au moins l'honneur est sauf et la qualification
toujours possible. C'est ce que l'on croyait jusqu'à la terrible déconvenue
angolaise. Kumasi, où les Lions vont jouer leur dernier match, ne sera
probablement qu'un lieu de transit dont les supporters n'auront pas le temps de
découvrir les richesses historiques et culturelles.
Jean-Marc Diakité
Le
Soleil