Kenya : Priorité à la lutte contre la crise alimentaire
Le 13 avril, un gouvernement a été
nommé, quatre mois après des élections très contestées. Pour garantir la
stabilité du pays, il doit avant tout s'attaquer à la crise qui menace
actuellement la planète, estime The Daily Nation.
La Banque mondiale a
d'ores et déjà annoncé que trente-trois pays importateurs pourraient être confrontés
à des troubles sociaux dans les mois qui viennent à cause de la hausse des prix
de la nourriture. L'envolée des coûts des produits alimentaires de base a déjà
déclenché des manifestations en Egypte, en Côte d'Ivoire, en Mauritanie, au
Cameroun, au Mozambique, au Sénégal, au Yémen, en Ouzbékistan, en Bolivie et en
Indonésie.
L'augmentation du prix du riz a provoqué des émeutes aux Philippines, où les
autorités vont jusqu'à obliger les fast-foods à ne servir que des demi-portions
de cette céréale. Craignant les soulèvements populaires, en particulier dans
les grandes agglomérations, le gouvernement indien subventionne les produits de
base et interdit les exportations de riz afin d'enrayer la hausse des prix et
l'inflation, qui a dépassé 7 % depuis le début de l'année.
Dans les villes, les pauvres ont été particulièrement frappés car,
contrairement aux paysans, ils n'ont pas la possibilité de se nourrir de leurs
cultures. De plus, ce sont eux qui souffrent le plus des tensions
inflationnistes, et notamment de l'augmentation du coût des carburants, qui
serait en partie responsable de la crise.
Selon le rapport de l'ONU-Habitat [le programme des Nations unies pour les
établissements humains] sur l'état des villes du monde en 2006-2007, "même
dans les pays qui produisent suffisamment de nourriture, la faim peut persister
dans les grandes villes. Lorsque les prix augmentent, les familles pauvres
peuvent être obligées de dépenser jusqu'à 80 % de leur revenu disponible
en nourriture, ce qui signifie qu'il ne leur reste que peu d'argent pour les
dépenses non alimentaires comme le loyer, les frais de scolarité et les
transports."
Nous autres Kényans n'avons pas la réputation de protester contre les prix
alimentaires. Quand nous descendons dans la rue, c'est généralement pour
exprimer notre soutien ou notre opposition à un parti ou à un leader politique,
et non parce que nous n'avons pas les moyens de nous nourrir ou de nourrir nos
enfants. Mais, étant donné notre situation politique fragile, notre inflation
galopante (de plus de 20 % actuellement), notre taux de chômage élevé, la
sécheresse qui menace et le marasme économique, notre peuple ne tardera pas à
protester autrement – par la criminalité, le pillage et la violence.
Le prix élevé des aliments peut donc entraîner de nouvelles formes
d'instabilité sociale et d'anarchie. Un tel scénario a de quoi faire frémir. Au
cours de l'Histoire, de nombreux régimes se sont effondrés à cause des prix
alimentaires. Aux Parisiens qui se plaignaient de ne pas pouvoir acheter de
pain, Marie-Antoinette répondit : "Qu'ils mangent de la
brioche !" Elle a fini guillotinée.
L'actuelle crise alimentaire, dont les Kényans subissent les premiers effets,
pourrait fort bien déboucher sur une crise politique. Parce que nos gouvernements
ne restent pas en place plus de trois mois et que des milliers de nos paysans
sont dans des camps [de réfugiés] à ne rien faire, en proie au découragement,
les mesures que prendront les autorités pour pallier les effets de la crise
alimentaire risquent d'intervenir un peu trop tard – à moins qu'il ne soit
décidé immédiatement d'accroître les aides destinées aux agriculteurs (en
particulier pour l'achat d'engrais) et de subventionner les produits
alimentaires de base, tout particulièrement pour les familles pauvres des
villes.
Le Kenya n'a pas une culture de la subvention (il nous a fallu des années pour
prendre conscience que l'éducation était la pierre angulaire de toute économie
prospère, tant dans le monde développé que dans les pays en développement),
mais il est peut-être temps d'admettre que sans subventions sur les produits et
les services de base, nous pourrions bel et bien devenir un Etat en faillite,
où la majorité meurt de faim tandis qu'une minorité reste indifférente à ceux
qui meurent autour d'elle.
Déjà, l'Afrique du Sud donne le bon exemple dans ce domaine : elle a mis
en place des mesures visant à fournir gratuitement certaines quantités d'eau et
d'électricité à tous les foyers, tout en garantissant plusieurs filets de
sécurité aux populations les plus vulnérables. Ce qui a contribué à réduire les
inégalités. Notre gouvernement doit s'attaquer en priorité à la crise
alimentaire, sans quoi le pays sera devenu ingouvernable d'ici quelques mois.
Quel ministre voudrait d'un portefeuille voué à l'échec ? Avant d'en
arriver à un tel stade, espérons que le nouveau gouvernement [le leader de
l'opposition, Raila Odinga, a été nommé le 13 avril Premier ministre d'un
gouvernement de coalition qui comprend 42 membres, dont 7 femmes, par le président
Mwai Kibaki] saura nous mener à bon port avant que ce bateau troué qu'est le
Kenya ne fasse naufrage.
Rasna Warah
Daily
Nation