Inde : Bienvenue chez les hyperriches
Au
sud de Bombay, un quartier autrefois paisible et coquet est investi par des
milliardaires qui y font construire des gratte-ciel pharaoniques, sans grand
souci d'urbanisme, relate l'hebdomadaire India Today.
Le capitaine Ashok Batra, un officier de la marine
marchande à la retraite, se souvient d'Altamount Road telle qu'elle était en
1981, quand il s'est installé dans le quartier. J.R.D. Tata, le légendaire
fondateur de la société automobile éponyme, habitait la maison voisine, un
immense bungalow colonial baptisé The Cairn. "On pouvait descendre cette
paisible avenue bordée d'arbres depuis Cumballa Hill sans croiser une seule
voiture", se rappelle-t-il avec un sourire ému.
Les arbres sont toujours là, et l'avenue sinueuse, qui change de nom pour
devenir Carmichael Road à partir du sommet de la colline, demeure relativement
calme. Toutefois, les bruits de chantiers qui proviennent de l'autre côté de la
route laissent penser que la vie des habitants ne sera plus jamais la même.
Semblant venir tout droit de La Guerre des mondes, de H.G. Wells, Antilia, la
résidence du milliardaire Mukesh Ambani [cet homme d'affaires, président et
principal actionnaire du groupe Reliance Industries, est la deuxième fortune
indienne derrière Mittal] se dresse sur un terrain de 4 000 mètres carrés, d'où
elle domine les autres tours de la ville. Plus de 500 ouvriers travaillant par
roulement de douze heures ont déjà construit dix-sept des vingt-quatre étages
de la résidence [voir les Repères]. Mais Ambani ne sera pas le seul
milliardaire du quartier. Kumar Mangalam Birla, 86e au classement de Forbes,
avec 8 milliards de dollars, a emménagé dans la propriété indo-gothique de cinq
étages qu'il vient tout juste de faire rénover sur la Carmichael Road. En face
d'Antilia, la Tata Housing Corporation a également rénové The Cairn, la demeure
des Tata. Ratan Tata [l'actuel président du groupe Tata] n'a pas l'intention
d'y emménager, mais il est vraisemblable que cette propriété devienne la
résidence officielle du prochain patron du groupe.
Classé au 230e rang mondial pour sa fortune de 3,8 milliards de dollars, Anil
Aggarval, un Indien installé à Londres, a lui aussi choisi ce quartier, il y a
cinq ans, pour construire une résidence de deux étages, et la famille Jaïns qui
dirige le groupe The Times of India y vit dans une tour de dix étages, la
Shikhar Kunj.
Les prix de l'immobilier dans le quartier figurent parmi les plus élevés du monde,
le mètre carré se vendant plus de 1 million de roupies [près de 15 000 euros],
et la perspective de côtoyer les plus grands patrons du pays n'y est pas
étrangère. "Cumballa Hill est pratiquement aussi coté que Hyde Park Lane à
Londres", indique Anuj Puri, président et directeur du bureau indien de la
société de services immobiliers Jones Lang LaSalle Meghraj. "Tous ceux qui
réussissent veulent habiter ici et, dans les années qui viennent, je pense que
le quartier va prendre de la valeur." De toute évidence, la tendance est
déjà en cours. Les rumeurs vont bon train sur l'identité de l'acquéreur qui a
déboursé 400 millions de roupies [6 millions d'euros] pour un terrain de 1 000
mètres carrés sur la colline. Ces résidences de milliardaires symbolisent l'évolution
verticale de la richesse dans le sud de Bombay.
L'architecte écologiste Kirti Unwalla, qui a soumis à l'Office de développement
de la région de Bombay, en 2004, un rapport dans lequel il proposait de classer
le secteur, déplore les changements en cours. De la quinzaine de bungalows avec
jardin qu'on y recensait à la fin du XIXe siècle, il n'en reste plus qu'un, qui
abrite le consulat italien. Tous les autres édifices de cette époque ont été
détruits. La tour Antilia, par exemple, a été construite sur le site de
l'ancien bungalow de la famille Petit, et la résidence Birla a vu le jour au
prix de la démolition de l'Anand Bhavan, un édifice de trois étages où avait
vécu Krishna Hutheesingh, la jeune sœur de Nehru, et où était né Rajiv Gandhi.
Les habitants de Bombay déplorent l'apathie des autorités et le manque de
politique d'urbanisme. "Je ne suis pas opposé aux tours, mais comment
peut-on en construire le long de routes aussi étroites et sans l'infrastructure
requise ?" proteste Rajesh Jhaveri, président du comité de citoyens de
Carmichael Road, qui a retardé la construction d'un chantier pharaonique en
imposant de faire enlever 1,5 million de tonnes de gravats. Si, d'aventure,
d'autres milliardaires projetaient de construire en hauteur, ils auraient
affaire à forte partie, car le comité se dit déterminé à s'opposer à la
construction de nouvelles tours.
Repères
La tour Antilia, du milliardaire Mukesh Ambani, disposera d'une superficie de
55 000 mètres carrés – soit plus que le château de Versailles. Estimée à 1
milliard de dollars, elle sera la résidence privée la plus coûteuse du monde.
La structure d'acier, de verre et de béton armé abritera plusieurs salles de
gym, des jardins, une piscine et plusieurs salles de projection. Près de 600 employés
seront chargés de son entretien. Six personnes y logeront : Mukesh Ambani, sa
mère, sa femme et ses trois enfants. Un héliport installé sur le toit avec sa
propre tour de contrôle permettra à la famille de se rendre en hélicoptère
jusqu'à l'aéroport, où elle pourra utiliser l'un des six avions privés de
l'entreprise familiale Reliance.
Dessinée en 2004 par Perkins+Will, un cabinet d'architectes de Chicago
spécialisé dans la construction de gratte-ciel, la tour comportera plusieurs
jardins suspendus qui marqueront les différents niveaux, séparant notamment le
siège social et les parkings du logement privé.
Sandeep Unnithan
India
Today