Fureur indienne contre Uribe

Des membres des communautés indigènes manifestent violemment dans tout le pays depuis le 10 octobre. Ils reprochent à l’Etat de bafouer leurs droits et de cautionner les assassinats dont ils sont victimes.

                                         

Des milliers d’Indiens manifestent dans les centres urbains, bloquant les grands axes du pays [les manifestations ont débuté le 10 octobre et pris de l’ampleur depuis]. Ils dénoncent les violences et les assassinats dont ils sont victimes, mais aussi le non-­respect, selon eux, des engagements pris il y a des années par l’Etat colombien. Les affrontements auraient fait 100 blessés et 3 morts du côté des manifestants et 10 blessés au sein de la police. “Nous rejetons la violence, mais ils nous obligent à nous défendre”, explique Luis Evelis Andrade, président de l’Organisation nationale indigène de Colombie (ONIC).

Ces manifestations ont des motivations profondes, la première étant l’arrêt de l’extermination des Indiens. Dans sa base de données, l’ONIC a recensé 1 240 morts depuis 2002. Au cours des dix premiers mois de 2008, on a déjà compté 66 assassinats, contre 44 en 2007. Les Indiens sont aussi préoccupés par les menaces de disparition qui pèsent sur plusieurs des 102 communautés indiennes re­censées en Colombie par l’ONIC : 18 d’entre elles comptent désormais moins de 200 habitants, 10 sont même passées sous la barre des 100 âmes. Au total, le pays est peuplé de 1 378 884 Indiens.

Nombre de réserves se trouvent sur des terres riches en ressources naturelles ou dans des régions stratégiques qui disposent d’un accès à la mer, sur des zones frontalières ou sur des corridors reliant différentes régions entre elles. Cette chance est aussi la cause de leurs malheurs. De nombreux intérêts sont en jeu sur ces territoires que les populations autochtones défendent plus en raison des traditions culturelles qu’ils incarnent que de la richesse économique qu’elles en tirent. Narcotrafiquants et groupes armés veulent pouvoir cultiver la coca et la faire transiter par les régions où vivent les Indiens, mais aussi y faire entrer leurs armes de contrebande. Chefs d’entreprise et multinationales veulent en exploiter les ressources, y cultiver des palmiers et y construire des axes routiers.

53 885 Indiens ont dû abandonner leurs terres

De son côté, le gouvernement soutient les investisseurs, allant même jusqu’à créer des réglementations qui “favorisent les intérêts économiques et contribuent à la spoliation des terres”, estiment les manifestants. Ces dispositions déplaisent aux Indiens de Colombie, car elles sont adoptées sans consultation préalable des populations, qui ne peuvent donner leur avis sur l’usage qui sera fait des terres, contrairement au droit que leur accorde l’article 120 de la Constitution.

Au cours des six dernières années, 53 885 Indiens ont abandonné leurs terres parce qu’elles étaient occupées, estiment plusieurs ONG . Le droit à la vie et à la terre que réclament à cor et à cri les Indiens de Colombie est inscrit dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en septembre 2007. La Colombie est le seul pays d’Amérique latine à ne pas l’avoir signée. Selon Luis Evelis Andrade, les Indiens ont conclu avec le gouvernement des accords d’aide en matière de santé, de propriété foncière, d’infrastructures, d’alimentation et de droits de l’homme. Mais ceux-ci n’ont jamais été respectés. Pour résoudre ces problèmes aussi profondément enracinés que leur culture, les Indiens demandent à rencontrer directement le président Alvaro Uribe. Berito Cobaría, chef de file de la communauté Uwa, du Cauca, a même précisé que, si le président n’allait pas aux Indiens, les Indiens iraient à Bogotá.

La mobilisation indienne peut prendre une ampleur considérable, en particulier parce qu’elle coïncide avec une période de forte agitation sociale dans le pays. Les Indiens ont récemment reçu le soutien de plusieurs organisations, dont le principal syndicat colombien, la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), qui, au cours d’une réunion avec Alvaro Uribe, a exigé l’ouverture du dialogue avec les Indiens. Tous ces événements ont attiré l’attention de la communauté internationale : des représentants des ambassades du Canada, de Suède, des Etats-Unis et d’Espagne ont rencontré des organisations hu­manitaires afin de dépêcher une commission des Nations unies sur les lieux des manifestations. L’objectif est de s’assurer que les représentants de l’ordre n’abusent pas de la force, mais aussi d’établir une médiation dans ce conflit que ni le gouvernement ni les Indiens n’ont pour l’heure réussi à apaiser.


Semana



30/10/2008
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