Élections aux USA : La Caroline du Sud en noir et blanc
Dans cet Etat encore très divisé racialement, la primaire républicaine a mobilisé presque exclusivement des électeurs blancs, tandis que les Noirs devraient se déplacer en masse pour la primaire démocrate, le 26. Pour autant, aucun candidat – pas même Obama – n'ose aborder frontalement la question du racisme, regrette le chroniqueur noir du New York Times.
"Changer" : cette année, les hommes politiques n'ont que ce mot à la bouche. Pourtant, la Caroline du Sud offre un exemple troublant de la difficulté pour les hommes de bonne volonté à faire table rase des préjugés et de l'intolérance accumulés au cours des siècles.
Samedi 19 janvier, les électeurs de Caroline du Sud ont bravé une pluie battante pour voter lors de la primaire républicaine. Il n'y avait pratiquement que des Blancs. Le soir, au cours d'un dîner, l'un des convives me rappela avec un air de regret: "Avant, dans le Sud, le parti des Blancs, c'était le Parti démocrate, aujourd'hui c'est le Parti républicain. Les Noirs voteront samedi prochain [lors de la primaire démocrate du 26 janvier]."
En Caroline du Sud, les habitants honorent toujours la mémoire de Benjamin Tillman, dont la statue trône devant le Parlement local. Ce gouverneur et sénateur américain de la fin du XIXe siècle était l'ennemi juré de la communauté noire et se targuait d'avoir privé de droit de vote "autant de Noirs que possible". Il soutenait aussi publiquement le meurtre de Noirs.
Dès lors, on comprend mieux la difficulté qu'il y a à changer un Etat prisonnier de son passé au point de continuer à admirer officiellement un personnage comme Tillman.
L'hôte du dîner auquel je participai ce soir-là s'appelle Bud Ferillo. Agent en relations publiques, blanc, il est l'auteur d'un documentaire intitulé Corridor of Shame [Le couloir de la honte] dénonçant la situation catastrophique des écoles rurales en Caroline du Sud. Ces écoles sont disséminées le long d'un corridor qui s'étend du sud de la Caroline du Sud au nord de la Géorgie. Lorsque l'on s'y rend, on oublie presque que l'on est en territoire américain.
Dans le documentaire, Charles Way, un ancien secrétaire au Commerce de Caroline du Sud, se rappelle le jour où sa voiture est tombée en panne près d'une de ces écoles et qu'il est entré pour y passer un coup de téléphone. "Je n'en croyais pas mes yeux. Je n'avais jamais vu un bâtiment dans un état aussi déplorable de toute ma vie. Je n'arrive pas à imaginer qu'un professeur puisse enseigner dans un tel environnement." Or, près de 700 000 élèves fréquentent ces écoles rurales et nombre d'entre eux restent sur le carreau. L'état des écoles rurales de Caroline du Sud n'est que le symptôme d'un problème bien plus profond, puisque seulement la moitié des élèves de l'Etat vont jusqu'au bout de leur scolarité.
L'agitation préélectorale que connaît actuellement l'Etat ne devrait pas durer, la Caroline du Sud étant acquise, le jour des élections générales, aux républicains. Comment en serait-il autrement dans un Etat où Tillman monte toujours la garde aux portes du Parlement ? Cette semaine, les candidats démocrates s'y disputent le vote des électeurs noirs. Pourtant, il est étonnant de voir à quel point la question raciale suscite peu de débats de fond dans un Etat où les communautés sont aussi divisées.
Barack Obama joue la carte de l'unité (et refuse l'étiquette réductrice de candidat noir), aussi évite-t-il d'aborder de front le sujet des races. De leur côté, Bill et Hillary Clinton font tout leur possible pour dénoncer cette attitude et pour courtiser agressivement l'électorat noir, tout en ne manquant pas de rappeler (directement ou par le biais d'intermédiaires) qu'Obama est bien noir [en fait, il est mulâtre – sa mère est blanche]
En Caroline du Sud, le drapeau des confédérés flotte toujours devant le Parlement et la statue de Tillman est exposée à la vue de tous. Mais, dans beaucoup d'autres Etats, le racisme, s'il est moins visible, n'en est pas moins présent. Et tout le monde préfère l'oublier. En dépit des grands progrès accomplis ces dernières décennies, notamment la campagne unificatrice d'Obama, le racisme est un sentiment encore vivace dans notre pays. Pourtant, ni Bill Clinton, surnommé (sottement) le premier président noir [en raison de son action en faveur des Noirs], ni Hillary Clinton, ni Barack Obama, premier candidat noir ayant de sérieuses chances de remporter une élection présidentielle, n'ont le courage de parler honnêtement et ouvertement de ce problème.
Bob Herbert
The New York Times