Du jean moulant au foulard islamique
Foulard
assorti au sac à main, longue jupe saillante, les Tunisiennes sont de plus en
plus nombreuses à arborer le hijab, le foulard islamique qui, longtemps noir et
blanc, a gagné en couleurs. "Je suis voilée tout en ayant une tenue
moderne et je suis bien intégrée dans mon travail", affirme Imen, 24 ans,
animatrice dans une radio. Les stylistes ont concocté des modèles qui
respectent les préceptes de l'islam tout en y apportant une touche de
modernité. Phénomène de mode qui permet aux femmes de ne plus devoir choisir
entre modernité et tradition, le nouveau hijab est aussi le fruit de
l'influence grandissante des chaînes de télévision religieuses. Accessibles via
le satellite, elles prêchent souvent un islam radical et insistent sur
l'obligation de porter le voile. Cinquante ans après la promulgation du Code du
statut personnel qui a émancipé la femme tunisienne, le foulard fait un retour
en force. "C'est un phénomène de reconnaissance identitaire chez les
femmes tunisiennes qui sont à la recherche de repères. Le foulard en est
un", estime le sociologue Khalil Zommitti.
Le pouvoir tunisien n'est pas resté indifférent à cette tendance. "On m'a
menacée, ainsi que ma famille. La police m'a interpellée trois fois pour port
du foulard islamique", confie Amel, une étudiante de 22 ans. A Tunis, les
femmes voilées sont régulièrement inquiétées par la police. Les lycéennes et
les étudiantes qui ont fait ce choix n'ont pas le droit d'assister aux cours,
voire de passer leurs examens. Interpellées dans la rue, elles sont parfois
forcées de signer un engagement à ne plus porter le hijab, sur la base d'un
décret promulgué en 1981 par l'ancien président Habib Bourguiba et remis en
application en octobre 2006.
Depuis un an, les autorités tunisiennes ont lancé une vigoureuse campagne
contre les habitudes vestimentaires "d'inspiration sectaire importées de
l'extérieur". Elles voient dans cet affichage de signes religieux une
menace pour une République qui s'est toujours voulue laïque et une dérive intégriste
de la part des courants islamistes, étouffés par une dure répression du pouvoir
depuis des décennies, particulièrement depuis les années 1990. "Si nous
acceptons aujourd'hui le port du hijab, nous serons conduits demain à accepter
que le droit de la femme au travail, au vote et à l'enseignement lui soit
dénié", a déclaré Hédi M'henni, le secrétaire général du Rassemblement
constitutionnel démocratique, le parti au pouvoir.
A l'inverse, le Comité de défense du hijab, créé début 2007, défend l'idée d'un
Etat en harmonie avec une nation de culture musulmane. Le comité recense les
cas de jeunes filles harcelées ou à qui des policiers ont arraché leur foulard
et appelle les victimes à recourir à la justice. En octobre 2007, un tribunal a
ainsi donné raison à une enseignante qui contestait son renvoi d'un
établissement pour port du voile, déclarant le décret de 2006
inconstitutionnel. Considérée comme un recul des laïcs face à l'intégrisme,
cette décision a été saluée par les islamistes et a suscité la réaction des
autorités : un autre décret émanant du ministère de l'Enseignement interdit
désormais le voile dans les établissements scolaires.
Il n'empêche que le voile continue à gagner en popularité et donne naissance à
un commerce prospère. "J'avais du mal à arrondir mes fins de mois en
vendant du parfum et de la lingerie. Désormais, je vends des foulards et la
demande ne cesse d'augmenter", confie Naïma. Les contrôles policiers n'ont
toutefois pas laissé ce commerce prospérer dans les grandes boutiques de la
capitale, faisant le bonheur des commerçants du marché noir.
La question du voile résume toute l'ambiguïté de la Tunisie actuelle à la
recherche de son identité entre foulard islamique et jean moulant, entre Orient
et Occident. Fethi Djebali et Thamer Mekki (Syfia)
Le
Messager