Délit pour Presse en ligne : Le Sénat américain veut un durcissement de peines, la Chambre des députés, une dépénalisation
“Comment expliquer le dépôt au Sénat d’une proposition de loi
durcissant les sanctions pénales contre les délits de presse, alors qu’une
autre, déposée à la Chambre des députés (lire le communiqué du 16 janvier
2008), prévoit au contraire la suppression des peines de prison pour ces mêmes
délits ? Cette proposition est dangereuse et totalement inopportune. On
voit d’ailleurs mal comment le Congrès pourrait voter une chose et son
contraire”, a déclaré Reporters sans frontières.
La réforme du code pénal introduite par le sénateur Expedito
Júnior alourdit d’un tiers les peines de prison actuellement prévues pour les
délits de “calomnie” (comprises, selon le nouveau texte, entre six mois et deux
ans de prison, en plus d’une amende), de “diffamation” (entre trois mois et un
an) et d’“injure” (entre un an et six mois) commis en ligne. L’actuel code
pénal prévoit déjà une aggravation des peines lorsque la victime est une
personne âgée ou handicapée, appartient à un gouvernement (national ou
étranger) ou occupe une charge publique. La proposition d’Expedito Júnior
permettrait à la police d’accéder aux informations confidentielles d’un site
sans autorisation judiciaire. Aux yeux du sénateur, “celui qui accuse quelqu’un
sans s’identifier mérite une sanction plus sévère”. Il a également défendu son
texte en arguant de la prolifération des sites créés par de
“pseudo-journalistes” dans l’unique but “d’offenser et de détruire des
réputations”.
Cette réforme du code pénal doit recevoir l’aval de la Commission
des sciences, technologies, innovations, communication et informatique du
Sénat, qui l’examine actuellement. Le texte doit ensuite être soumis à
l’approbation du Sénat en séance plénière. Le débat et le vote devraient
intervenir en février 2008. L’entrée en vigueur du texte demeure cependant
conditionnée à l’assentiment de la Commission de Constitution et Justice de la
présidence de la République.
Au moment où Expedito Júnior a présenté son texte au Sénat, en
décembre 2007, le député Miro Teixeira a déposé le sien à la Chambre basse. Aucun
calendrier n’a encore été arrêté pour cet avant-projet de loi qui mettrait un
terme à l’application de la loi sur la presse du 9 février 1967 - héritée de la
dictature militaire - en supprimant les peines de prison pour ces mêmes types
d’“atteinte à l’honneur” et en élargissant la définition de journaliste à toute
personne faisant œuvre d’informer, y compris sur Internet.
Le directeur de l’hebdomadaire Oakland Post menacé de mort, des
complications dans l’enquête sur l’assassinat de Chauncey Bailey
Reporters sans frontières s’inquiète vivement du sort de Paul
Cobb, directeur de publication de l’hebdomadaire Oakland Post dans la ville du
même nom (Californie), informé qu’un contrat avait été lancé sur lui pour
l’assassiner. Le journaliste a été placé sous protection policière, le 16
janvier 2008. Ces menaces de mort apparaissent directement liées à l’affaire
Chauncey Bailey, rédacteur en chef du Oakland Post, assassiné le 2 août 2007.
Un jeune homme de 19 ans, arrêté juste après le crime, s’est rétracté après
avoir avoué en être l’auteur matériel.
“Nous tenons d’abord à exprimer notre soutien à Paul Cobb et au
projet de presse Chauncey Bailey qu’il a contribué à lancer. Qu’un journaliste
américain bénéficie d’une protection policière est plutôt rare, et démontre que
le pays n’échappe pas plus que d’autres à des atteintes directes à la liberté
de la presse. Les menaces à répétition contre Paul Cobb depuis la mort de
Chauncey Bailey invalident a priori la thèse selon laquelle l’assassinat de ce
dernier relevait de l’acte isolé. Les aveux et les rétractations d’un unique
suspect ne sont pas des éléments suffisants. Nous attendons de connaître les
suites de l’enquête, en particulier sur l’organisation communautaire Your Black
Muslim Bakery”, a déclaré Reporters sans frontières.
Dans un article du 17 janvier, la revue Editor and Publisher a
révélé qu’un inconnu, proche de Chauncey Bailey, a récemment confié à la police
s’être vu offrir 3 000 dollars par deux hommes liés à l’association Your Black
Muslim Bakery pour attirer Paul Cobb à un endroit où il serait assassiné.
Averti, Paul Cobb a rencontré, le 16 janvier, le chef de la police d’Oakland,
Wayne Tucker, lequel a placé le journaliste et l’informateur anonyme sous
protection. Ces informations émanent de Thomas Peele, un journaliste partie
prenante dans le projet Chauncey Bailey. Ce projet, lancé au lendemain de la
mort du journaliste et destiné à faire la lumière sur son assassinat, fédère
vingt-cinq entités de presse (journaux, radios, associations et écoles de journalisme).
Selon certains participants, des problèmes économiques causés par
une chute des annonces publicitaires et alimentés par le climat de peur et
d’incertitude qui a suivi le décès de Chauncey Bailey, ont obligé Paul Cobb à
se séparer d’une partie de son personnel, quand d’autres employés ont préféré
démissionner par peur de représailles. Paul Cobb est la cible de menaces de
mort à répétition depuis l’assassinat de son collègue. Six rédacteurs en chef
pressentis pour succéder à Chauncey Bailey ont décliné l’offre tant que
l’affaire ne serait pas élucidée et que le procès n’aurait pas eu lieu.
Leader reconnu de la communauté afro-américaine de Californie,
dont le Oakland Post est une publication de référence, Chauncey Bailey, 57 ans,
a été tué de deux balles en pleine rue et en plein jour, le 2 août 2007, par un
individu cagoulé et vêtu de noir, à quelques mètres du palais de justice et des
bureaux de poste d’Oakland, alors que Paul Cobb se dirigeait vers lui. Rien n’a
été dérobé à la victime. Cinq jours plus tard, la police a arrêté et inculpé du
crime Devaughndre Broussard, 19 ans. Employé du réseau de boulangeries
communautaires Your Black Muslim Bakery - qui gère également une société de
sécurité et plusieurs écoles -, le suspect a d’abord avoué avoir tué le
journaliste en raison d’articles négatifs concernant l’association. Devaughndre
Broussard s’est ensuite rétracté. Il a plaidé non-coupable lors de sa dernière
comparution devant la cour, le 24 janvier. Son procès ne devrait pas avoir lieu
avant l’été 2008.
Selon son entourage, Chauncey Bailey enquêtait avant sa mort sur
certains agissements douteux de la police ainsi que sur la Your Black Muslim
Bakery, dont le fondateur et dirigeant, Yusuf Bey IV (fils d’un leader des
Black Muslims, mais l’association n’est pas affiliée à l’organisation radicale
Nation of Islam), est soupçonné d’avoir trempé dans plusieurs affaires de
rackets, d’extorsions de fonds, de meurtres et même d’enlèvement. Chauncey
Bailey aurait découvert que la Your Black Muslim Bakery était en fait sous la
coupe d’un gang. L’arme qui a servi à tuer le journaliste aurait déjà été
utilisée par Yusuf Bey IV. Certains articles ont, par ailleurs, fait état de
liens d’amitié entre celui-ci et l’officier de police Derwin Longmire, chargé
de l’enquête sur l’assassinat de Chauncey Bailey.