Crise nationale :Un redoutable challenge pour Mme Sangaré

Crise nationale :Ministère de la Promotion de la femme
Un redoutable challenge pour Mme Sangaré

Mme Nestorine Sangaré née Compaoré arrive à la tête du ministère de la Promotion de la femme dans un contexte particulièrement difficile. Les contestations corporatistes s'amplifient dans le pays de semaine en semaine depuis le mois de février. Les revendications sectorielles des civils se succèdent aux mutineries militaires. Voilà le climat dans lequel la spécialiste des questions genre fait son entrée dans l'exécutif burkinabè.

Personne ne lui aurait souhaité une telle entrée en scène. Mais les personnes averties reconnaissent en elle un caractère bien trempé quand il s'agit de relever des défis. Et il n'en manque pas. Déjà, le ton est donné avec la composition du gouvernement où le "resserrement" a plus touché les femmes qui dégringolent de six postes à seulement trois. Aucune ancienne ministre n'a été reconduite. C'est un mauvais signal pour tous ceux et toutes celles qui se battent pour la reconnaissance des compétences féminines dans ce pays. Dans ce nouveau gouvernement, la réduction de leur nombre s'est accompagnée de leur confinement aux départements traditionnellement dévolus aux femmes, à savoir l'Action sociale, l'Education nationale et bien sûr la promotion de la femme. Elles ne demandaient pas la Défense nationale ou la sécurité, mais elles s'attendaient à plus, non pas que les ministères qui leur échoient soient moindres par rapport aux autres, mais simplement pour ne pas donner l'impression de reculer. Car, depuis les années 80 sous la révolution, on n'a plus eu de femmes qui ont occupé des postes ministériels dits masculins tels Finances et Budget, ou Sport etc.

On peut considérer l'application de la loi sur le quota genre de 30% sur les listes électorales comme un autre défi majeur pour Mme Sangaré. Le décret d'application n'a toujours pas été pris, deux ans après l'adoption de la loi. En tout cas, le nouveau ministre a du pain sur la planche, car elle sera sévèrement jugée si les modalités d'application de la loi ne sont pas clarifiées dans les plus brefs délais. Non seulement le temps presse, les élections législatives et municipales couplées sont officiellement prévues pour se tenir en mai 2012. Le nouveau ministre est donc doublement interpellé. Il faut se rappeler qu'elle était aux premières loges de ceux et celles qui se sont battus pour faire aboutir l'idée de quota à travers un plaidoyer qui s'est déroulé sur au moins trois ans. Elle était à la pointe du combat avec sa structure, le Centre de recherche et d'intervention en genre et développement (CRIGED). Du reste, deux semaines seulement avant sa nomination, le CRIGED avait organisé un atelier de restitution de plusieurs études portant sur les questions du genre dont une sur "la communication autour de la loi sur le quota". Les participants se demandaient notamment pourquoi le décret d'application de la loi n'est toujours pas pris. On ne doute pas aujourd'hui, que cette question sera prioritaire dans l'agenda politique du gouvernement.

Les femmes ne sont pas seulement mal en point dans la politique. Elles continuent surtout de souffrir de certaines pesanteurs socio culturelles dont les violences dans toutes ses formes. Qu'elles soient physiques, morales, psychologiques ou sexuelles, elles sont le lot des femmes à travers le Burkina Faso. Là également, Mme Sangaré en a une bonne connaissance de par sa formation de sociologue et surtout pour avoir conduit plusieurs activités tendant à faire baisser ces violences. Elle affirmait dans une interview accordée à notre confrère L'Hebdo du Burkina en mars 2010 que "l'équité sociale est le moyen par lequel la société burkinabè va se développer de manière harmonieuse en préservant les droits humains fondamentaux des hommes et des femmes, quels que soient leur âge, leur ethnie, leur niveau d'éducation, leur condition physique, leur milieu de résidence, leur niveau de revenu, leur niveau d'éducation, etc. On ne peut développer durablement une société en laissant brimer massivement les droits primordiaux d'une de ses composantes essentielles."
En fin 2010, avec la contribution de l'ONG Trust Africa, huit organisations féminines dont le CRIGED avaient organisé des sessions de formation au profit de leurs membres et leurs partenaires dans la lutte contre le phénomène des violences faites aux filles et aux femmes. Une étude récente réalisée par le CRIGED montrait l'ampleur des violences sexistes dans les universités du Burkina Faso. Que dire alors des violences domestiques et conjugales?? La question à laquelle les pouvoirs publics, la société civile et leurs partenaires sont confrontés, c'est comment lutter contre ce fléau sans donner l'impression de mener une guerre contre les hommes. C'est une équation qui n'est pas facile à résoudre dans un contexte culturel où la simple évocation de la question suscite des passions.

Un autre défi pour Mme Sangaré (et ce n'est pas le moindre), obtenir l'adhésion des femmes et leurs organisations pour mettre en œuvre la politique nationale sur le genre adoptée en 2008. Nous savons le mouvement associatif féminin très divisé au plan national comme dans les régions. Dans la deuxième ville du pays, Bobo-Dioulasso, elles avaient failli en venir aux mains lors de la mise en place de la fédération des associations des femmes en 2009. Cette querelle de leadership à la tête de la fédération avait été très médiatisée, donnant l'occasion à certains de ressasser les quolibets sur "l'incapacité des femmes à s'entendre". Ce qui ternit fortement l'image des femmes alors qu'elles n'ont pas le monopole de bagarres de positionnement. Cela existe partout dans les structures et les sociologues vous diront que ces conflits entrent dans la dynamique normale de la vie en société. Mais dans le contexte actuel de lutte pour la reconnaissance des droits des femmes, elles auraient beaucoup à gagner en minimisant ces luttes intestines.
Les pays en transition vers de véritables Etats de droit ont ceci de commun qu'ils connaissent des phases de flux et de reflux dans les luttes pour l'égalité de droits entre les citoyens, surtout entre les hommes et les femmes. Le Burkina Faso se trouve dans cette phase historique. Les hommes et les femmes placés à la tête des départements ministériels à cette période particulière de l'histoire du pays ont de lourdes tâches. Mme Sangaré a raison quand il y a un an, elle disait que "la démocratie burkinabè a besoin de la participation informée des femmes pour se consolider. La contribution des femmes burkinabè au développement de la nation est reconnue unanimement et saluée sur toutes les tribunes. Maintenant, les femmes ont besoin de la démocratie et d'un Etat burkinabè fort pour voir enfin la reconnaissance de leur statut de citoyennes à part entière." Pour sa première sortie publique, la nouvelle ministre compte organiser une "marche pour la paix" le 14 mai. Dans le contexte actuel, cette initiative est diversement appréciée. Si certains y voient une contribution de la gente féminine au retour de la paix dans le pays, d'autres considèrent cette manifestation comme une activité politicienne qui va davantage diviser les femmes. Sa proximité familiale avec le palais ne plaide pas en sa faveur. Alors c'est un redoutable challenge pour elle aujourd'hui que de concilier ces différentes positions au risque d'apparaitre, à l'instar de ces prédécesseurs, comme la faire valoir, la véritable ministre qui tire les ficelles étant ni plus ni moins que Mme Chantal Compaoré, l'épouse du chef de l'Etat.
Idrissa Barry



17/05/2011
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