Corée du Sud : l'aiguille de la discorde

Une polémique oppose les praticiens plus ou moins illégaux mais tolérés de l'acupuncture au corps médical, qui prétend au monopole en ce domaine. L'enjeu est de taille vu la popularité de ce type de soins.

A la suite d'une décision municipale, la clinique d'acupuncture Namsu, à Séoul, est fermée depuis le 1er octobre. Son propriétaire, Kim Nam-su, 94 ans, qui l'avait ouverte en 1943, s'est vu interdire d'exercer son métier pendant plusieurs semaines. Des dizaines de malades venus des quatre coins du pays repartent donc bredouilles. Beaucoup d'entre eux ont connu l'établissement grâce à une récente émission de la télévision KBS, dans laquelle maître Kim expliquait l'acupuncture et la moxibustion [voir Repères]. L'audience du maître a grimpé, et le livre qu'il avait publié en 1996 s'est vendu en un mois à 100 000 exemplaires.

La Ville de Séoul justifie sa décision en déclarant que la licence d'acupuncteur de M. Kim ne lui permet pas de pratiquer la moxibustion. Ce dernier réplique qu'à l'époque où il a obtenu son diplôme, l'acupuncture recourait aussi au moxa et que les deux pratiques sont traditionnellement inséparables. Le fait est que M. Kim est l'un des derniers acupuncteurs exerçant légalement leur art en Corée. La licence d'acupuncteur, née sous l'occupation japonaise (1910-1945), a été supprimée en 1962 lors de la réforme de la législation dans le domaine médical. Aucun concours n'ayant eu lieu après la fin de la colonisation japonaise, tous les acupuncteurs légalement accrédités ont plus de 80 ans. Le ministère de la Santé en dénombre 41 et M. Kim était un des plus actifs d'entre eux.

"Je pratique l'acupuncture et la moxibustion depuis soixante-cinq ans. Jusque-là, personne n'y avait trouvé à redire", affirme-t-il, surpris par la décision de la municipalité. Il a d'ailleurs l'intention de la contester, au besoin devant la Cour constitutionnelle. Il soupçonne le lobby des médecins, qui n'ont jamais regardé d'un bon œil sa lutte pour ressusciter la licence d'acupuncteur. "Il s'agit d'une mesure administrative concernant une pratique illégale de la médecine", se bornent de leur côté à déclarer les associations de médecins. Pourtant Pyo Man-sok, producteur de l'émission consacrée à M. Kim, évoque les pressions qu'il a subies : "Plusieurs associations de médecins ont accusé la chaîne publique de faire de la publicité pour un charlatan." En réalité, "un vieux débat resurgit sur la question de savoir si l'acupuncture et la moxibustion font partie du domaine réservé des médecins, comme le précise d'ailleurs la loi en vigueur", explique Cho Kon-won, secrétaire général de l'Amour du moxa, une association à but non lucratif créée par Kim Nam-su. Nombre de projets de loi se sont succédé pour réglementer l'exercice de ces techniques par les nombreux praticiens non autorisés. Ils ont tous avorté face à l'opposition farouche des médecins, notamment ceux exerçant aussi la médecine traditionnelle. L'acupuncture et la moxibustion sont aussi anciennes que populaires en Corée. Le Parlement disposait même jusqu'à récemment d'une salle où Kim Nam-su et ses disciples mettaient leurs talents au service des députés. Et de plus en plus de personnes veulent s'initier à ces méthodes. Le centre de formation de l'Amour du moxa a formé quelque 3 600 personnes depuis 2003, dont 1 500 ont obtenu une sorte de brevet maison. Ces pratiques auraient entraîné la fermeture d'un grand nombre de cliniques officielles de médecine traditionnelle, d'où la grogne des médecins, qui se sentent concurrencés par les acupuncteurs. "Ces techniques de soins n'ont quasiment pas d'effets secondaires, argumente M. Kim. "Je les enseigne même à mes patients pour qu'ils puissent y recourir sans revenir me voir. Leur efficacité est prouvée, s'agissant notamment des maladies du troisième âge. La médecine occidentale a sauvé bien des vies, mais elle a ses limites. Ceux qui souffrent d'hypertension, de diabète ou d'autres maladies jugées incurables viennent me voir." Le député Kim Chun-jin milite pour le retour du système de licence : "Il faut donner un cadre juridique à l'acupuncture et à la moxibustion, qui offrent des soins très accessibles aux personnes âgées, de plus en plus nombreuses dans notre société."

Repères : Les Coréens recourent volontiers aux techniques inspirées de l'acupuncture classique, moins onéreuses que les traitements médicamenteux. La moxibustion joue ainsi un rôle important dans la médecine traditionnelle de pays tels que la Chine, la Corée, le Japon ou le Vietnam. On chauffe les points d'acupuncture au moyen de petits cônes d'armoise incandescents, les moxas, dans le but de stimuler les méridiens. D'autres méthodes connaissent un succès grandissant chez les patients, comme celle qui consiste à se faire piquer avec un aiguillon de guêpe pour guérir aussi bien les rhumatismes, que l'asthme ou un goitre. La manupuncture, quant à elle, part du principe que la main est un microcosme du corps. Son développement est récent, il remonte aux années 1970 en Corée du Sud. Suivant la pathologie, les points d'acupuncture de la main sont piqués, chauffés ou simplement pressés.

Kim Un-nam



08/11/2008
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