Comment Hillary Clinton a fait avancer la cause des femmes
Pour
ses supportrices, la campagne de la sénatrice de l'Etat de New York constitue
un triomphe historique. Pour ses contemptrices, elle n'a été qu'une occasion
manquée. Bilan.
Chaque
jour qui passe réduit un peu plus la possibilité que le prochain président des
Etats-Unis soit une présidente. De l'avis général, Hillary Clinton est en train
de vivre les derniers jours de sa campagne pour l'investiture du Parti
démocrate. Pour reprendre ses propres termes, elle est entrée en lice
"pour crever le plus haut et le plus dur des plafonds de verre" de la
société américaine, mais aujourd'hui la présidence paraît hors de portée.
La défaite quasi certaine de Hillary Clinton ne doit pas faire oublier ce que
sa candidature représente pour les femmes : pour les unes, un triomphe
historique quoique incomplet, pour les autres, au contraire, la déprimante
confirmation de la raison pour laquelle elles sont si peu nombreuses à briguer
les plus hautes fonctions.
Sa défaite aura des implications politiques directes. Si dans la foule des
partisanes de Mme Clinton, elles sont nombreuses à imputer, ne serait-ce qu'en
partie, son échec à la discrimination sexuelle, dans quelle mesure vont-elles
se rallier au sénateur Barack Obama, l'homme qui aura battu leur candidate ?
"Les femmes croyaient que leur heure était venue et on les en a
privées", commente Marilu Sochor, 48 ans, une partisane de Hillary Clinton
originaire de l'Ohio : "Le sexisme a joué un rôle vraiment important dans
ces primaires."
Tout le monde n'est pas de cet avis. "Si l'on étudie de près la campagne,
on verra que le fait d'être une femme n'a pas été un handicap", estime
l'historienne Doris Kearns Goodwin. Si la campagne de Mme Clinton est décevante
c'est, ajoute-t-elle, à cause "d'erreurs stratégiques et tactiques qui
n'ont rien à voir avec le fait qu'elle est une femme".
Parce qu'elle est une ex-première dame dont la carrière politique a découlé de
celle de son mari, Mme Clinton n'a pas été un cas vraiment représentatif pour
mesurer la réussite féminine. Elle a toujours été "la femme de
quelqu'un", pour reprendre l'expression d'Elaine Kamarck, professeur de
sciences politiques à Harvard, qui la soutient.
Quoi qu'il en soit, d'aucunes reconnaissent à Clinton le mérite d'avoir mis la
barre plus haut pour tout ce qu'une femme peut accomplir dans une campagne
électorale. Elle a réussi à réunir plus de 170 millions de dollars sur son nom,
a été louée pour ses qualités d'oratrice plus que ses rivaux masculins, et elle
a su mobiliser les femmes plus âgées et séduire des hommes qu'on ne s'attendait
pas voir voter pour elle. "Elle a hissé la candidature féminine à un
niveau insoupçonné par rapport à l'époque où je me suis présentée",
souligne Geraldine Ferraro, qui, en
Mais sa campagne, regrettent de nombreuses électrices, n'a pas provoqué de
discussions nuancées entre hommes et femmes. Elle a seulement réveillé les
familières batailles des sexes. Obama, qui a cherché à minimiser le rôle de la
question raciale dans sa candidature, a finalement engagé une sorte de dialogue
national sur ce sujet. Mais Hillary Clinton, qui a explicitement intégré le
fait d'être femme dans sa candidature, n'a pas semblé vouloir ou pouvoir parler
franchement de ce sujet. Ainsi, elle a refusé d'accorder au New York Times
un entretien portant sur l'aspect homme-femme de la compétition.
Hillary Clinton a tout de même suscité de nouveaux débats entre les femmes. Sa
candidature a divisé les femmes démocrates, sans parler des chefs de file du
mouvement féministe. Le clivage a largement reproduit le fossé des générations,
avec d'un côté les femmes plus âgées qui ont mené des combats personnels et, de
l'autre, leurs cadettes pour qui le fait de préférer un candidat était en
lui-même un signe de progrès et de confiance en soi.
"Sa plus importante contribution a été de montrer qu'en matière électorale
une femme n'est pas différente d'un homme", affirme l'historienne Joan
Scott, "et qu'il convient de les juger non pas sur la base de leur sexe
mais de leur caractère".
Jeniffer Rogers, une productrice de cinéma de Los Angeles de 28 ans, a voté
lors des primaires pour Clinton, notamment parce qu'elle espérait voir une
femme à la Maison-Blanche, mais son enthousiasme s'est récemment envolé à cause
de ce qu'elle considère comme un manque de d'honnêteté de la part de la
candidate. "Ses problèmes tiennent à sa personnalité et non à son
sexe", déplore-t-elle.
Amy Rees, une femme au foyer de San Francisco de 35 ans, a été tiraillée entre
les deux candidats avant de choisir Obama. Elle ne regrette pas son choix. Pour
elle, Mme Clinton a perdu au match des mérites. Ce qui ne l'empêche pas
d'éprouver à l'occasion une inquiétude fugace. Parlant du sénateur de
l'Illinois, elle dit : "Plus que Hillary Clinton, il ressemble beaucoup
plus à tous les autres présidents qu'on a eus jusqu'ici."
Jodi
Kantor
The New York Times