Bienvenue à l'aéroport personnel du président !
A défaut d'avoir amélioré les conditions de vie de leurs compatriotes, les dirigeants africains se sont occupés - ô combien ! - à mettre en scène leur propre grandeur. Petite revue de palais et autres aéroports privés par le magazine kényan The East African.
Pendant leurs premières années au gouvernement, beaucoup de dirigeants africains passent par une phase d'idéalisme. Les promesses et les espoirs pleuvent, comme lorsque Museveni a affirmé que le pays serait "modernisé" et "transformé en un tigre économique". Et, en général, les choses changent vraiment. Des routes sont construites ou réparées. Des dispensaires sont créés dans les campagnes. Des réformes économiques et juridiques sont mises en place, et le pays se voit doté d'une Banque centrale et d'un pouvoir judiciaire parfois indépendants. La prospection du sol est accélérée, et l'on trouve du pétrole ou des diamants.
Presque toujours, comme en Ouganda, on lance des plans de modernisation de l'agriculture. Ces derniers temps, l'enseignement primaire universel et gratuit fait constamment partie du tableau. Mais, une fois que tout a été dit et fait, on voit que la situation économique générale n'a pas évolué et que les conditions de vie de la majorité des habitants ne se sont que très peu améliorées. Alors, au bout de vingt ans, les dirigeants finissent par comprendre qu'ils ne peuvent pas transformer leurs pays en puissances mondiales à revenu intermédiaire.
A partir de là, on assiste à la multiplication d'activités de remplacement, destinées à conférer à nos dirigeants l'importance et la grandeur personnelle qu'ils n'ont pas réussi à atteindre en utilisant intelligemment leurs pouvoirs pour transformer leur pays. C'est l'équivalent politique du Viagra.
C'est ainsi qu'en Côte-d'Ivoire Félix Houphouët-Boigny construisit la plus grande cathédrale du monde dans sa ville natale, Yamoussoukro. Dans l'ancien Zaïre, Mobutu Sese Seko s'était offert à Gbado-Lite, au fin fond de la jungle, un palais princier orné de marbre et de diamants, et pourvu de sa propre piste d'atterrissage. Au Zimbabwe, pendant que son pays s'écroulait autour de lui, le président Robert Mugabe a dépensé une fortune dans un palais similaire.
Mais les grands hommes ne profitent pas beaucoup de ces somptueuses bâtisses. En effet, arrivés à ce stade, ils deviennent paranoïaques et, lorsqu'ils sont dans leur palais solitaire ou qu'ils se retrouvent les seuls utilisateurs d'un terminal, ils sentent qu'ils sont des cibles plus faciles pour leurs ennemis.
Il s'agit d'une régression par rapport à la mentalité qui a marqué les premières années d'indépendance sur le continent. Certes, les chefs d'Etat de cette époque aimaient donner leur nom aux choses et mettre leur portrait sur les billets de banque, mais, à la différence de leurs successeurs actuels, qui préfèrent les projets privés, ils aimaient les grandes œuvres publiques. C'est ce qui explique la construction du barrage d'Akosombo [au Ghana], jadis décrié et aujourd'hui encensé.
Ces dirigeants-là étaient capables de survoler une vaste plaine et de décider d'y édifier une nouvelle capitale. Ils construisaient des usines gigantesques et des aéroports au milieu de nulle part. Ces projets étaient généralement coûteux et inutiles, mais au moins ils étaient inspirés par un souci de l'intérêt général plus noble que ce que l'on peut voir aujourd'hui.
Je me souviens d'un article, que j'ai lu il y a quelques années, sur Menahem Begin, l'un des fondateurs de l'Etat moderne d'Israël, général décoré dans les nombreuses guerres livrées par son pays. Pendant la période où il fut Premier ministre et après avoir quitté son poste, il a vécu dans un modeste appartement qu'il partageait avec sa fille. Les hommes comme Begin n'ont pas besoin de terminaux d'aéroports personnels pour être grands. Que l'on aime ou que l'on haïsse Israël, la situation actuelle du pays montre bien que ces hommes ont réussi à changer leur monde.
Charles Onyangbo-Obbo
The East African