Barack Obama victime de lui-même ?
A
quelques jours de la primaire démocrate de Pennsylvanie, la "gaffe"
de Barack Obama à propos des électeurs blancs des petites villes continue de
faire couler beaucoup d'encre. Une polémique qui pourrait bien lui coûter la
Maison-Blanche, estime The New Republic.
Certains
commentateurs de gauche ont minimisé l'effet du discours qu'a prononcé Obama la
semaine dernière lors d'une collecte de fonds à San Francisco [il a
déclaré : "Dans certaines petites villes de Pennsylvanie, les gens
deviennent amers, ils s'accrochent aux armes à feu, à la religion ou à leur
antipathie […] pour les immigrés]. Mais il ne faut pas rêver. Avec les
révélations sur Jeremiah Wright, son ancien pasteur [accusé d'avoir tenu des
discours antiblancs et antiaméricains], le discours de San Francisco va
poursuivre Obama non seulement lors des prochaines primaires démocrates de
Pennsylvanie, d'Indiana, du Kentucky et de Virginie-Occidentale, mais aussi
– en admettant qu'il soit investi par son parti – lors de l'élection
du mois de novembre face au républicain John McCain.
Pour être élu à la Maison-Blanche, le candidat démocrate devra réussir à
séduire la majorité des électeurs des Etats industriels qui s'étendent de la
Pennsylvanie au Missouri. Cela sera encore plus impératif s'il ne l'emporte pas
en Floride, ce qui sera probablement le cas d'Obama du fait de sa relative
faiblesse dans le sud de cet Etat.
Les ouvriers blancs de ces Etats industriels ont longtemps fidèlement soutenu
les démocrates. Ils ont toujours été chasseurs, pratiquants, très patriotes,
mais sceptiques quant aux bénéfices du commerce et de l'immigration et
– ce qu'Obama n'a pas évoqué – à la montée des Noirs en politique. Et
ils se méfient toujours des républicains, qu'ils pensent asservis aux grandes
entreprises. Historiquement, les démocrates sont parvenus à conquérir ces
électeurs dans trois cas :
- quand les ouvriers blancs n'ont pas pu s'identifier au candidat républicain,
que ce soit à cause de ses origines, de ses convictions ou de ses actes.
- quand le candidat démocrate a su se montrer suffisamment mesuré sur les
questions des armes à feu, de l'avortement et de la religion pour neutraliser
le candidat républicain.
- quand le candidat démocrate a réussi à donner l'impression d'être proche des
gens.
Quand on envisage l'élection à venir de ce point de vue, les perspectives
démocrates ne semblent pas très bonnes. McCain est un républicain
acceptable : c'est un héros de guerre et il a une réputation de modéré.
Les deux prétendants démocrates sont, malgré leurs protestations, perçus comme
appartenant à l'aile gauche du parti en ce qui concerne les armes à feu ou
l'avortement.
Reste la troisième possibilité : que les électeurs considèrent le candidat
démocrate comme "l'un d'entre eux" ou comme une figure paternelle ou
maternelle qui comprend leurs souffrances. Les deux rivaux démocrates sont
clairement mal partis à cet égard, Obama plus encore que Clinton. En tant
qu'Africain-Américain, il a un point de retard et il a beau s'efforcer de se
placer au-dessus des clivages raciaux, on lui rappellera continuellement ses
liens avec Jeremiah Wright.
Issu d'un milieu modeste, Obama a tenté de se présenter à la fois comme un
candidat ayant fréquenté la faculté de droit de Harvard et les prolétaires de
Chicago [ville où il a été animateur social], mais il n'a pas réussi. Ses
manières, ses propos et sa diction sentent trop Harvard. Certes, Obama possède
une grande éloquence, mais il n'en fait usage que pour marquer son opposition à
la guerre et décrire ce qu'est un bon gouvernement. En revanche, il ne semble
pas très convaincu sur les questions économiques de tous les jours, domaine où
les électeurs sont le plus susceptibles de sourire aux démocrates.
Ces difficultés étaient déjà manifestes avant qu'Obama ne prenne la parole à
San Francisco, mais elles sont encore plus évidentes aujourd'hui. A cette
occasion, il a semblé dire que l'opposition des électeurs de Pennsylvanie au
contrôle des armes à feu, à l'avortement et à l'immigration était pathologique
; ce qui revenait à dire aux démocrates aisés de San Francisco : "Je
suis l'un des vôtres, pas l'un d'entre eux."
Il existe même un léger risque que ces propos lui coûtent l'investiture. Obama
est pratiquement assuré d'avoir davantage de délégués, en juin, qu'Hillary
Clinton. Mais s'il perd la Pennsylvanie de 15 % (ce qui n'est pas exclu),
il pourrait être victime d'un tir de barrage médiatique qui provoquerait
peut-être de nouvelles défaites lors des primaires suivantes et pousserait les
superdélégués à soutenir Clinton. Ce n'est pas très probable, mais maintenant
qu'Obama a dit le fond de sa pensée à San Francisco, et ainsi perdu les
électeurs des petites villes, c'est devenu concevable.
John B. Judis
The
New Republic