Afrique du Sud : retour à des pratiques dignes de l'apartheid
Les
auteurs des violences xénophobes qui enflamment les townships depuis le 11 mai
utilisent des tests linguistiques pour repérer les étrangers.
Alors
que la chasse aux étrangers ne cessait de s'étendre dans la région de
Johannesburg, de nombreux assaillants ont commencé à faire sortir des gens des
files devant les magasins pour leur faire passer des "tests de
nationalité". Une technique qui rappelle les "tests" humiliants
utilisés du temps de l'apartheid pour classer les métis dans la catégorie
"noir" ou "blanc".
Un premier test linguistique consiste à demander aux personnes de nommer
certaines parties du corps en zoulou, langue dont certains mots ne sont plus
que rarement utilisés. Ainsi, la plupart des gens emploient le mot iminwe
au lieu de ucikicane – plus formel – pour désigner le petit doigt. Les
Sud-Africains connaissent encore ces mots tombés en désuétude, mais la plupart
des étrangers les ignorent.
Alors qu'il s'entretenait avec des réfugiés fuyant les violences d'Alexandra
[bidonville de Johannesburg], l'un de nos journalistes a été averti par une
femme qui lui a dit de veiller à savoir dire le mot "coude" en zoulou
afin de ne pas être pris pour cible s'il était arrêté par une bande. Angeline
Motowanyika n'a pas eu cette chance. "Ils m'ont pris mon passeport et mon
argent, puis ils m'ont demandé de dire 'coude' en zoulou. Je ne savais pas,
alors ils ont commencé à me frapper", raconte cette Zimbabwéenne habitant
à Jeppestown. Le mot zoulou pour désigner le coude, indololwane, n'est
plus guère usité, la plupart des gens se servant uniquement des mots
"bras" et "main". Les assaillants peuvent également
demander le mot zoulou pour "orteil", inzonzwane.
Il y a aussi des tests de prononciation. On demande aux gens de dire
"Coke" [nom familier du Coca-Cola]. Les étrangers ont tendance à
prononcer "Cok". Si cela ne suffit pas, les agresseurs peuvent vous
ordonner de dire short left, qui signifie que l'on veut sortir d'un
taxi. Les étrangers disent plutôt shorty left.
Pendant près de trente ans, sous le régime de l'apartheid, les administrations
utilisaient le "test du crayon" pour savoir dans quelle catégorie
classer les métis. Leur sort était scellé selon que le crayon glissait (ils étaient
alors blancs) ou restait coincé dans la chevelure (ils devenaient
officiellement noirs).
Tous ces tests ont provoqué des milliers de drames au sein de familles où
certains membres, plus pâles ou aux cheveux moins crépus, étaient considérés
comme relevant d'une autre catégorie et donc forcés de vivre à l'écart de leurs
proches. Quatorze ans après l'instauration de la démocratie en Afrique du Sud,
certains citoyens semblent utiliser les mêmes techniques que leurs anciens
oppresseurs pour persécuter d'autres Africains.
Nosimilo Ndlovu
Mail
& Guardian