Un guide pour les pays candidats au multilinguisme

Les langues nationales, une alternative pour une éducation de qualité ? Révolutionner les systèmes éducatifs en Afrique à travers l'utilisation des langues nationales dans l'éducation. C'est ce que les experts proposent aux Etats africains pour une éducation de qualité en s'appuyant sur plusieurs expériences et études concluantes.

L'intégration des langues et cultures africaines dans les systèmes éducatifs est une alternative vers l'amélioration de la qualité et de l'accès à l'éducation en Afrique. C'est ce que l'Association pour le développement de l'éducation en Afrique (ADEA), l'Institut de l'UNESCO pour l'apprentissage tout au long de la vie (UIL) et le ministère de l'Enseignement de base et de l'alphabétisation du Burkina ont voulu démontrer à travers l'organisation de la conférence africaine sur le sujet. Cette rencontre tenue à Ouagadougou du 20 au 22 janvier dernier a rassemblé des ministres de l'Education de pays africains, des experts et des partenaires au développement. L'Afrique demeure le seul continent où l'enfant commence sa scolarisation avec une langue étrangère. De nombreux pays africains présentent de mauvaises performances en matière d'éducation. Pour les experts réunis à Ouagadougou, cela est sans doute lié en grande partie au fait que les enfants doivent acquérir les connaissances dans une langue qui leur est étrangère qu'ils ne maitrisent pas très souvent. De multiples études réalisées sur le sujet ont montré dans plusieurs pays d'Afrique, dont le Burkina, que les élèves des écoles bilingues réussissent mieux que leurs camarades des écoles monolingues. L'utilisation des langues nationales dans les systèmes d'enseignement n'est pas un concept nouveau. Elle est une recommandation de l'UNESCO depuis 1950. Mais depuis cette date, la plupart des pays africains trainent le pas sur la mise en œuvre de cette recommandation. Malgré les inquiétudes levées à travers les différentes études, les politiques hésitent à franchir le pas. Cela est lié à plusieurs facteurs selon le ministre de l'Enseignement de base, Odile Bonkoungou : " L'adoption d'une politique linguistique explicite dans la plupart des Etats africains n'est pas aisée et se bute le plus souvent à de multiples obstacles dont les plus récurrents sont la diversité linguistique, le scepticisme par rapport à la capacité des langues africaines à assurer une fonction d'enseignement et de vulgariser par écrit et les risques d'isolement pris à l'utilisation limitée de ces langues universelles. " Pour de nombreux experts, ces problèmes sont aujourd'hui pour la plupart résolus et il faudra aller désormais vers la mise en œuvre du multilinguisme dans les écoles. Selon Adama Ouane, directeur de l'UIL, il n'y a pas de problème technique ou linguistique qui pourrait constituer un obstacle pour l'utilisation des langues africaines dans l'enseignement. " Les langues africaines sont capables de véhiculer toutes les connaissances scientifiques ", a-t-il affirmé. Il y a des expériences réussies dans certains pays comme le Burkina, au Malawi, en Ethiopie et en Lybie. Ces pays qui sont en avance sur l'intégration des langues nationales à l'école par rapport aux autres pays du continent ont présenté leurs expériences au cours de la conférence pour rassurer les plus sceptiques.

La diversité linguistique dans les pays ne constitue pas non plus un obstacle selon les experts. Les participants à cette conférence ont élaboré des lignes directrices pour permettre aux pays intéressés de disposer de stratégies pour l'intégration des langues et cultures dans leur système éducatif. Les langues véhiculent des valeurs. Elles sont par conséquent, le moyen le plus sûr de préparer l'enfant à la vie à travers l'éducation. "La langue et avec elle, la culture qu'elle véhicule sont des leviers incontournables de l'intégration sociale de l'homme et de sa participation au développement local et planétaire.", a souligné Odile Bonkoungou. La mise en œuvre de l'expérience peut paraitre couteux pour les différents pays, mais plus économique à moyen terme selon le directeur de l'UIL. Des études menées en Afrique du Sud ont démontré que cette reforme pourrait occasionner un budget supplémentaire de près de 5% par rapport au système classique dès les premières années, mais au bout de 6 ans, le système est plus avantageux économiquement. L'utilisation des langues nationales est avant tout une option politique qui doit être guidée par la volonté d'améliorer qualitativement et quantitativement les performances du système éducatif. Selon Byll Cataria, secrétaire exécutif de l'ADEA, le processus n'est pas un rejet progressif des langues étrangères. Il vise non seulement à améliorer la qualité de l'éducation en Afrique, mais aussi à sauvegarder les langues nationales et à les promouvoir. Il existe près de 2000 langues en Afrique sub-saharienne. Seulement 176 d'entre elles sont actuellement utilisées dans les systèmes éducatifs de certains pays.

Des études ont montré que les enfants apprennent mieux dans leurs langues

Le Burkina Faso est l'un des rares pays africains à engager un processus d'intégration des langues nationales dans l'éducation. Il existe aujourd'hui quelques 118 écoles bilingues dans les différentes régions du pays. Des expériences menées dans ces écoles démontrent que les élèvent réussissent mieux en apprenant dans leurs langues maternelles. Selon une étude menée par Paul Taryam Ilboudo, entre 1998 et 2006, les écoles bilingues au Burkina ont présenté une moyenne de réussite de 78,16% au certificat d'étude primaire (CEP) contre 65,69% au niveau national. Dans les écoles bilingues, les élèves passent leur CEP au bout de 5 ans de scolarité au lieu de 6 comme c'est le cas à l'école classique. Des résultats qui ont convaincu le gouvernement à faire l'option de la généralisation progressive de l'intégration des langues nationales dans l'éducation selon le ministre de l'Enseignement de base. Cette option a une base légale à travers la nouvelle loi d'orientation sur la reforme du système éducatif adoptée par l'Assemblée nationale en 2007. C'est dans la perspective de la généralisation que les langues nationales ont été introduites dans les écoles de formation professionnelle des enseignants du primaire. Huit langues sont actuellement utilisées dans les différentes écoles bilingues du Burkina. Nous ne sommes pas à notre première expérience sur l'utilisation des langues nationales dans l'éducation. Une reforme du système éducatif avait permis d'introduire les langues nationales dans l'éducation en 1979. Mais cette expérience a été interrompue en 1984. L'intégration des langues nationales dans l'éducation devrait aussi être accompagnée par une amélioration des conditions de vie et de travail des premiers acteurs que sont les élèves eux-mêmes et les travailleurs du secteur. C'est une autre condition pour un changement qualitatif des performances du système éducatif selon les experts. MZ

 

 

Un guide pour les pays candidats au multilinguisme

Les participants à la conférence ont adopté à l'issue de leurs travaux de trois jours un guide de politique d'intégration des langues et cultures africaines dans les systèmes éducatifs africains. Un guide qui sera mis à la disposition des pays qui ont la volonté d'utiliser les langues nationales dans leur système éducatif pour leur permettre d'avoir des outils et mieux réussir la transformation. Le document permettra aussi aux pays ayant déjà adopté ces langues d'améliorer l'efficacité de leur système. L'outil a été élaboré sur la base d'expériences de certains pays et de recherches qui ont permis aux participants à la conférence de confronter les points de vue au cours des débats et des travaux de groupe. La situation de pauvreté du continent africain nécessite une transformation des sociétés pour entrainer la mobilisation de toutes les couches sociales sur les chantiers du développement. Cela ne peut se réaliser sans l'intégration des langues utilisées par les masses dans le système éducatif. " La mise en œuvre du système éducatif permet de libérer la capacité de créativité des populations et de renforcer la cohésion sociale. ", précise le document. L'intégration des langues nationales dans l'éducation n'est pas aisée. Les experts recommandent la mise en place de cadres politique et législatif, l'élaboration de stratégies de suivi et d'évaluation, la sensibilisation et la formation des acteurs et le renforcement institutionnel… Avant la mise en œuvre, le concept doit être accepté par les communautés. Chaque région devrait avoir la possibilité d'avoir sa politique linguistique. Aucune langue ne doit être exclue. Le processus doit viser l'utilisation de toutes les langues en commençant par les mieux outillées. Les Etats doivent par conséquent prévoir dans leurs budgets, des ressources financières nécessaires à la mise en œuvre du multilinguisme dans l'éduction. L'aboutissement du processus passe par la valorisation des langues nationales. C'est ainsi que les experts recommandent l'utilisation des langues africaines dans l'administration publique et envisager en fonction du niveau de l'intégration de ces langues, un modèle bilingue où la langue locale pourrait évoluer à côté d'une langue étrangère. L'une des difficultés pour la mise en œuvre du processus demeure le manque de personnel qualifié.
Un grand défi à relever et les participants proposent de former les formateurs sur les langues locales. La révision des programmes de formation et la prise en compte du multilinguisme dans les écoles professionnelles s'avèrent nécessaires.
MZ



31/01/2010
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