Inde : l'enclave des filles au pays des garçons

 Dans un pays où beaucoup de familles préfèrent avoir des garçons et où l'on pratique l'avortement sélectif, le village de Bijlipur fait exception : il compte 1 800 femmes pour 1 000 hommes. Pour le plus grand bonheur de ses habitants.

Il y a environ deux cents ans, la jeune Bijli, originaire de Lalkalan, épousa un homme du village voisin d'Abbuwal et lui apporta en dot une terre qui fut appelée Bijlipur. Telle est la légende que l'on raconte à propos de ce petit village de Ludhiana, aujourd'hui réputé pour une caractéristique étonnante. Situé en plein cœur du Pendjab – où le rapport numérique entre hommes et femmes est de 1 000 pour 874 –, Bijlipur affiche la tendance inverse, avec 1 800 femmes pour 1 000 hommes.

Contrairement à la plupart des villages du Pendjab, qui dépendent de l'agriculture, les habitants de Bijlipur sont majoritairement salariés. "Presque toutes les familles du village comptent au moins une personne employée dans une usine, une entreprise privée ou les services de police. Nous sommes plus ouverts sur le reste du monde que les autres villages de la région", déclare Charanjit Singh, le chef de ce village, situé à une cinquantaine de kilomètres de Chandigarh et de Ludhiana, sur la voie express.

Entre avril 2002 et mars 2008, 32 filles et 17 garçons sont nés dans le village. Les fillettes ont maintenant entre 3 et 6 ans. "C'est un très grand progrès. Nous en avons informé les autorités", dit Jasbir Singh, spécialiste de la santé.
De retour de l'école, Karamjit Kaur, 15 ans, explique qu'elle ne s'est jamais sentie délaissée par ses parents. "Ma mère s'est fait ligaturer les trompes après notre naisssance, moi et mes trois sœurs", raconte-t-elle avant de confier qu'elle aimerait devenir docteur.

Bhavjal Par Singh, agent immobilier de 37 ans, apprécie que les filles de Bijlipur, quelle que soit leur extraction, soient toujours bien traitées. "Les propriétaires et les riches résidents ont créé un fonds spécial servant à marier les filles des familles pauvres."

"Les femmes du village sont suffisamment éduquées pour apprendre des choses à leurs enfants et certaines travaillent comme employées", ajoute Kulwinder Kaur, qui travaille près de Dhandari Kalan. Selon Charanjit Singh, 70 % des habitants du Bijlipur ont un niveau d'éducation équivalent à celui du lycée. "J'ai quatre sœurs, toutes titulaires d'un diplôme universitaire et bien dans leur vie. Cela fait environ une dizaine d'années que nos filles reçoivent des demandes de mariage de la part d'Indiens expatriés", poursuit-il. Le village est tout particulièrement fier d'avoir donné naissance à trois femmes médecins, un ingénieur en chef et des dizaines d'enseignantes exerçant aujourd'hui dans les écoles et collèges de la région.
Selon Suringer Kaur, qui fait office d'assistante sociale, pas un seul cas d'infanticide de fille n'aurait été signalé dans ce village. "Il n'y a qu'une école à Bijlipur mais les gens se sentent concernés par l'éducation de leurs enfants", explique-t-elle.

Bijlipur n'abrite qu'une école primaire et les étudiants plus âgés doivent parcourir plusieurs kilomètres à vélo pour se rendre à Ghulal ou à Samrala pour poursuivre leurs études secondaires. Le choix est toutefois limité pour ceux qui veulent continuer jusqu'à l'université. "Les étudiants peuvent s'inscrire au Malwa College de Bondli Samrala ou à l'AS College de Khanna, mais, pour les filières techniques, ils doivent aller dans les grandes villes, où la vie est chère", déplorent Harveen et Parveen, qui souhaitent suivre une formation professionnelle.
Le gram panchayat – conseil de village – de Bijlipur encourage les activités sportives. "Nous tenons à ce que nos filles et nos garçons fassent du sport parce que cela leur donne confiance en eux", déclare Jasbir Kaur, ancien membre du conseil.

Quelques anciens du village massés sous un figuier banian nous disent qu'il n'y a jamais eu de divorce ou de crime lié à un conflit sur la dot à Bijlipur. "Personne ne vend de tabac et il n'y a pas de commerce d'alcool ici, ajoute le septuagénaire Gurcharan Singh. Nous avons fait en sorte que les jeunes, notamment les filles, puissent trouver leur place dans la société."

Aman Sood
The Indian Express



08/11/2008
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