Tribunal de Bobo : Odeur de cigarettes au parquet

Jusqu'où l'affaire des cigarettes qui empoisonne actuellement le travail du parquet de Bobo-Dioulasso va-t-elle aller ? Le procureur du Faso près le tribunal de Bobo est obligé de faire la preuve de sa probité dans une affaire qui ne finit plus de faire des vagues.

En janvier 2009, la SRPJ de Bobo-Dioulasso saisit une quantité importante de cigarettes prohibées entre les mains d'un trafiquant nommé Aziz Sana, bien connu des services de la région, pour diverses activités illégales. Dans un premier temps, le trafiquant aurait essayé de corrompre le commissaire responsable du SRPJ, un certain Elvis Compaoré, en lui proposant la somme de 1 500 000 F CFA sans succès. Ensuite, cornaqué par un de ses amis, le trafiquant entreprend de passer par le procureur du Faso de Bobo-Dioulasso. Le trafiquant lui-même ne rencontre pas le magistrat. C'est son ami, un certain Casimir Tiendrébéogo qui s'en charge. Celui-ci dit avoir rencontré le procureur du Faso de Bobo-Dioulasso dans son bureau et d'avoir conclu avec celui-ci un arrangement pour trois millions de francs CFA avec la promesse de restituer la cargaison prohibée. Sur la base de cette entente avec le procureur, le scénario de la remise des trois millions serait le suivant, selon la partie qui accuse le procureur. Dans un premier temps, un rendez-vous est donné au procureur dans une station d'essence à Bobo-Dioulasso. Ce jour-là, Aziz Sana (le trafiquant), Casimir Ilboudo et un certain Madi Djiré sont venus attendre le procureur à la station d'essence convenue. Ce dernier arrive dans sa Mercedes et le nommé Casimir Tiendrébéogo descend avec en poche un million et s'en va s'engouffrer dans la voiture du procureur. Ce dernier démarre avec lui, fait quelques mètres dans le quartier et revient le déposer. Casimir s'en va retrouver la bande qui l'attendait et explique que la mission a été accomplie.
Dans un deuxième temps, Casimir et Aziz se remorquent et viennent retrouver le procureur dans son bureau au palais de justice. Cette fois encore, c'est Casimir seul qui entre dans le bureau du procureur avec dans sa poche la somme de deux millions. Après un bout de temps, il revient dire à Aziz que c'est fait. Les deux s'en retournent et le trafiquant attend évidemment d'être appelé du jour au lendemain pour venir reprendre sa cargaison. Le temps passe et Aziz Sana ne voit rien venir. En novembre 2009, le trafiquant prend son courage et vient demander la suite de son affaire. Il est reçu par le substitut Doli à qui il explique son affaire. Cette dernière l'écoute et lui conseille d'aller voir le procureur général pour expliquer son affaire, car c'est délicat, parce que l'affaire concerne son patron, avec qui, soit dit en passant, elle est en délicatesse. Le procureur général est saisi, mais le substitut ne se détourne pas complètement de l'affaire. Elle entreprend d'en connaître mieux et se met en relation avec le commissaire du SRPJ.
Entre temps, le procureur général est saisi et cherche à en savoir un peu plus. Dans son bureau, il reçoit le nommé Sana et fait venir le procureur du Faso. Sana n'aurait pas reconnu le procureur qu'il rencontrait pour la première fois. Mais il raconte son histoire et comment Casimir Tiendrébéogo lui a pris de l'argent pour le remettre au procureur dans le but de lui faire restituer sa cargaison de cigarettes. Le procureur du Faso nie les faits devant Aziz. Casimir Tiendrébéogo, l'intermédiaire, est joint au téléphone, dans le bureau du procureur général et la conversation a lieu en mooré. A la fin, le procureur suggère à Aziz de porter plainte, mais ce dernier dit qu'il n'a pas l'argent de timbre. Le procureur sort de sa poche 500 f cfa qu'il lui remet. La plainte est écrite le 12 novembre 2009 et transmise (soit transmis N° 1325/2009/CA-B/TTGI/F) au parquet de Ouagadougou où elle arrive finalement le 18 novembre, après avoir transité par erreur, dit-on, par la brigade de recherche de Bobo- Dioulasso.
Le procureur du Faso explique également au procureur général, que saisi de cette affaire de cigarettes, il l'avait tenu informé et qu'il lui avait donné instruction de faire venir l'ensemble de la procédure et la cigarette objet de la saisie. Mais selon le procureur, la police avait déjà remis la cigarette à MABUCI-G Bobo. La procédure n'a pas été menée à son terme. Le procureur explique sur la foi de ces faits qu'il ne peut pas avoir promis de restituer la cigarette, en sachant qu'elle n'existait plus. La police l'a informé que la cigarette a été remise à MABUCI-G. Mais ses contradicteurs sont aussi formels. Ils insistent pour dire que l'argent a été bien remis au procureur par deux fois et dans les endroits indiqués. Depuis le coup de fil donné à Casimir Tiendrébéogo dans le bureau du procureur général, ce dernier serait introuvable. Nous avons essayé ses numéros en vain. Mais un autre, Djiré Madi qui se dit témoin de la remise du million à la station est lui bien joignable.

Divergence dans la quantité de cigarettes

Quelle est la quantité de cigarette saisie ? 4600 cartouches, pour une valeur d'environ 11 millions de francs cfa. Mais il semble que c'est seulement 4000 cartouches qui ont été rétrocédés à MABUCI-G. Où sont passés les 600 cartouches ? Volatilisés au niveau du SRPJ ? En tout cas, le rapport du commissaire évalue la saisie à environ 9 millions de francs cfa pour 4000 cartouches. Aziz Sana, le trafiquant évalue, lui, sa marchandise à 11 millions de francs.

Climat délétère au parquet de Bobo-Dioulasso

Cette affaire de cigarettes empoisonne l'ambiance de travail, déjà pas franchement bonne au parquet. Le substitut Doli Inis qui tombe, apparemment fortuitement, sur cette affaire de cigarettes qui met en cause le procureur du Faso, entreprend de creuser un peu plus pour se prémunir de son supérieur hiérarchique qu'elle soupçonne de vouloir lui nuire administrativement. Depuis lors, rien ne va plus au parquet. La dernière illustration de cette mauvaise ambiance, c'est le procès dans une affaire de mineure enlevée qui impliquerait aussi le procureur, qu'une des parties accuse d'avoir pris de l'argent. Le procureur, suivant l'adage africain, que pour mieux préserver son bien, il faut le confier au voleur, a décidé de confier l'affaire à son substitut pour qu'elle constate qu'il n'a rien pris. Au cours du jugement, une des parties, installée à Bouaké, ne se présente pas. Une autre dame prévenue dans le dossier et qui est employée dans une institution à Bobo-Dioulasso, est depuis le début de l'affaire sous mandat de dépôt à la maison d'arrêt. Constatant que la plaignante qui est installée à Bouaké n'est pas venue pour la deuxième fois consécutive au procès, le substitut, par magnanimité, sans doute, demande au tribunal, qui le suit, de statuer " avant dire droit " et d'accorder une liberté provisoire à la seule prévenue incarcérée dans le dossier. Le procureur n'aurait pas bien apprécié cette liberté de son substitut, qui pense, à juste raison, qu'elle aurait pu lui demander la conduite à tenir. On peut seulement regretter l'attitude du procureur qui n'a pas maîtrisé ses nerfs au point d'intervenir dans le déroulement du procès et s'en aller contre la décision du tribunal, non pas selon les procédures du droit, mais un peu de façon cavalière.
La situation est en tout cas délétère au parquet, il est peut-être urgent d'y dire le droit. NAB



06/01/2010
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