Obligation de résidence des maires : Mésentente au Sommet
Les travaux du comité ad hoc qui a planché sur la réforme des textes portant sur la décentralisation ont été adoptés par le Conseil des ministres du 30 septembre dernier. C'est aussitôt un concert de cacophonie chez les protagonistes qui visiblement n'ont pas la même interprétation du texte qu'ils ont pourtant tous signé. Le ministre Clément Sawadogo assurant la tutelle des communes parle d'une évolution du processus de décentralisation tandis qu'à l'AMBF, on insiste sur les insuffisances. Visiblement c'est une entente illusoire qui fait penser à un marché de dupes.
On avait pourtant pris le soin de réunir tous les protagonistes. La composition du comité ad hoc comprend outre des représentants du ministère de tutelle, des représentants de l'Association des Municipalités du Burkina (AMBF) ainsi que de l'Association des Conseils régionaux. Tirant leçon des blocages à répétition qui ont émaillé le fonctionnement des communes, le comité a proposé des réformes portant sur les conditions de validation des sessions. Désormais le quorum requis est la majorité absolue (c'est-à-dire la moitié plus une voix) au lieu de 2/3 des membres du Conseil comme par le passé. Les procurations ne sont pas prises en compte dans le décompte des voix et des sanctions sont même prévues pour les absentéistes. Sera désormais considéré comme démissionnaire tout élu qui n'aura pas siégé durant une année. Mais la disposition la plus controversée porte sur la résidence des maires.
Avec des maires vacataires, c'est un échec programmé de la décentralisation
La nouvelle disposition légale oblige désormais les maires à vivre dans leurs communes respectives. Mais sur ce point, les signataires ont des interprétations divergentes. Pour Mutan Hien, maire de Ouessa, juriste et membre du comité ad hoc au titre de l'AMBF, la résidence ne fait pas obligation aux maires de vivre dans leurs communes. La résidence fait seulement obligation de posséder des intérêts économiques dans la localité. Une personne peut avoir plusieurs résidences mais un domicile. Pour le MATD par contre, la résidence renvoie à la domiciliation. Le ministre Clément Sawadogo prône plus de réalisme. Selon lui, les difficultés de terrain ont convaincu que personne ne peut gérer une commune à distance. La question de la permanence des maires dans leurs communes respectives est très complexe, reconnaît-il. Cependant, pour que les communes jouent leur rôle, il faut que les premiers responsables vivent auprès des populations. "C'est un passage obligé. On ne peut pas demander à un maire, fonctionnaire ou du privé qui est à distance d'être efficace".
Le gouvernement est parti d'un constat sur le terrain. Partout où il y a eu des difficultés, on constate que le maire n'est pas sur place.
Dans le code des collectivités du Burkina, la loi obligeait seulement les adjoints aux maires à résider dans la commune. Certains adjoints sont ainsi devenus plus puissants que leurs maires en raison de leur maîtrise des dossiers et leur influence sur les populations. Ce sont eux qui gèrent les communes sans être responsables devant la loi. Dans certaines communes, l'absence du maire et l'incompétence du premier adjoint bloquent le fonctionnement de la mairie. Certains maires se comportent comme des touristes dans leurs propres communes. Ils passent quelques rares fois et en coup de vent, juste pour signer des documents. Ils sont très peu imprégnés des réalités locales. Les populations les connaissent à peine. Les quelques rares moments où on les aperçoit, c'est pendant les cérémonies. Le gouvernement, selon Clémént Sawadogo, est parvenu à la conclusion qu'un maire ne peut pas se permettre de gérer ses affaires à distance et coupler plusieurs activités. En voulant calquer le modèle français, le gouvernement a été rattrapé par les réalités du pays.
C'est pourtant la référence française que brandit Mutan Hien : "Ailleurs comme la France, pays de référence et autour du Burkina, cette loi n'existe pas, pourtant les communes sont bien gérées. Pourquoi donc l'exception du Burkina ?"
Pour le maire de Ouessa, les problèmes des communes sont connus. C'est plutôt le manque de ressources financières et des compétences. Le budget des communes rurales ne peut pas supporter les charges de fonctionnement. L'aide de l'Etat pour les indemnités et le carburant est maigre et n'est pas incitative. Les maires des communes démunies font déjà des sacrifices énormes, affirme Mutan Hien. C'est l'une des raisons qui empêche certains maires et conseillers de faire de fréquentes descentes dans leurs communes.
A l'AMBF, on reconnaît que certains maires peuvent faire 6 mois sans mettre pied dans leurs communes. Un comportement que l'on dénonce là bas tout en souhaitant que des mesures soient prises. M. Hien suggère que le gouvernement mette l'accent sur l'interpellation des maires sur leurs engagements, en faisant des déplacements fréquents dans leur commune. La permanence, martèle-t-il, n'est pas indispensable et n'est pas une panacée aux difficultés. Le rôle du maire, c'est la conduite du développement de la commune. Ce qui importe dans cette affaire, c'est le carnet d'adresses du maire et la mobilisation des ressources, grâce aux relations. "La plupart des maires sont des cadres, ou d'anciens cadres", fait savoir Mutan Hien. Il ne croit pas qu'un seul de ces cadres va renoncer à ses privilèges pour aller s'installer dans sa commune. "Ceux qui résident au village sont pour l'essentiel des cadres moyens, avec cette loi, c'est la commune qui perd. C'est une décentralisation au rabais".
Les maires fonctionnaires seront mis à la disposition des collectivités
Au gouvernement, on est conscient que cette loi n'est pas faite pour plaire à tous les maires, affirme le ministre Clément Sawadogo. Mais le gouvernement se préoccupe de la bonne exécution des charges du maire et il ne veut pas sacrifier l'essentiel pour des appoints.
Avec la loi qui sera adoptée, les maires fonctionnaires seront mis à la disposition des communes et ils continueront de toucher leur salaire. C'est la seule mesure d'accompagnement qui a été retenue. Pour les autres maires, le gouvernement avoue ne pas pouvoir faire grand chose. Ils doivent faire un choix et s'engager en connaissance de cause. Clément Sawadogo affirme toutefois que les prochaines consultations peuvent trouver des solutions alternatives pour cette catégorie.
Une rencontre entre gouvernement et élus locaux est prévue les 6 et 7 novembre prochains sur les différents projets de loi. Le représentant de l'AMBF attire l'attention sur une autre disposition, celle de la validité des procurations. Les crises persisteront si les procurations ne sont pas retenues pour le quorum et il faudrait une autre loi pour exclure un conseiller, un élu. Ce sont des points qui méritent des discussions approfondies. Les positions sont donc tranchées. Pour sa part, le ministre fait de la résidence des maires dans leurs collectivités une condition nécessaire pour insuffler une dynamique au processus de décentralisation alors que l'AMBF juge cette proposition sectaire, voire suicidaire pour la décentralisation. ARN