Les journalistes ouest africains veulent la " déprisonnalisation "
"La dépénalisation des délits de presse en Afrique de l'Ouest" a été la thématique du séminaire régional ouest africain que le Centre national de presse Norbert Zongo (CNPNZ) a organisé du 27 au 29 février 2008 à Ouagadougou. Cette rencontre a permis aux journalistes d'appréhender les tenants et les aboutissants de la dépénalisation.
"La dépénalisation que nous appelons de tous nos voeux, doit s'accompagner d'une réflexion sur la responsabilité sociale du journaliste" a affirmé le 27 février dernier, Luc Adolphe Tiao, président du Conseil supérieur de la communication (CSC). Et c'est cette réflexion que les journalistes venus de l'espace CEDEAO et de la Mauritanie ont menée. Ils ont donc réfléchi sur la pratique journalistique et les raisons d'une dépénalisation. Cette dernière "consisterait donc à supprimer toutes les infractions susceptibles d'être commises par un journaliste dans l'exercice de sa fonction et à commuer les peines de prison en des peines d'amende" précise l'avocat burkinabè Me Farama Prosper.
Pour Edouard Ouédraogo, directeur de publication du quotidien L'Observateur Paalga, il n'y a pas urgence à parler de dépénalisation au Burkina Faso et ce d'autant plus que depuis plus d'une quinzaine d'année, les Tribunaux du Burkina n'ont pas condamné de journalistes à des peines de prison. Chérif Sy, le président trimestriel du Comité de pilotage du Cnpnz, lui, s'est dit choqué du fait que le journaliste, pour une moindre faute est susceptible d'être emprisonné, alors qu'un juge peut se tromper et ne rien subir. Pour lui, il ne s'agit pas de revendiquer l'impunité, mais de tirer la sonnette d'alarme face aux emprisonnements des journalistes pour un article qui plait ou dérange. Au Niger, le cas de Moussa Kaka en est l'illustration. Pour Souleymane Diallo, le Président du Forum des éditeurs africains, ce sont "les dégâts causés par les délits de presse dans notre sous-région" que l'on se doit d'analyser. Car -t-il, "C'est nous, journalistes, que l'on punit".
"Faut-il parler de dépénalisation de l'activité médiatique ou de la dépénalisation des délits de presse?" se demande Luc Adolphe Tiao. Il sous tend sa question par le fait que les journalistes usent parfois d'injures et d'invectives à l'endroit de certains citoyens.
Au sujet de ce séminaire, la divergence de vue des professionnels des médias sur la dépénalisation s'est ajoutée celle des pouvoirs publics. Ces derniers tout comme certains citoyens craignent une presse libre. Aussi, assimilent-ils la dépénalisation des délits de presse à la consécration d'une impunité. Dès lors, se pose la problématique du pour ou du contre la dépénalisation ? Selon Me Prosper Farama, les partisans du maintien des peines de prison contre la presse usent de plusieurs arguments.
Journaliste hors-la-loi ?
La dépénalisation serait pour eux, accorder un super-privilège au journaliste. Cette faveur ferait donc du journaliste un super citoyen. Pour battre en brèche cette affirmation, Me Farama soutient que le journaliste peut bénéficier de privilège tout comme le député. Ce droit, dit-il, est légal dans une démocratie. Il permet à un corps spécifique de métier d'exercer sa fonction de façon saine et pour le bénéfice de la société.
Pour les partisans du maintien des peines privatives, la dépénalisation serait, aussi, source d'impunité pour des journalistes coupables s'arrogeant trop souvent le droit de critiquer les travers des autres. Ils soutiennent qu'il serait impensable de permettre aux journalistes d'agir selon leur bon vouloir, sans le moindre contrôle, sans encadrement, sans la moindre sanction de leurs dérives et abus. La sanction pénale apparaît, pour eux, comme le moyen efficace de dissuader les journalistes.
Pour certains, le fait de réclamer la dépénalisation est suspect. Que craignent donc les journalistes? Ce d'autant plus que les peines privatives de liberté s'appliquent qu'aux fautifs.
L'argument de la non professionnalisation est également brandi pour traiter les journalistes d'inconscients, pouvant user et abuser de la liberté de presse. Or, cette liberté peut s'avérer une arme dangereuse. Pour Me Farama, tous les métiers commettent des bévues. Mais le principe qui prévaut est celui de la canalisation. Et cette dernière est aussi valable pour les journalistes.
Concernant la refondation de la sanction, les partisans de la non dépénalisation soutiennent que si les journalistes peuvent payer les amendes, ils se donneraient le droit de diffamer, d'injurier. Partant de cela, la peine d'emprisonnement est la seule solution de dissuasion.
Un privilège de l'Etat de droit
Mais face à ces arguments, les adeptes de la dépénalisation ont de la réplique. Me Farama se dit partisan de la dépénalisation et en tant qu'avocat, il déclare que la catégorisation des fautes de presse est contestable. Car dit-il, les autres fautes répréhensibles sont catégorisées par les juristes (vol, meurtre, etc.). Pour Me Farama, il est méchant que les fautes des journalistes soient qualifiées de la même manière que celle des voleurs et des meurtriers. La dépénalisation devient une condition essentielle à la requalification des fautes des journalistes.
Le deuxième argument pour la dépénalisation se situe au niveau de la séparation des fautes intentionnelles (savoir que l'on commet une faute intentionnelle et le faire est un acte répréhensible) et non intentionnelles. Dans le cadre de délit de presse, le législateur punit la faute comme étant une faute intentionnelle.
Le troisième point est la procédure de poursuite contre les journalistes. Il viole le principe de la présomption d'innocence du journaliste car c'est à ce dernier d'apporter la preuve de ce qu'il a écrit. Avec la dépénalisation, la charge pourrait être inversée.
En ourtre, Me Farama affirme que partant du principe de la légalité des délits, toute infraction ou délit doit être établi par un texte de loi. Cela suppose que le délit est précis et clair pour que l'auteur de l'acte sache de quoi il s'agit et à quoi il s'expose. L'avocat juge que les notions comme offense à chef d'Etat, diffamation sont ambiguës et leurs contenus pas clairs. D'ailleurs, c'est le juge ou la victime qui en définisse le contenu.
Cette imprécision a conduit certaines juridictions a condamné des journalistes. Et cela a été le cas en Côte d'Ivoire le 18 décembre 1995. Abdramane Sangaré, directeur du journal La voix a été condamné à deux ans d'emprisonnement pour délit d'offense au chef de l'Etat. Dans sa publication du 16 décembre 1998, il avait fait un rapprochement entre la défaite de l'Asec d'Abidjan et la présence du chef de l'Etat audit match. Il avait conclu que le président "aurait dû rester chez lui".
Au Cameroun Pius Njawé, directeur du Messager a passé dix mois en prison entre décembre 1997 et octobre 1998. Il avait publié un article sur un malaise de Paul Biya lors de la finale de la coupe du Cameroun de football.
Au Nigeria, en février 1998, le directeur du Post Express a écopé de deux ans de prison pour publication de fausses nouvelles. Il avait affirmé que le général Sani Abacha souffrait de problèmes cardiaques. Le 8 juin 1998, Abacha mourait officiellement de crise cardiaque.
En janvier 1998, le Togo a adopté une loi interdisant l'emprisonnement des journalistes. Depuis cette date environ une dizaine de journalistes ont été emprisonnés pour diffamation ou atteinte à l'honneur du président de la République.
Consolider la démocratie
Les inconditionnels de la liberté de la presse soutiennent que dans une démocratie, le délit de presse porte atteinte au quatrième pouvoir, la presse. Or, cette presse doit être libre afin de participer à l'établissement d'un Etat démocratique. Pour étayer cette position, Me Farama est parti de l'exemple de la Suède. Là-bas, l'obligation est faite à l'administration de délivrer dans les 24h au journaliste toutes informations que celui-ci demande. Et le refus de l'autorité doit être motivé. Les Suédois se font donc l'obligation d'acheter leurs journaux car toutes les informations concernant le fonctionnement de l'Etat s'y trouvent. Pour Me Farama, tout pouvoir pour être légitime doit être contrôlé et cela est fait par la presse en Suède. "D'ailleurs, dans ce pays, la presse est le seul moyen de contrôle. Cette presse joue donc un rôle important dans la consolidation de la démocratie. Or les peines privatives de liberté ici au Burkina empêchent ce rôle des médias" conclut l'avocat.
Pour que cette dépénalisation soit réalité aussi bien au Burkina que dans toute l'Afrique de l'Ouest, Saidou Arji de Media Foundation for West Africa, soutient qu'elle doit être la résultante d'une volonté politique affichée. Partant de l'exemple du Ghana, il a précisé que les médias ont ''contraint'' les partis politiques lors de la dernière présidentielle à débattre et à prendre position pour la dépénalisation. Ainsi, le parti de John Kufuor, huit mois après son accession au pouvoir, a dépénalisé en 2001 les délits de presse. Néanmoins, cette dépénalisation a entraîné la recrudescence des attaques physiques de citoyens mécontents contre les journalistes. Saidou Arji a déclare que cette situation ne saurait militer pour un retour en arrière. Il prône plutôt le professionnalisme à travers le respect des règles déontologiques et éthiques.
A cette rencontre de Ouaga, l'ensemble des pays de la Cedeao et la Mauritanie ont exhorté à une harmonisation des textes en matière de dépénalisation des délits de presse. Ayant saisi le président de l'Assemblée nationale du Burkina, Roch Marc Christian Kaboré, ce dernier a promis transmettre leurs doléances à ses homologues de la sous-région. Leur implication facilitera le processus de dépénalisation dans les différents pays.
Ramata